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par Marjolaine Koch

Impôts, taxes : et s’il existait des solutions ailleurs ?

Allez Manu, on ne sait jamais...

Au lieu de plonger la main, encore une fois, dans les deniers des Français, Bercy pourrait se tourner du côté des aides aux entreprises : nombreuses et généreuses, elles n’ont pas toujours l’effet escompté, et une meilleure gestion de ces dernières pourrait générer des économies substantielles.

pub gouvernementale pour le CICE - .gouv.fr

L’annonce de la hausse de taxe sur les carburants fut la goutte de trop, de celles qui déclenchent des raz-de-marée démunissant les élites. Alors que les plus aisés de ce pays venaient de se voir offrir la suppression de l’Impôt sur la fortune, alors que les entreprises bénéficient de cadeaux fiscaux emballés sous des acronymes techniques et flous comme le CICE, le CIR ou le CITS, souvent accompagnés de sommes exprimées en milliards d’euros, voilà que les citoyens lambda allaient encore une fois, eux, devoir mettre la main à la poche.

Est-ce vraiment la seule solution qui reste au Gouvernement pour parvenir à boucler son budget et surtout, pour financer la transition énergétique ? Selon la Cour des Comptes, dont les rapports sont une mine d’information sur le bon fonctionnement des outils fiscaux, il existerait pourtant quantité de « poches » desquelles pourraient être extraits des financements distribués, pour l’heure, inefficacement.

Tenter de dresser un inventaire des aides et soutiens aux entreprises relèverait de la gageure et serait forcément incomplet, tant ils sont nombreux et divers. Car outre les aides nationales, il faut aussi prendre en compte les coups de pouce accordés au niveau des territoires, les collectivités se livrant une guerre « d’attractivité » pour attirer les entreprises sur leur zone.

Zones franches, exonération de la taxe foncière, prise en charge de travaux d’aménagement… rien n’est impossible à qui veut attirer une entreprise sur son territoire, que l’entreprise convoitée soit un géant international ou bien une PME. Et entre les deux, celle qui obtiendra le plus de « facilités » n’est évidemment pas la PME…

Au niveau national, les aides sont d’une autre envergure. Lundi dernier, les députés ont adopté en lecture définitive la transformation du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et le CITS, le crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires, en allégement de cotisations sociales. Ce vote représente 20 milliards d’euros au titre de l’année 2018.

Concrètement, cela signifie un allégement pérenne des cotisations patronales d’assurance maladie de 6 points pour les rémunérations allant jusqu’à 2,5 Smic à partir du 1er janvier 2019, et ensuite, à compte du 1er octobre 2019, un allégement supplémentaire de 4 points imputés sur l’assurance chômage et les retraites complémentaires pour les salaires au niveau du Smic et de manière dégressive jusqu’à 1,6 Smic. Ce qui veut dire moins de rentrées d’argent pour la solidarité nationale.

Un impact contesté

L’Institut des Politiques Publiques a analysé l’impact du CICE, instauré sous François Hollande. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il existe une réelle marge entre les effets attendus et ceux mesurés par l’IPP.

Premier effet : le CICE a surtout bénéficié aux grands groupes. Plusieurs centaines de millions d’euros depuis la création du CICE pour les grands noms du CAC 40. Ce « coup de pouce » de l’État devait permettre, selon Pierre Gattaz, de créer un million d’emplois, il en avait même fait des pin’s Made in République Tchèque. Pour quel bilan, cinq ans après son lancement ?

Le comité de suivi du CICE, dans son rapport d’évaluation 2018, estime que « le CICE aurait permis la création ou la sauvegarde de 108.000 emplois en moyenne sur la période 2013-2015. Cet effet se situerait cependant dans une fourchette assez large, comprise entre 10 000 et 205 000 emplois créés ou sauvegardés. » Loin du million, donc.

Depuis son entrée en vigueur en 2013, le CICE n’a pourtant eu de cesse d’augmenter : 6,43 milliards d’euros en 2014, 12,6 milliards en 2016, 20 milliards cette année. Et pourtant, le rapport précise que malgré ces nouveaux allègements, « à_ moyen et long terme, la Direction générale du Trésor estime que la mesure aura des effets globalement neutres sur l’activité et l’emploi_ »…

Outre le CICE, l’autre « poche » dans laquelle l’État pourrait puiser est le crédit impôt recherche. Ce crédit d’impôt permet aux entreprises qui font de la recherche en vue de développer de nouveaux produits ou services, de déduire une partie substantielle de leurs frais (30 % des frais jusqu’à 100 millions d’euros, puis 5 % sur le reste). Actuellement, environ 6 milliards d’euros sont déduits par les entreprises au titre de la recherche. Mais un rapport de la Cour des Comptes mettait en exergue les larges dépassements opérés par les entreprises, qui ont tendance à requalifier en recherche certains travaux pour gonfler les chiffres, quand elles n’inventent pas carrément tout une recherche inexistante dans la réalité. Et encore une fois, les entreprises les mieux loties en matière de CIR sont les plus grandes comme Thalès, Carrefour ou Renault : une armée de juristes et de fiscalistes conçoivent de petits abécédaires à destination des salariés, pour qu’ils emploient le vocabulaire adéquat dans leur rapport destiné à prouver que leur travail est bel et bien de la recherche... au bout de ces manipulations, ce sont plusieurs dizaines de millions d’euros d’exonérations d’impôts qui sont en jeu pour ces entreprises.

Peu de contrôles

Si elles ont la latitude de procéder de la sorte, c’est grâce à des contrôles très faibles. Le rapport de la Cour des comptes, publié en 2013, indiquait que 6 % des entreprises déclarant du CIR avaient été contrôlées en 2012, et avaient abouti à un redressement fiscal de 162 millions d’euros.

Les sommes récupérées, si les contrôles étaient plus importants, pourraient atteindre le milliard d’euros. En outre, le rapport précise que ce crédit d’impôt, destiné à générer de l’emploi dans les filières scientifiques et notamment du côté des doctorants, est resté sans effets.

Ces crédits d’impôts et allégements méritent-ils pour autant de disparaître ? Ces actions de soutien aux entreprises ne sont pas inutiles. Réclamer leur suppression pure et simple relèverait du populisme. En revanche, les encadrer, flécher ces soutiens financiers, mieux prendre en compte les retombées en matière d’emploi et de croissance, et surtout contrôler leur bon usage permettrait d’économiser des sommes substantielles.

Que de grandes entreprises comme Apple parviennent à dégager un taux effectif d’imposition de 3,7 %, notamment grâce à ces soutiens et différentes manœuvres d’optimisation, est-il acceptable plus longtemps ?

Ces fameuses « poches » de rétention existent, elles sont souvent une manne pour de grandes entreprises qui, par ce biais, améliorent leur rentabilité.

Pourtant, si elles étaient récupérées par les pouvoirs publics, elles éviteraient à ces derniers d’aller fouiller dans les poches de la classe moyenne.

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