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Dossier
par Jacques Duplessy

« Il faut apprendre à sourire avec les yeux »

A l'Ehpad, maintenir la vie quand la mort rôde

Aucun cas de Covid dans l'Ephad de Saint-Paulien en Haute-Loire. Les mesures barrière semblent fonctionner. Mais le personnel se prépare à accompagner des fins de vie difficiles, alors que les médicaments risquent de manquer. Sa directrice, Nathalie Cottier, nous partage son quotidien. Épisode 3.

Une résidente avec un Snoezelen, un "chat" artificiel qui mime les vrais chats - D.R.

Comment se passe la vie dans l’établissement ?

On n’a toujours pas de cas de Covid, heureusement. On est monté en charge. J’ai recruté une infirmière et deux aide-soignantes pour remplacer le personnel absent. Tous le personnel administratif aide pour le ménage et les repas. Personnellement, je fais la désinfection de 14h avec une autre personne du service administratif. Je suis fatiguée, mais ça va. En ce moment, je suis présente 14 heures par jour dans l’établissement ; la cadre-infirmière aussi. Tout le monde fait des efforts, on sait que c’est la situation qui veut ça. Je suis noyée sous les mails qui viennent de partout : Agence régionale de la santé (ARS), hôpital, famille… Sinon, je deviens parano : dès que quelqu’un tousse, je demande si ça va...

Il y a eu la décision de confiner les résidents en chambre…

Oui, j’ai réuni lundi le conseil des résidents pour leur dire et expliquer. Ils restent dans leur chambre en journée et pour les repas. Mais on organise une sortie seule pour des animations individuelle pour chaque résident qui le peut. On a un vélo d’appartement.

Le vélo d'appartement - D.R.
Le vélo d'appartement - D.R.
Il a beaucoup de succès ! La seule exception est le cantou, l’unité qui héberge les malades d’Alzheimer. Eux déambulent, on ne les a pas attachés ou mis sous calmants. Je sais que certains établissements le font, mais humainement, c’est difficile. Je ne le ferait que si c’est absolument nécessaire s’il y a un cas de covid. On essaie d’avoir une fermeté pratique pour leur sécurité mais de maintenir une certaine joie de vivre.

La nouvelle, c’est que nous aussi, on pourrait bien être confinés ! L’ARS Auvergne Rhône-Alpes a aussi évoqué avec moi la possibilité d’un confinement du personnel au sein de l’établissement. J’ai donc demandé à mon personnel de se préparer à cette éventualité. Évidemment, ça leur a fait drôle, ils ont une vie de famille. Ils ont une petite appréhension. Mais j’ai voulu dire que ça pourrait nous être demandé dès que je l’ai su pour anticiper les problèmes. J’ai toujours été dans la transparence et dans l’anticipation. C’est le meilleur moyen de faire face à la crise et à l’imprévu. Personnellement, je suis réticente à un confinement du personnel dans l’établissement. Je pense que c’est une bombe à retardement en terme de contamination. Il faudrait être testé avant. Mais on n’a pas de tests en nombre suffisant. En cas de doute, on a le droit, pour le moment, à deux tests pour le personnel et deux tests pour les résidents. En plus, notre médecin coordinateur nous a dit qu’il y avait de nombreux faux négatifs, soit parce que le test n’est pas fiable, soit parce que le prélèvement est mal fait…

Comment les résidents vivent-ils la situation ?

Il y a beaucoup de stress. Certains ont retenu le mot « guerre » et ils assimilent ça à un épisode de guerre. On a coupé les télés partout, on ne met plus les actualités. Trop anxiogène. Les résidents autonomes suivent l’actualité, mais ça ne leur fait pas de bien. Ce sont les plus stressés… On fait ce qu’on peut pour communiquer avec eux. En fait, on n’a jamais autant communiqué avec les résidents que depuis cette crise. On doit porter le masque en permanence. Ce masque, je le déteste ! Ça leur fait peur. Il faut apprendre à sourire avec les yeux. C’est beaucoup d’énergie. Mais l’avantage d’être dans une petite structure avec 62 résidents est que nous les connaissons tous bien.

Les familles sont très présentes. On reçoit des SMS et des lettres de soutien. Celle ci-nous a beaucoup touchés. Ça fait chaud au cœur, ça nous aide à tenir. Paradoxalement certaines qui venaient une fois par semaine nous appellent deux fois par jour… A tel point que j’ai du demander à une famille de réduire les appels et les lettres, car cela stressait trop le résident. C’était trop d’émotions et cela l’entraînait dans une dépression.

Comment ça se passe au niveau matériel ?

Ça va. On a reçu des masques. L’hôpital nous a dit qu’on aurait une dotation le vendredi. Eh bien, ils ont tenu parole. Vendredi dernier, c’était la première fois. Je dois recevoir la seconde livraison aujourd’hui. On a mis nos trésors sous clefs : les masques, le gel hydroalcoolique et l’eau de javel !

Opération javélisation - D.R.
Opération javélisation - D.R.

On javélise les couloir, les rampes, les poignées de porte trois fois par jour. Il y a une odeur de chlore dans tout l’établissement, on a l’impression d’être dans une piscine !

Au niveau médical, comment vous vous préparez en cas de Covid ?

On a un médecin coordinateur qui vient deux fois par semaine et qui est super. Là il est dans la maison pour travailler avec l’infirmière coordinatrice pour dire les stocks de médicaments dont on aurait besoin en cas de malades Covid. C’est une demande de l’ARS. On sait que ça sera difficile. L’ARS nous a annoncé qu’il y avait des tensions sur certains médicaments pour la sédation. Le Midazolam (Hypnovel) utilisé dans les fins de vie ou pour la sédation en réanimation est réservé pour l’hôpital. On n’en aura pas… Sauf si l’unité mobile de soins palliatifs de l’hôpital vient et en apporte. L’ARS nous a aussi prévenu que l’accès aux bouteilles d’oxygène serait difficile. Pour remplacer le Midazolam, nous aurions accès au Valium et au Rivotril, avec une dérogation pour cette utilisation pour la sédation (C’est un médicament utilisé normalement contre l’épilepsie, NDLR). L’hôpital n’exclut pas complètement qu’on puisse transférer un résident si besoin. On aussi anticipé un contact avec les pompes funèbres. C’est pas gai mais il faut...

Il y a un début de polémique à propos du Rivotril à cause de ces effets secondaires. Dans le Vidal, la bible des médicaments, il est déconseillé en cas de détresse respiratoire…

Oui, ça accélère la mort, d’accord, ce n’est pas la meilleure indication. Mais que voulez vous, une personne de 95 ans en détresse respiratoire… Il faut éviter la souffrance, éviter la suffocation. J’espère qu’on n’en arrivera pas là...

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