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Dossier
par Jacques Duplessy

« Il faut une enquête pénale sur la gestion de la pandémie Covid19 »

Trois soignants ont porté plainte contre Edouard Philippe et Agnès Buzyn.

Fabrice di Vizio, l’avocat des trois médecins à l’origine de la procédure judiciaire, dénonce un mensonge d’État et des défaillances multiples. Il explique pourquoi une enquête indépendante est absolument nécessaire.

Fabrice di Vizio - D.R.

Pourquoi des médecins ont-ils porté plainte contre des ministres du gouvernement ?

Il y a des éléments qui montrent qu’Agnès Buzyn, l’ex-ministre de la Santé, et le Premier ministre Édouard Philippe n’ont pas pris les mesures nécessaires pour endiguer le fléau du Covid-19, alors même qu'ils connaissaient les dangers de cette épidémie. C’est pour cela que trois médecins ont porté plainte sur le fondement de l’article 223-7 du code pénal et ont saisi la Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à juger des actes commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions. Cet article du code pénal dit : « Quiconque s'abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende ». Nous allons montrer le caractère volontaire qui caractérise ce délit.

La vérité doit être faite tranquillement, à l’abri des polémiques. Un juge d’instruction doit être désigné dès que possible pour rechercher les responsabilités. L’élément déclencheur de la plainte de mes clients, c’est l’interview d’Agnès Buzyn au Monde le 17 mars. Elle explique qu'elle savait tout et n'a rien fait. Elle dit également avoir averti le gouvernement de l'imminence et de la gravité du péril. Ce qui jusque-là pouvait encore passer pour de l'incompétence relève, si l'on en croit ses propos, de la pure inconscience. C'est encore plus grave et cela nous démontre qu'il y a eu un mensonge d'Etat. « Le 11 janvier, j'ai envoyé un message au président sur la situation. Le 30 janvier, j'ai averti Édouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir », dit elle-même Agnès Buzyn. Avec la carrière qui est la sienne, cette femme brillante, ancienne présidente de la Haute autorité de santé (HAS) ne pouvait d'ailleurs pas ne pas savoir… Ce qui est d'autant plus incompréhensible, ce sont les propos publics qu'elle a tenus le 24 janvier, quand elle a affirmé que « le risque de propagation du coronavirus dans la population était très faible ». Là, les médecins se sont dit, « On se fout de nous. C’est un mensonge d’État, rien n’est préparé. »

Nous allons aussi très rapidement déposer une plainte contre le directeur général de la santé et le responsable du conseil scientifique mis en place par le Président Macron.

Qui sont vos clients ?

Les trois médecins qui portent plainte sont Emmanuel Sarrazin qui travaille à SOS médecin, un médecin généraliste, maire et élu régional en Île-de-France, Ludovic Toro et un médecin urgentiste de Montpellier, Philippe Naccache. Il est lui-même atteint par le Covid19. Il a fait des intubations aux urgences sans masques adaptés. Derrière eux, il y a le Collectif C19 qui rassemble plus de 600 soignants en colère. Nous ne voulons pas faire de cette plainte une tribune politique. Cette action, c’est un peu le cri du cœur des soignants. Nous n’avons pas voulu déposer 600 plaintes pour ne pas engorger le système judiciaire. Les trois médecins sont un échantillon représentatif de la profession, de par leur positionnement dans la chaîne médicale. L’objectif de cette plainte est que l'on tire des conséquences de cette crise majeure pour l’avenir. Ils ont besoin de ça pour pouvoir maintenant faire correctement leur travail.

Cette plainte va-t-elle aboutir ?

Nous l’espérons. On voit mal, après les mots d’Agnès Buzyn, comment la commission des requêtes pourrait refuser d’ouvrir une enquête. Mes clients veulent que ça soit rapide. Car très vite, on va passer à autre chose. Après la crise sanitaire, il y aura la crise économique. Mes clients veulent que l’on n’enterre pas ce qui s’est passé.

Vous accusez le gouvernement d’avoir agi avec retard, sans tenir compte des alertes venues de Chine et d’Italie ?

Il se trouve que j’ai un cabinet à Rome et que je travaille depuis des années sur les questions médicales. Donc j’ai suivi de près la situation en Italie. Ca a flambé dans le pays car on n’a pas assez vite mis en quarantaine les personnes contaminées et la population. Ensuite, leur système de santé n’a pas joué en leur faveur : il n’y a pas de système organisé de médecine de ville. Les principaux cluster ont été les hôpitaux eux-mêmes, et particulièrement les urgences. Le taux de contaminations par les hôpitaux est énorme en Lombardi. L’Italie a fait un dépistage massif mais n’en n’a pas tiré les conséquences pour confiner les porteurs du virus. Ils n’ont pas appliqué les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui sont simples : tester – confiner. Ce qui a aggravé les choses, c’est l’absence d’une direction générale de la Santé. Il n’y a pas eu de remontée nationale des données. Mais la Vénétie, qui est dirigée par un médecin, a beaucoup mieux géré l’épidémie. Il a quadrillé la région par des tests systématiques et isolé les cas positifs des personnes saines, notamment en réquisitionnant des hôtels. On rompt ainsi la chaîne de contamination. La France, malheureusement, n’a pas choisi ce système recommandé par l’OMS.

Quels reproches faites-vous aux autorités françaises ?

On est entré dans une bataille de chiffres : nombre de cas, taux de mortalité... La France ne s’est pas concentrée sur le médical, les autorités font surtout une guerre de communication.

Il s’agissait d’abord d’être rassurant. Le 25 janvier, Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, rassure, malgré les alertes de l’OMS. Pourtant, depuis le 15 janvier, l’OMS a déclaré une alerte internationale. Il y a pourtant les premières études de cas, les premières publications scientifiques. Vers la fin janvier, il y a une publication majeure dans la revue de référence, The Lancet. Elle explique bien que l’épidémie est hors de contrôle à Wuhan en Chine, elle prévient que le virus va voyager. Le 30 janvier, le comité de l’OMS déclare l’urgence sanitaire internationale. Ce n’est pas décidé à la légère, ce n’est que la 6ème fois que c’est déclenché depuis le règlement sanitaire de 1964. Elle donne ses recommandations : tester, tester, tester ! Elle insiste sur la détection précoce, l’isolement et la préparation du système de santé pour accueillir les malades. Elle estime le nombre de cas dans le monde à 10.000 et estime élevé le risque de pandémie. Et nos autorités n’ont pas pris la mesure des choses.

Vous avez des preuves de ces défaillances ?

Dès février, SOS médecin, qui envoie des statistiques hebdomadaires au niveau national, parle de grippes bizarres. Et personne ne réagit. Autour du 25 février, ça flambe en Italie. La Lombardie est mise en quarantaine. Là on est certain qu’il y a un problème grave et que le virus va arriver en France et dans les autres pays d’Europe. Les médecins français réclament immédiatement des mesures : des tests, des masques pour se protéger et la montée en charge des services de réanimation. Ils demandent aussi une mise en quarantaine des personnes qui reviennent d’Italie. Ça sera fait le mardi 3 mars alors que la rentrée scolaire a eu lieu le lundi ! On met en quarantaine les enfants, mais pas les parents.

Ce que mes clients dénoncent, c’est un mensonge organisé. A ce moment là, on est au stade 2 de l’épidémie. Les consignes sont de passer par le 15 et d’aller à l’hôpital en cas de suspicion de contamination. Or ce stade 2 n’a jamais été appliqué correctement. On a la preuve que de nombreuses personnes fébriles revenant d’Italie appelaient le 15 et on leur disait : « Non, ça ne peut pas être le Covid19, car vous ne revenez pas de Lombardie. » Dans le même temps, SOS médecin voit arriver de nombreux patients avec des signes cliniques de Covid19, mais elle ne sont pas testées. On a laissé filer sans doute 80 % de malades !

L’énorme erreur est de ne pas avoir appliqué le protocole et testé les patients qui présentent des symptômes. Pourquoi les Samu ne l’ont pas appliqué ? Est-ce sur ordre, faute de moyens ?

Et puis, il y a ce refus obstiné de faire des contrôles aux frontières. Aucun contrôle aux aéroport, pas de test. Pourtant dans le même temps, il y a un afflux de patients vers les médecins de ville avec des symptômes Covid19. On nous a dit que le virus n’était pas arrivé, mais comme on ne testait pas, on ne le voyait pas ! Or le virus circulait déjà et les médecins étaient sans protection…

Théoriquement, les médecins de ville devaient intervenir en phase 3, quand le virus circule partout. Mais il circulait déjà, bien avant le déclenchement de la phase 3.

Justement, venons-en à la question épineuse des masques…

Fin février, le nouveau ministre de la Santé, Olivier Véran dit que les masques FFP2 arrivent. Ce sont ceux qui protègent vraiment les soignants en filtrant le virus. Mais ils n’arrivent pas.

Huit jours plus tard, le 1er mars, une note à diffusion restreinte de la Direction générale de la santé dit que les masques FFP2 sont réservé aux personnels hospitaliers.

Ensuite le 13 mars, Olivier Véran dit que des masques FFP2 seront donnés aux soignants de villes, médecins et infirmière. Mais ils n'arrivent toujours pas. Ne sont distribués via les pharmacies que des masques FFP1.

On a d’un côté un discours, et de l’autre des faits et une circulaire. Ensuite, le ministère de la Santé va jusqu’à dire que les masques FFP2 sont réservés aux personnels de réanimations qui font des soins invasifs. La Direction générale de la santé sort une étude de son chapeau pour dire que les masques chirurgicaux classiques (FFP1) suffisent. Sauf que, pour moi, c’est faux. J'en veux pour preuve que les personnels du Samu qui viennent prendre en charge des patients ont des combinaisons et des masques FFP2. Ensuite, j’ai un cours de l’hôpital Bichat où on enseigne la perméabilité des masques FFP1. Enfin, le comité de santé publique recommande le port du masque FFP2, car c’est un virus inconnu. Le Centre européen de contrôle des maladies infectieuses dit la même chose.

On a un vrai doute sur la circulation dans l’air du virus. Une étude le dit, mais elle est contestée. Le principe de précaution doit prévaloir.

En fait, si le discours des autorités évolue, c’est juste parce qu’on n’a pas de stocks ! C’est la question du député Jean-Pierre Door à l’Assemblée Nationale qui lève le voile sur le manque de masques. Il y a dix jours, le gouvernement reconnaît que seul le FFP2 peut protéger réellement du virus. Dans le protocole pour les laboratoires de villes habilités à faire des prélèvements pour les tests Covid19, il est bien spécifié que le personnel doit porter un masque FFP2.

Il y a un autre scandale d’État. Agnès Buzyn dit avant de quitter le ministère que les masques sont commandés. A priori, c’est faux. Olivier Véran dit que rien n’a été fait et que c’est lui qui a commandé les masques. Qui dit vrai ? Le problème avec ce gouvernement, c’est qu’on change de discours tout le temps.

Comme pour les tests de dépistage ?

Oui, après la découverte des clusters de l’Oise et de Mulhouse, les médecins que je représente vont faire une requête officielle auprès de l’OMS par mon intermédiaire, disant : "on n’isole pas, on ne teste pas, que devrait-on faire ?" Et l’OMS va répondre publiquement : tester et isoler. Le responsable de l’OMS va dire : « On n’éteint pas un incendie les yeux bandés. » Finalement, ce 21 mars, Olivier Véran change de discours et dit : « On va généraliser les tests ». Mais entre ces deux discours, ça flambe et les services de réanimation sont débordés.

Et il y a eu le premier tour des élections municipales juste avant le confinement...

Le gouvernement se défausse sur le conseil scientifique mis en place par le Président. Or ce conseil n’a jamais autorisé la tenue des élections. Il a dit que cela relevait du politique, il a dit, si vous faites ce choix, voilà les conditions à remplir. Là aussi, il faudra faire la lumière sur le processus de décision. Pour toutes ces raisons, même s’il y a une enquête parlementaire, il faut aussi une enquête judiciaire indépendante, avec un juge d’instruction.

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