Guerre en Ukraine : 60 milliards de dollars pour rétablir l’équilibre
Mais cela sera-t-il suffisant pour reconquérir le territoire ?
Après des mois de bras de fer, la Chambre des représentants américaine a voté un paquet d’aide pour soutenir l’Ukraine, alors que son armée est bousculée par l’offensive russe.
              Mieux vaut tard que jamais. Après des mois de tergiversations et de blocages politiques des Républicains, le paquet d’aide américaine pour l’Ukraine a été voté samedi soir par la Chambre des représentants à majorité républicaines. « Pour le dire franchement : je préfère envoyer des munitions à l’Ukraine qu’envoyer nos garçons se battre », avait déclaré vendredi le chef républicain de la Chambre, Mike Johnson, pour justifier son revirement, ajoutant : « Ce n’est pas un jeu. Ce n’est pas une blague. On ne peut pas faire des calculs politiques à ce sujet. Il faut faire ce qui est juste, et je vais permettre à chaque membre de la Chambre de voter en conscience et selon sa volonté. »
Ce vote d’une nouvelle enveloppe de 60,8 milliards de dollars (57 milliards d’euros) est significatif. Entre janvier 2022 et le 15 janvier 2024, l’aide bilatérale américaine représente 74,3 milliards de dollars, en incluant l’aide militaire, économique et l’assistance humanitaire.
Cette décision a déchiré la Chambre des représentants. Si 210 élus démocrates ont voté favorablement, la moitié des républicains ont voté contre, poussée par une minorité radicale du Parti républicain, représentant le mouvement MAGA (Make America Great Again). Mike Johnson était lui même sous pression. Trois élus affiliés au MAGA l’ont menacé d’un vote de défiance. « Il était aussi sous pression des élus républicains qui ont toujours voulu soutenir l’Ukraine et des évangélistes ukrainien, église dont il est membre, explique Nicolas Tenzer, philosophe politique et auteur de Notre Guerre. Dans l’entourage même de Trump, beaucoup n’avaient pas envie de voir la Russie humilier les Etats-Unis. »
Le Sénat a confirmé le vote mardi 24 avril. Les premières armes pourraient arriver très vite sur le front, puisque l’armée américaine avait anticipé ce vote en renforçant ses stocks en Europe. Ce plan d’aide autorise aussi le président Biden à vendre des actifs russes confisqués pour qu’ils servent à financer la reconstruction de l’Ukraine. Si cette mesure est appliquée, jusqu’à 8 milliards de dollars pourraient être transféré en plus vers Ukraine.
En Ukraine, c’est le soulagement qui domine. « C’est un vote qui sauvera des milliers de vies », a réagi le président Zelensky. Car son armée, mise sous pression par l’offensive russe, manquait de munitions pour son artillerie et de missile pour la défense anti-aérienne. Mais le retard américain a coûté la chute de la ville d’Avdiivka et la destruction de près de la moitié des centrales électriques ukrainiennes…
Sans surprise, Dmitri Peskov, le porte-parole de Poutine, a déploré l’engagement américain : « Cette décision était attendue et prévisible. Elle enrichira davantage les États-Unis et ruinera encore plus l'Ukraine, et fera mourir encore plus d'Ukrainiens à cause du régime de Kiev. »
Que comprend cette somme qui peut paraître faramineuse ? Elle prévoit près de 14 milliards pour former et équiper l’armée ukrainienne ; 13,4 milliards pour compléter les stocks de l’armée américaine ; 7,3 milliards pour les opérations du Pentagone dans la région ; 13,7 milliards pour l’acquisition de systèmes de défense américains par l’Ukraine et enfin 10 milliards de dollars consacrés à l’assistance économique à destination des secteurs de l’énergie et des infrastructures qui seront octroyés sous la forme d’un prêt (pouvant être effacé).
« Ce paquet d’aide permettra à l’armée ukrainienne de tenir pour 2024, de rétablir un peu l’équilibre, de mieux protéger les villes, mais pas de reconquérir son territoire, estime Nicolas Tenzer. Les États-Unis restent au milieu du gué. Ce n’est pas une décision historique comme certains l’ont claironné sur les plateaux télé. »
De nombreuses zones d’ombre devront être levées dans les prochaines semaines. Quels types d’armes seront effectivement livrés par les américains ? Y aura-t-il (enfin) des missiles à longue portée (+ de 300 km) permettant de frapper les infrastructures logistiques lointaine comme le pont de Kertch qui relie la Russie à la Crimée occupée ? Y aura-t-il des avions de combat F16 supplémentaires ? Jusqu’à présent les avions promis à Kyiv sont donnés uniquement par des pays européens. Y aura-t-il des Bradley, le véhicule de combat d’infanterie le plus efficace dans les mains de l’armée ukrainienne, y aura-t-il des chars Abrams ?
« Ces presque 61 milliards ne régleront pas tout, analyse Stéphane Audrand, spécialiste des questions militaires. L’Ukraine a un problème de ressources humaines. Les russes multiplient les attaques pour mener une guerre d’attrition. Beaucoup de brigade ukrainienne sont usées, ce sont toujours les mêmes qui sont au front. » L’armée ukrainienne vient de lancer un audit de ses brigades. Certains appelés monnaierait leur affectation dans des brigades territoriales qui ne vont jamais au front et restent dans des zones calmes. « Le pouvoir ukrainien connaît de vrai problème politique en ce moment, décrypte Stéphane Audrand. La gestion des forces est problématique et il n’arrive pas à prendre la mesure de la situation sur le terrain. »