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par Jacques Duplessy

Grand débat national : une parole fluide mais des doutes sur l'issue

Reportage à Villiers-le-bel

Reflets s’est rendu vendredi soir dans cette ville du Val d’Oise. Beaucoup des participants disent jouer le jeu mais douter de la sincérité de Macron

Débat national à Villiers le Bel - © Reflets

Une dame âgée voilée monte péniblement les marches de la mairie de Villiers-le-bel, une commune du Val-d’Oise. Mais elle tenait absolument à participer au débat national. Dans la salle des fêtes, des tables de huit ont été disposées. Les participants s’installent. A 20h, la salle affiche complet avec environ 70 participants.

« J’ai décidé de jouer le jeu en organisant cinq débats dans ma ville, un par quartier, déclare Jean-Louis Marsac, le maire divers gauche. Et pourtant je ne suis pas du tout macroniste. Mais c’est important de donner la parole aux citoyens. Aucun élu ne prendra la parole ce soir. Nous ne voulons pas avoir l’impression de récupérer le débat. Je suis là pour observer, on laisse parler, on observe. » Dans un coin de la salle, un autre observe discrètement avec intérêt : c’est Youssef Elouargui, le responsable local et départemental de la République en marche.

« Nous enverrons toutes les contributions brutes, sans synthèse, au préfet, détaille le maire. Ensuite, je ne sais pas comment ça sera traité. J’espère que ça servira à quelque chose… »

Colette, une responsable d’un conseil de quartier, a été choisie pour lancer et animer le débat. « L’important, c’est de vous écouter. Chacun est libre de s’exprimer, quelques soient ses opinions. Je vous demande de choisir un rapporteur pour qu’il note sur la feuille tout ce qui est proposé pour les quatre thématiques du débat : la transition écologique, la fiscalité, la démocratie et la citoyenneté, l'organisation de l'État et des services publics. Et le rapporteur dira à haute voix à la salle ce qui a été écrit. »

Ça discute ferme - © Reflets
Ça discute ferme - © Reflets

Les discussions s’animent sur les tables. La parole est souvent fluide. Les gens s’écoutent, débattent.

Quelques participants semblent avoir du mal a comprendre les consignes et à écrire en français. Colette passe de table en table pour réexpliquer et vérifier que quelqu’un notera pour ceux qui ont du mal à s’exprimer.

Sur la fiscalité, le retour de l’ISF est très demandé. « Mais il faut aller plus loin, déclare un retraité. Il faut lutter contre l’évasion et l’optimisation fiscale. Certains cabinets d’avocat organisent la fraude. Ce n’est pas acceptable. » La déclaration recueille l’assentiment des participants.

Sur le vote obligatoire demandé par l’un, le débat s’installe. « Je ne suis pas d’accord, c’est attentatoire à la liberté. » « Mais après les gens disent qu’on ne prend pas en compte leur parole… Ça ne va pas. Et dans l’histoire, certains se sont battus pour ça. C’est la base de la démocratie. » « Oui, mais alors, il faut reconnaître aussi le vote blanc, car on ne se sent pas représenté par ceux qui sont élus. »

Pouvoir révoquer les élus

« Il faut aussi pouvoir révoquer les élus. Ils se font élire sur un programme, puis ils font autre chose. Ils doivent dire clairement leur programme, le respecter. Et sinon, dehors ! » La plupart sont d’accord. « Il faudrait aussi plus de consultation des citoyens. On ne peut pas voter que tous les cinq ans. Il n’y a pas assez de contrôle citoyen. » L’échange part ensuite sur la proportionnelle. « Il faut que les différents partis soient mieux représentés à l’Assemblée. Donc il faut la proportionnelle. » « Attention, car ensuite le pays est ingouvernable. Donc ça ne va pas. » Un troisième intervient : « Il faut une dose de proportionnelle, pas la proportionnelle intégrale. Je ne sais pas… 30 % ? » Un accord se fait sur cette proposition.

Post-it, bics, papier... - © Reflets
Post-it, bics, papier... - © Reflets

Un homme d’une cinquantaine d’années demande la parole : « Je veux qu’on parle de l’immigration. » On lui donne la parole. « Il faut lutter contre le discriminations, contre les intolérances raciales ou religieuses. Il faut que la loi soit aussi appliquée. » Le commentaire est noté, sans provoquer de débat. Ça sera la seule fois de la soirée où le thème sera abordé.

Colette annonce la fin des échanges. « On n’a pas fini, crie une dame. On en a des choses à dire ! » Dix minutes de rab sont accordés. L’ambiance ressemble à celle de fin de contrôle avant la remise des copies. Des tables noircissent des dizaines de post-it. Puis chaque rapporteur lit à voix haute les propositions du petit groupe. Certaines, comme la reconnaissance du vote blanc, le vote obligatoire ou le retour de l’ISF, reviennent plusieurs fois.

Soudain une personne crie : « Il faut ajouter qu’on rétablisse la peine de mort ! ». « Et revenir 50 ans en arrière » lance quelqu’un du tac au tac. Eclats de rire et haussements d’épaule dans la salle.

Ça débat... - © Reflets
Ça débat... - © Reflets

Le maire est satisfait du déroulé du débat. « C’est réconfortant de voir que l’on peut se parler, même si l’on n’est pas d’accord. C’est une expérience démocratique intéressante. Bon, j’ai repéré quelques militants de partis politiques dans les participants, c’est de bonne guerre, mais il y a des gens qu’on n’a pas l’habitude de voir.» Les participants sont, eux, plus sceptiques. « On joue le jeu, mais les politiques nous écouteront-ils ? », s’interroge une femme. « Le président déclare déjà qu’il gardera le cap, alors que nous demandons un changement de politique, donc je crains que ce débat ne serve à rien, juste à gagner du temps », déplore une autre. Youssef Elouargui, le représentant LREM, déclare : « On sait déjà 80 % des choses qui vont sortir du grand débat. Après il y aura 20 % de surprise et peut-être des bonnes idées. Mais il va y avoir beaucoup de propositions irréalistes. » Ce grand débat est-il utile : « Oui, oui », répète-t-il comme pour s’en convaincre.

Seule prise de parole du maire, il invite l’assemblée à manger une part de galette. « On va tirer Macron » lance un participant. Eclats de rires. Le roi Macron ferait bien de se rappeler que la Révolution française a démarré par des cahiers de doléances.

Les propositions énoncées lors du débat

Transition écologique

  • Développer le fer-routage et le transport fluvial (plusieurs fois)

  • Limiter les grands centres commerciaux

  • Taxer le kérosène des avions

  • Rendre la voiture électrique accessible et contraindre les constructeurs à accélérer la transition

  • Interdiction du glyphosate

  • Favoriser la biodiversité

  • Favoriser les circuits court pour l’alimentation

  • Rendre les longs trajets en train plus abordables pour éviter l’utilisation de la voiture

  • Développer le télétravail (voir rendre quelques heures obligatoires) pour diminuer les déplacements

  • Détruire les vieux véhicules diesel (et non les envoyer en Afrique)

  • Contrôler davantage les industriels pour le respect de l’environnement et de la santé

  • Lutter contre les lobbies qui empêchent la transition écologique

Fiscalité

  • Lutter davantage contre l’évasion fiscale, l’optimisation fiscale et les paradis fiscaux
  • Dette : problème des intérêts de la dette. « On ne fait que donner de l’argent à ceux qui nous en prêtent. »
  • Relever les planchers et les plafonds pour les impôts
  • Retour de l’ISF
  • Inventaire de toutes les niches fiscales et suppression de certaines
  • Diminuer la TVA sur les produits de première nécessité
  • Plafonnement des loyers
  • Mise en place du revenu de base
  • Augmentation du SMIC
  • Indexer les retraites et les salaires sur l’inflation
  • Tout le monde devrait payer un minimum d’impôt sur le revenu pour signifier qu’il est citoyen en participant à la dépense publique

Démocratie et citoyenneté

  • Question du lien entre population et policiers (« Dans nos cités, on a des problèmes avec certains policiers. »)
  • Rendre le vote obligatoire
  • Reconnaissance du vote blanc
  • Ecouter davantage les citoyens et pas seulement les experts
  • Les politiques doivent énoncer leur programme et l’appliquer strictement. Sinon, on doit pouvoir les virer
  • D’autre consultations populaires que le vote tous les 5 ans (référendum)
  • Une part de proportionnelle pour avoir un vrai équilibre à l’Assemblée
  • Les députés doivent être présents lors des votes (sinon jour de carence sur leur paie)
  • Droit de vote pour les étrangers
  • Donner plus de pouvoir aux régions (décentralisation)
  • Développer l’instruction civique à l’école
  • Réduire les avantages des élus
  • Plus de transparence pour éviter les conflits d’intérêts
  • Remettre la notion de solidarité en avant ; l’humain doit passer avant le capital

Organisation de l’Etat et service public

  • Problème de l’hôpital : manque de personnel et éloignement
  • Obliger les médecins à s’installer pour quelques années dans les déserts médicaux
  • Revoir les partenariats public privé (PPP) : toujours déséquilibré en faveur du privé

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