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par Jacques Duplessy

Inquiétude à propos du variant Omicron BA 2

L'épidémiologiste Antoine Flahault décrypte les dernières évolutions de la pandémie.

L'envolée des cas de Covid au Danemark est dû à un nouveau variant Omicron encore plus contagieux. Le conseiller scientifique du directeur de l'OMS pour l'Europe invite la France à rechercher ce virus qui pourrait expliquer la flambée constatée dans notre pays. Il revient aussi sur la politique de test et de vaccination.

Covid 19 - © Reflets

Boris Johnson, le premier ministre britannique, a annoncé la fin à compter du jeudi 27 janvier, de l’essentiel des restrictions imposées pour lutter contre le variant Omicron en Angleterre. Le port du masque ne sera plus obligatoire, le télétravail ne sera plus recommandé officiellement et un passe sanitaire ne sera plus imposé. Comment jugez-vous l'annonce de ces mesures ?

Antoine Flahault : Le Royaume-Uni accompagne la décrue épidémique actuelle qui est rapide. Le R actuel est de 0,7 (c'est-à-dire qu'une personne contamine 0,7 autre, NDLR). Croire que l'immunité collective permettra d'empêcher toute nouvelle vague de revenir serait présomptueux, mais libérer les restrictions lors des accalmies peut être une preuve d'agilité et d'adaptation à une crise qui s'étire en longueur. Mais les décideurs et la population doivent être clairement informés qu'ils auront à rétablir rapidement ces restrictions en cas de détérioration de la situation, ce qui peut survenir à tout moment. Ces choix, c'est le problème des politiques.

A l'inverse, en France, le passe vaccinal doit être instauré très prochainement. A-t-il encore un intérêt ?

Ce n'est pas aux scientifiques de décider de la mise en œuvre d'une recommandation qu'ils font. Ce qui est certain, c'est qu'il faut le plus de gens vaccinés possibles. Le partage des rôles entre scientifiques et politiques est utile : les premiers essaient d'éclairer la décision politique. Que ça passe par l'obligation vaccinale ou le passe vaccinal, par persuasion ou par l'incitation financière ou le marketing social, je n'ai pas à juger de cela, comme scientifique. C'est la responsabilités des politiques en fonction du contexte local. En France, il faut non seulement aller chercher les 10% de non-vaccinés, mais l'enjeu c'est aussi la troisième dose. Le passe vaccinal, c'est une réponse politique à une préoccupation et une recommandation des scientifiques d'avoir la plus grande couverture vaccinale possible à trois doses. On verra à la fin quelles ont été les meilleures stratégies. Le choix du passe sanitaire en France, en Italie ou en Allemagne a été une stratégie gagnante en terme d'amélioration de la couverture vaccinale et de contrôle de l'épidémie. Les Espagnols ou les Portugais n'ont jamais mis en œuvre à proprement parler de passe, ni d'obligation vaccinale, et pourtant ils ont une énorme couverture vaccinale. Il n'y a ni une réponse unique, ni une bonne réponse. Cela dépend beaucoup du contexte.

Certains ont parlé un peu vite de pic atteint pour la vaque Omicron. Et on a atteint encore des sommets en nombre de tests positifs, plus de 436.000 cas le 19 janvier. Qu'en pensez-vous ?

Comme je le dis depuis le début, on est incapable de prédire cette pandémie. Nous faisons des prévisions à sept jours et on a déjà du mal... D'ailleurs la base internationale sur laquelle je travaille n'est plus mise à jour par la France depuis 48 heures, donc nous ne pouvons plus faire de prévision pour ce pays. Aujourd'hui on est en difficulté pour savoir. Par exemple, on prédisait le pic au Danemark un peu comme au Royaume-Uni, et puis le Danemark repart à la hausse. C'est du à un nouveau variant le Omicon BA 2, qui est un variant du variant Omicron. Le BA 2 s'est aujourd'hui imposé au Danemark. On voit un peu partout repartir les contaminations à la hausse. On ne sait pas encore s'il est plus virulent, car c'est très long à mettre en évidence, mais on constate qu'il est très, très, très transmissible puisqu'il devient dominant dans un endroit où il y avait Omicron qui était dominant. On ne sait pas encore si BA 2 peut toucher des personnes qui avaient été contaminées par la souche Omicron initiale. Mais ce nouveau variant perturbe la dynamique de l'épidémie qui avait été prédite pour le Danemark. C'est très récent et l'OMS ne l'a même pas encore classé comme variant préoccupant. On ne sait pas comment ça va évoluer, si c'est une reprise de l'épidémie ou si c'est un épiphénomène.

Est-ce que la reprise épidémique constatée en France pourrait être liée à BA 2 ?

C'est une hypothèse, mais on ne le sait pas encore. Je ne sais même pas s'il est recherché dans les séquençages. Ce qui est certain c'est que la France devrait le rechercher, c'est très important. Car il pourrait y avoir une vague de BA 2 adossée à Omicron BA 1, le virus majoritaire actuel, comme il y a eu une vague Omicron adossée à la vague Delta. Le séquençage est un outil extrêmement important dans la surveillance épidémiologique. Or la France séquence beaucoup moins que le Danemark.

Et concernant la submersion du système de santé que vous aviez évoquée lors de notre interview précédente, comment percevez-vous le risque ?

Il faut être très prudent. Quand il y a autant de personnes testées positives, même si le taux d'hospitalisation est faible, même si le taux de mortalité est bien inférieur à celui de Delta, en terme de nombre, ça peut tendre à la saturation du système de santé. Ce danger n'est pas encore exclu et il peut être assez retardé. Le décalage entre le pic de mortalité qui n'est toujours pas atteint en Afrique du Sud et le pic de contamination qui a eu lieu il y a plus d'un mois nous dit qu'il faut rester très vigilants encore au moins un mois après la survenue du pic. En France, le pic de contaminations n'a pas encore été atteint. Au Royaume-Uni, la situation est plutôt favorable, mais au Danemark et en France, on n'est pas certain que ça évolue de la même manière.

Pensez-vous qu'il faille maintenir la politique de test systématique telle que nous l'avons mise en place ?

Le coût est effectivement exorbitant. Mais c'est très compliqué de changer d'instrument de mesure en cours d'épidémie. C'est vrai qu'à partir du moment où le nombre de contaminations est dix fois plus élevé qu'au plus fort du pic précédent, on est dans une autre dynamique. Il devient difficile de faire ce qu'on fait aujourd'hui en matière de test. Dans les faits on a d'ailleurs une grande imprécision sur le nombre réel de cas. Au moment où il y avait "que" 300.000 cas, Arnaud Fontanet (de l'Institut Pasteur, NDLR) reconnaissait qu'il y en avait peut être 500.000. Alors aujourd'hui, il dirait peut-être qu'il y en a 700.000. On a une forme d'imprécision qui pourrait être levée par d'autres moyens. On connait ça en politique avec les sondages. Si on faisait un sondage, on pourrait avoir une évaluation pour la population. Cela donnerait sans doute une estimation de meilleure qualité que ce testing à tout-va.

Le plus important n'est pas la qualité de l'image épidémiologique, mais que les personnes à risque qui doivent être dépistées précocement le soient réellement. Pour les personnes qui ne sont pas à risque, le fait qu'elles soient détectées ne change pas grand chose, à part l'isolement. Mais pour les personnes immunodéprimées, très âgées, il faut un diagnostic rapide, d'autant qu'elles peuvent avoir accès à des traitements. Donc l'engorgement des filières de tests peut être préjudiciable et faire perdre des chances aux personnes vulnérables.

Le personnel de santé ou des Ehpads doivent eux aussi avoir un accès prioritaire aux testes puisqu'ils sont en contact avec des patients fragiles.

Les écoles pourraient bénéficier de tests salivaires réguliers ou de PCR sur prélèvement salivaire. On pourrait tester une classe avec un seul test et ne faire des recherches individuelles que s'il y a un cas positif.

Les laboratoires évoquent un vaccin spécifique pour le variant Omicron. Cela vous parait-il nécessaire ?

Je pense que cette question des recommandations pour les vaccins doivent reposer sur des groupes d'experts indépendants, notamment de l'OMS, et non pas sur les laboratoires ou des experts individuels. Les fabricants ne doivent pas guider la politique publique en matière de rappel vaccinal. Qu'ils y travaillent, c'est très bien, mais c'est à l'OMS de dicter des recommandations. C'est important que ces préconisations aient une valeur scientifique indépendante attestée. Pour l'instant, l'OMS ne recommande pas de vaccination spécifique. Cela ne préjuge rien de l'avenir. C'est l'OMS qui préconise la composition du vaccin de la grippe. Est-ce qu'on va aller, comme pour la grippe, une proposition de vaccin chaque automne incluant une souche de coronavirus, c'est possible, je n'en sais rien. Cela me paraît prématuré pour le moment.

Et concernant la 4eme dose ?

Elle est déjà administrée pour les personnes immunodéprimées. Elle a proposée en Israël à titre pilote - Israël est pour nous un très bon laboratoire vivant -, mais ils se sont arrêtés aux plus de 60 ans. On attend les résultats. Il n'y a aujourd'hui aucune indication de 4e dose en population générale. Là aussi, c'est à l'OMS de faire des préconisations. L'immunité va-t-elle diminuer fortement de sorte qu'il faudra la rebooster ? Je n'en sais rien du tout et il n'y a pas de consensus clair dans la communauté scientifique.

L'accès au vaccin pour tous est sans doute beaucoup plus important. Pensez-vous que cela passe par la levée des brevets ?

La levée des brevets est importante, mais elle n'est pas suffisante. Si on lève demain les brevets, même la plupart des meilleurs laboratoires ne sauront pas produire ces vaccins à ARN messager. Il faut un savoir faire et des équipements particuliers. Il faut donc un transfert de technologie, la création des compétences pour savoir le faire.

Les laboratoires existants qui ont une poule aux œufs d'or n'ont pas intérêt à la faire...

Si on braque les labos en leur prenant leurs brevets, peut être qu'il n'auront aucune appétence à participer au transfert de technologie. Si dans le cadre d'une collaboration internationale bien construite, on monte quelque chose qui est gagnant pour tous le monde, avec des conditions tarifaires négociées, ça fonctionnera peut-être mieux... Astra Zeneca l'a fait avec l'Inde où il a délocalisé une partie de sa production. On peut imaginer des modalités de collaboration qui impliquent l'industrie et son savoir-faire, tout en respectant une meilleure distribution des vaccins. Si on annule leur brevet de manière autoritaire, ça ne sera pas nécessairement la voie la plus efficace.

L'Espagne a dit qu'elle voulait en finir avec l’idée d’une pandémie et envisager désormais la crise sanitaire comme une réalité endémique, comment réagissez vous ?

C'est une question très importante. On a deux digues immunitaires dans le corps humain : l'immunité humorale par les anticorps, dont on voit qu'elle nous protège assez mal d'un variant sur l'autre, et l'immunité à médiation cellulaires. ce sont les lymphocytes B et T qui emmagasinent de l'information sur tous les coronavirus pour lutter contre les formes sévères de la maladie. Celle-ci elle est très solide pour le moment, elle se renforce avec les doses de vaccin et avec l'expérience des contaminations. C'est cela qui donne envie de penser qu'on pourrait avoir une forme endémique de la maladie, avec de temps en temps des explosions de cas, mais sans trop d'atteinte menant à l'hospitalisation. On n'est pas encore dans ce cas-là. Il faudra voir, une fois Omicron passé, si les nouveaux variants qui vont survenir ne sont pas de nature à transpercer cette deuxième digue immunitaire. Mais il y a un signe encourageant : depuis le début de la pandémie, cette seconde digue tient bien et elle se renforce. Cela incite donc à l'optimisme.

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