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par Jacques Duplessy

Grand débat : le Secours Catholique donne la parole aux plus démunis

Quand les "oubliés" s'expriment

Le Secours Catholique avait prévu de faire remonter la parole des plus démunis à l'occasion du mouvement des gilets jaunes. C'est finalement dans le cadre du grand débat national que cela a été organisé. Reportage.

Grand débat national à Selles-sur-Cher - Denis Meyer - Reproduction interdite

Le 22 janvier dernier, la neige n’a pas pas découragé les bénéficiaires et les bénévoles du Secours Catholique de Selles-sur-Cher, une petite commune de 4600 habitants du Loir-et-Cher. Il sont environ vingt-cinq à participer à l'une des multiplies propositions de l’association proposées dans toute la France.

Au siège de l’ONG, le mouvement des Gilets Jaunes n’est pas passé inaperçu, bien avant l’idée de grand débat national. « Nos délégations nous ont fait remonter que des bénéficiaires et des bénévoles de notre association étaient engagés ou soutenaient les Gilets Jaunes, raconte Claude Bobey, son directeur animation et engagement. Nous avons décidé de faire une proposition d’animation à toutes nos délégations pour que la parole des plus pauvres soient prise en compte. Et puis est venue cette idée de débat national. Donc on s’est greffé dessus. Car nous craignions que les plus démunis ne se rendent pas dans les rencontres en mairie. »

Eve Casanova, la déléguée départementale, a fait le déplacement pour animer le débat. Sur le paperboard, elle écrit au feutre bleu : « En quoi ce qui s’exprime dans le mouvement social actuel me concerne et me touche dans mon quotidien ? »

« On est des oubliés ici, lance Agnès. Pour le transport notamment. C’est un frein pour tout le reste de notre vie. » La question de l’égalité dans ce département rural est au centre des préoccupations.

Pour ce public plutôt âgé ou souffrant de handicap, l’accès aux soins est un vrai problème « Depuis le décès de mon médecin à Selles, je n’ai pas trouvé de successeur ici. Je vais à Saint-Aignan, 28 kilomètres aller-retour… Et encore, moi j’ai une voiture. » Yvonne renchérit : « Mon médecin part à la retraite en octobre. Et moi, je n’ai pas de moyen de me déplacer. Que va-t-on devenir ? » Un des rares hommes de l’assemblée, Dominique, ajoute : « Et on ne parle même pas des spécialistes, comme les ophtalmos. Là c’est 6 mois à un an d’attente ! » Nathalie raconte comment elle a dû aller jusqu’à renoncer aux soins. « Mon généraliste m’a prescrit des séances de kiné. Mais celui de Selles ne prend pas de nouveaux patients. J’en ai trouvé un à Romorantin, à 18 kilomètres de chez moi. Mais je n’ai pas l’argent pour me payer le carburant pour y aller. C’est ça ou manger ! Alors je n’y vais pas, tant pis. ».

« Il y a aussi la question des services publics, dit Michelle. Le bureau de poste est de moins en moins ouvert, on se demande combien de temps il va durer. » « Ce qui nous éclate à la figure avec les Gilets Jaunes, c’est la fracture sociale, le manque de liens, analyse Christiane. On se sent laissés pour compte, on a de plus en plus d’angoisse par rapport à l’avenir. » Agnès rebondit : « Pour accéder aux services publics, c’est de plus en plus sur Internet. Déjà, nous n’avons pas tous Internet ici. Ensuite on ne sait pas toujours remplir les démarches en ligne. Il faudrait remettre des permanences de service public de proximité. Et en plus, quand on téléphone, par exemple à la sécurité sociale, c’est un numéro payant. Ce n’est pas normal. »

La question d’une juste répartition des richesses émerge. « Je n’ai pas tout de suite été contre l’augmentation de la CSG pour les retraités, je me suis dit, les plus pauvres auront plus, ça va dans le sens de l’égalité, dit Christiane. Puis je me suis rendue compte que non… Au final je pense que c’est une injustice, et qu’on aurait pu prendre chez les plus aisés. »

« Alors maintenant qu’est-ce que vous voyez comme solution, lance Eve. Imaginez que nous sommes un conseil des ministres où on puisse tout mettre sur la table, vous diriez quoi ? » Quelques rires fusent. Et puis un long silence. Difficile d’imaginer des solutions quand on n’a rarement été écouté. Dominique lance : « Il faudrait que les politiques prennent conscience de la misère. Ils sont sur une autre planète... » Christiane lève la voix : « On peut reprendre de l’argent, il y en a ! » « Oui, dit Dominique, le CAC 40, on connaît pas trop ici, mais j’ai lu ce matin qu’ils avaient fait des gains supplémentaires, qu’ils avaient plus redistribué aux actionnaires et payé moins d’impôts. Ce n’est pas normal. Les réductions d’impôt devraient s’accompagner d’une obligation de réinvestissement. » « Pour lutter contre le manque de médecins, on devrait leur imposer de devoir quelques années à l’État. L’État paie les études mais en contrepartie ils doivent aller un temps dans les déserts médicaux. » Finalement, peu de solutions ont été proposées. Et la moitié des participants n’a pas ouvert la bouche de la rencontre.

« On sent de la résignation, dit Eve. Il y a peu de conscience politique. » Le délégué régional venu en support se masse les poignets. Il a pris en notes sur son ordinateur tout ce qui a été dit. « Nous allons envoyer tous les comptes-rendus au siège, explique Eve Casanova. Là, une synthèse sera faite avant d’être communiqué à l’État. C’est encore un peu flou pour le moment, on ne sait pas à qui on devra l’envoyer. ».

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