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par Jef

Homéopathie : quand Libé fait le SAV des pseudo-sciences

Le nawak à dose allopathiques

Dans son édition du week-end, Libération entend « refaire le match » sur un « débat passionné ». En réalité, le quotidien assure sans aucun complexe le service après-vente de l'homéopathie.

Du sucre - designfoto - CC0 1.0

Derrière la Une du quotidien de presse nationale, donc forcément sérieux, ce sont plusieurs articles qui prétendent faire un état des lieux sur l'efficacité de l'homéopathie. Après l'annonce par la ministre de la santé, Agnès Buzin, qu'elle envisageait une «évaluation scientifique » préalable au déremboursement des médicaments homéopathiques, une tribune signée par de nombreux professionnels de santé alertait dans le Figaro sur les dangers des « médecines alternatives », en tête desquelles l'homéopathie. Libération allume donc un contre-feu, sous la forme d'une interview du docteur Jean-François Masson, qui a bloqué l'aiguille du bullshitomètre dans le rouge et provoqué de vives réactions sur les réseaux sociaux.

Efficace et pas cher, c'est Masson qu'elle préfère

Dès le chapô, le ton est donné, on comprend que l'auteur de l'interview est totalement neutre dans ce « débat passionné », et que l'interviewé va être sacrément secoué :

Le médecin homéopathe Jean-François Masson défend l’efficacité de sa pratique, soulignant également son aspect préventif, facteur à terme d’économies.

Notre intuition est d'ailleurs confirmée dans le premier paragraphe, où l'on nous apprend que le bon docteur Masson, « médecin de renom » a « le calme de ceux qui en ont vu d’autres ». Le genre de mecs qui vous soigne un inflammation du côlon d'un simple regard au dessus de « ses petites lunettes cerclées ». Évidemment qu'il en a vu d'autres, pensez-vous ! Lui qui se prend sur le pif les « scuds qui tombent sur sa spécialité ». Spécialité sur laquelle la journaliste porte un jugement tout à fait objectif, cela va sans dire.

Une de Libération
Une de Libération

Mais qui donc lâche sur le bon professeur Masson ce tapis de missiles ? Des « soi-disant scientifiques », évidemment ! Alors que « de nombreuses expérimentations en double aveugle ont été conduites sur l’homéopathie ». C'est vrai, mais elles ont conclu qu'elle n'avait pas plus d'effet qu'un placebo. Le docteur, lui, soutient le contraire, mais ne cite aucune étude.

Ah, si ! Les travaux australiens mentionnés par les auteurs de la tribune « mensongère » parue dans le Figaro. Une étude « biaisée du point de vue statistique, avec une méthodologie criticable », pour notre toubib à roulettes. L'auteur de l'article, malheureusement, a omis d'interroger le médecin-qui-en-a-vu-d'autres sur ces biais statistiques et défauts méthodologiques. Un oubli, sans doute. Ou peut-être aurait-ce été un manque de respect manifeste vis-à-vis d'un praticien-à-lunettes-cerclées disposant d'une « expertise supplémentaire » basée sur une « méthodologie rigoureuse acquise après de nombreuses années d’enseignement et d’expérience ». Car, voyez vous, « de nombreuses études » ont montré des résultats « largement au-dessus des 30 % du placebo ». Lesquelles ? Mystère. Mais parait-il que la Suisse « fournit un exemple très intéressant ». Après trois ans d'essais, nos voisins helvètes se seraient rendus compte que « ça marchait très bien ». Peut-être le docteur Masson fait-il allusion au fameux « Swizz Report », qui a fait son entrée dans le RationalWiki ?

Les mauvaises interprétations du rapport par les homéopathes étaient si répandues que le Bureau Fédéral Suisse de la Santé Publique (FOPH) a dû publier un communiqué dans le Swiss Medical Weekly où il déclarait explicitement que le rapport n'était pas officiellement soutenu, et répétant le fait que le FOPH se positionnait contre l'homéopathie et autres escroqueries, et qu'elles étaient actuellement remboursées pour des raisons politiques, et non médicales.

Homéopathie Jedi

La preuve irréfutable de l'efficacité de l'homéopathie étant acquise par le truchement de l'autorité du docteur Masson, que l'on croira donc sur parole, passons maintenant au volet prévention. Surprise, il n'a rien contre l'effet placebo. Le « corps qui se guérit tout seul », c'est en effet merveilleux. Enfin tout seul, façon de parler. Au préalable, il aura tout de même fallu que les consultations chez un homéopathe vous aient permis de lever les « barrages » créés pour « des raisons émotionnelles, diététiques, des déséquilibres de vie, ou d’autres raisons ». En « allopathie » (bizarrement, un terme utilisé seulement par les homéopathes), ces salopards de médecins soi-disant scientifiques lanceurs de scuds ne soigneraient en effet « que les symptômes », là où l'homéopathe se chargerait, seul contre tous, de « détricoter le symptôme et l’intégrer dans la problématique d’ensemble ». Et nous qui pensions bêtement que la médecine traitait aussi les maladies… Merci, docteur Masson !

Pour parachever cette merveille, il ne nous manquait que le facteur économique. Le journalisme chevillé au corps, toujours prompte à pousser le docteur dans ses derniers retranchements, la journaliste rappelle que « l’homéopathie ne représente que 1 % des médicaments remboursés par la Sécurité sociale ». Dès lors, s'interroge-t-elle, « comment expliquer la charge des allopathes pour un déremboursement ? ». La charge, les scuds, toussa. C'est vrai qu'à deux euros le tubes de granules, ce n'est pas très cher. Sauf peut-être au kilo, si l'on compare à du sucre en poudre, ou si l'on tient compte du fait que les consultations ne sont pas gratuites, mais passons. Dès lors, on comprend que notre Alexander Fleming de la granule soit très farouchement opposé à ce que les médicaments homéopathiques subissent la même procédure que les vrais médicaments « allopathiques ». À « 20 millions d'euros » l'unité pour « 3 500 médicaments », c'est sûr que ça piquerait un peu. Les taquins argueraient du fait que, si l'homéopathie avait à suivre le même genre de contrôles, il y en aurait subitement beaucoup moins, des « médicaments homéopathiques ». Mais nous, on est pas comme ça.

Tout entier consacré à son Art, le bon docteur trouve pourtant le temps de nous régaler de ses fulgurances. Dans Libération, bien sûr, mais aussi dans des contextes plus confidentiels. On ne se lasse pas de cette merveille sur l'intuition. On y lit que, non content d'en avoir vu d'autres derrière ses lunettes cerclées, le docteur sait ce que ses patients « ont avant même qu’ils n’ouvrent la bouche ». Au point que cette sorte de « choc esthétique » lui « fiche la trouille ». C'est sûr que ça doit coller les miquettes, surtout cette « impression de toute-puissance » qui va avec. Du coup, il fait gaffe pour ne pas finir comme l'un des gourous du « Temple Solaire », qui était pourtant un mec bien à la base, « un grand homéopathe ». Forcément ça aide pour être un mec bien, d'être homéopathe, mais c'était aussi « un homme formidable, génial, compétent, sérieux, sorti d’une très bonne école ». La toute-puissance de l'homéopathie lui a visiblement fait gonfler le melon jusqu'à l'explosion, d'où le contrôle strict que le bon docteur exerce sur sa propre force. Grand pouvoir, responsabilités, Spiderman, vous voyez le topo.

Très investi, il est par ailleurs co-fondateur d'Homéopathes sans Frontières, ce que Libération a bêtement oublié de noter. Ce serait dommage qu'on le garde rien que pour nous, le bon docteur, non ? Alors on le prête aussi aux Africains, histoire qu'il leur « dynamise au mieux le terrain ».

Chapeau, Libé.

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