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par Jet Lambda

Google condamné à 7 minutes d'amende

Ceci étant dit, ayons quand même un peu plus d'empathie pour Peter. Ce n'est qu'une victime après tout, victime expiatoire de l'acharnement d'une autorité qui cherche à se faire voir. En se payant un poids-lourd de l'internet — avec une bonne petite fuite dans Le Parisien, ça passe mieux —, cela redore son blason de "chevalier blanc" au moment où son rôle est devenu insignifiant face aux grands chantiers de l'Etat en matière de profilage des populations.

Le type sur la photo qui s'exhibe en maillot de bain n'a rien à cacher. Et pour cause: c'est Peter Fleischer, le déontologue en chef de Google Inc. (Chief Privacy Officer). Depuis ce matin, c'est un contrevenant puisque sa boite vient de récolter une amende de 100.000 euros infligée par la CNIL, à propos de son service de cartographie numérique Google Street View. 100.000€ d'amende, c'est une certaine somme. Quoique, rapporté en dollars et ramené à ses profits, ça doit représenter à peu près 7 minutes d'activité (*).

Cette petite punition est d'autant plus symbolique qu'elle ne sera exigible que lorsque Google aura épuisé toutes les voies de recours. Et elle ne se gênera pas pour les épuiser. Peter Fleischer a toujours tiré à vue sur les multiples réglementations en vigueur dans l'Union européenne en matière de gestion des données personnelles. Et ce n'est pas la première fois que Google se fait malmener sur cette histoire Street View.

Vous connaissez l'histoire : en laissant divaguer ses "Google Cars" dans les rues de toutes les villes du monde, les snifers de Google ont flairé en même temps des éléments privés transitant via les réseaux Wifi.

Quoi au juste? «Captation de données dite "de contenu" (identifiants, mots de passe, données de connexion, échanges de courriels», précise la Commission.

Mais c'est pas tout. La CNIL met aussi en cause son service géolocalisé (Latitude), qui continue de capturer à la volée des données personnelles à l'insu des personnes:

«En effet, cette collecte n'est aujourd'hui plus réalisée par les "Google cars", mais s'opère directement par le biais des terminaux mobiles des utilisateurs se connectant au service de géolocalisation Latitude (smartphones, etc.), et ce à leur insu. La CNIL considère que ce défaut d'information constitue une collecte déloyale au sens de la loi, qui était déjà à l'œuvre avec les "Google cars". (...) «[La CNIL] reproche à GOOGLE de contester l'application de la loi française au service Latitude, et d'avoir ainsi refusé de déclarer à la CNIL malgré deux demandes en ce sens.»

Malgré d'habiles contritions d'usage — ce n'était pas volontaire, c'était juste plus pratique comme ça... — Google a subi tout un tas de tracasseries dans une multitude de pays. Dernier en date: l'Italie, où le parquet de Rome a ouvert une enquête en février dernier, bien que Google ait accepté d'annoncer dans les médias locaux le passage de sa voiture-caméra 3 jours avant... D'autres autorités comme la CNIL ont vu rouge, en Allemagne, Suisse, République Tchèque, et j'en passe. Le groupe "G29" des CNIL européennes en a rajouté une couche plus récemment.

Peter Fleischer, rentré de ses vacances à la montagne, va sans doute très vite reprendre sa plume pour dénoncer cette mascarade ou cet affront (au choix). Le grand Manitou de la privacy attitude chez Google — après avoir exercé le même poste ou presque chez Microsoft — a en effet l'habitude de pérorer sur son blog pour nous faire partager ses états d'âme.

Le plus drôle, c'est le réflexe qu'il développe dès que son employeur est accusé de jouer au grand méchant Big Brother : il révèle une partie de sa propre intimité.

Une photo en maillot de bain [reproduite en Une — désolé, Peter...], une autre au tennis, une autre à la montagne, encore une autre de l'immeuble parisien où il réside (son poste est basé à Paris)... Sur le thème: Moi, Peter, Google Chief, adulte et vacciné, je n'ai rien à cacher — même si cet exhibitionnisme forcé rappelle plutôt les albums de Martine...

«N’ayons pas peur d’Internet», pleurait-il dans les colonnes de Libération, il y a 2 ans, pour défendre Street View. «N’ayons pas peur, par principe, du progrès et des avancées technologiques qu’il implique.» Beau comme du Martin Luther King.

Dans son communiqué du jour, la Commission reproche surtout à Google de l'avoir pris de haut. C'est écrit entre les lignes. Entre réponses tardives ou insuffisantes, mensonges par omission et un manque de coopération (Google n'a par exemple toujours pas fourni d'«éléments du programme informatique ayant conduit à la collecte des données Wi-Fi»), on sent que la Commission a cherché à se faire respecter.

Dès qu'il se sent persécuté, il est mordant Peter Fleischer. Toujours partant pour questionner les lois liberticides, mais seulement lorsqu'elles compliquent son business model. C'est le cas du dernier décret français sur les données d'identification : bouh, c'est pas bien de vouloir capturer les mots de passe de force! Alors que c'est pour cette raison, entre-autre, que Street View est si critiqué... Quand au débat sur le «droit à l'oubli», il se demande si ce n'est pas une manoeuvre déguisée pour imposer la censure. Quelle clairvoyance... Et la rétention des données légales? Mais c'est un vrai foutoir, dit-il en substance, alors comment voulez-vous qu'on s'en sorte quand on est une société transnationale?

Une autre fois, à propos des réglementations sur les cookies, son fond de commerce, il se pose cette question cruciale, digne d'Henri Leconte: «Imagine if tennis had different rules in every country: Cookie Confusion comes to the Continent» ("imaginez si les règles du tennis étaient différentes dans chaque pays"...).

Et oui Peter, Dura lex, sed lex. Et Panem et circenses!

Ceci étant dit, ayons quand même un peu plus d'empathie pour Peter. Ce n'est qu'une victime après tout, victime expiatoire de l'acharnement d'une autorité qui cherche à se faire voir. En se payant un poids-lourd de l'internet — avec une bonne petite fuite dans Le Parisien, ça passe mieux —, cela redore son blason de "chevalier blanc" au moment où son rôle est devenu insignifiant face aux grands chantiers de l'Etat en matière de profilage des populations. Ses remarques zappées par le gouvernement dans la LOPPSI-2 en est l'ultime exemple. De toutes façons, la CNIL est le gendarme informatique des entreprises, comme l'a dit son président Alex Türk devant les députés le 14 septembre 2010: «Depuis 2004, 90% de notre activité est tournée vers le secteur privé». Alors qu'avant la réforme de 2004, c'était l'inverse, 85% du temps était consacré aux activités de l'Etat.

Accessoirement, voir face à face deux ancien lauréats des Big Brother Awards (ici en 2007 et là en 2010), ça a de la gueule, non?


(*) Résultats nets du dernier trimestre 2010: 2,54 milliards de dollars. Divisé par 90 jours, cela donne 28,2 millions, soit un peu plus d'1 million par heure et 19.600$ la minute.

 

PS - Si les photos canons de Peter disparaissent de cette page, c'est qu'il aura décidé de les cacher, finalement (après tout lui aussi a droit à l'oubli), car nous n'avons fait que copier dans le code les adresses des fichiers originaux. C'est plus prudent, des fois qu'il nous reproche de les avoir copié déloyalement.

 

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