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par Frédéric Brillet

« Giorgia Meloni doit son succès au fait qu'elle incarne la nouveauté »

Analyse du succès du parti d'extrême droite Fratelli d'Italia arrivé en tête aux élections législatives italiennes

Ce parti populiste, anti-establishment et méfiant envers l’Europe et qui assume une continuité avec l'héritage de Mussolini est devenu la première formation politique avec 26% des voix. Marc Lazar, spécialiste de l’Italie et professeur émérite d'histoire et de sociologie politique à Sciences Po et Président de la School of government de l'université LUISS à Rome, décrypte sa fulgurante ascension.

Page Facebook de Giorgia Meloni - Copie d'écran

Décrivez nous Fratelli d'Italia. Comment le qualifiez-vous sur l'échiquier politique ?

Marc Lazar : C’est difficile de trouver un qualificatif unique d’autant que ce parti ne cesse d’évoluer. Il n’est pas fasciste comme l’était celui de Mussolini qui comportait des éléments armés, quand bien même le symbole de la flamme qu’arbore Fratelli d'Italia marque une continuité. C’est un parti populiste, anti-establishment et méfiant envers l’Europe. Giorgia Meloni défend par ailleurs des positions souverainistes nationalistes, identitaires et conservatrices sur les questions sociétales. Elle considère ainsi que le droit national doit primer sur le droit européen, qu’être italien c’est avant tout être chrétien. Qu’il faut promouvoir la famille traditionnelle et la natalité, le droit du sang, combattre l’avortement et le lobby LGBT qui menacerait ces valeurs. Ce qui ne l’empêche pas de changer d’avis sur des points essentiels : par exemple, elle a cessé de prôner la sortie de l’Union européenne et de l’euro quand elle a réalisé que l’opinion italienne, quoique critique, y était attachée.

Comment Fratelli d'Italia est-t-il parvenu à marginaliser la Ligue de Salvini ? Et qu’est-ce qui les différencie ?

La ligue de Salvini s’est effondrée du fait des positions incohérentes de son leader lors de la crise sanitaire et pour avoir participé au gouvernement de Mario Draghi, ce qui la fait apparaître comme un parti de l‘establishment. Conséquence, aux élections législatives, presque 40% des électeurs de Salvini ont voté pour Meloni qui incarne la nouveauté et une véritable alternance. Fratelli d’Italia s’en distingue par sa vision centralisatrice de la conduite des affaires qui s’oppose à celle de Salvini, partisan d’accorder encore plus d’autonomie aux régions. En outre, Salvini a toujours récusé toute filiation même lointaine avec Mussolini et n’a pas condamné l’invasion de l’Ukraine quand Giorgia Meloni soutient cette dernière dans sa résistance à l’envahisseur.

Quelles sont les raisons de son succès aux législatives ?

D'après les sondages, les électeurs avaient ces derniers mois comme préoccupations essentielles l’inflation et le chômage, la question migratoire venant très loin derrière. Giorgia Meloni a su adapter son discours durant la campagne en se focalisant sur les questions sociales. Ce qui ne l’a pas empêché de faire de bons scores dans les villes dotés d’un fort taux d’immigrés. Elle doit aussi son succès au fait qu’elle incarne la nouveauté: elle n’a pas été au gouvernement depuis très longtemps et c’est une femme qui s’impose dans un milieu politique machiste, quand bien même elle n’a rien d’une féministe. Son ambivalence lui permet de ratisser large: elle critique vertement l’Union européenne mais affirme vouloir y rester. Elle défend le Made in Italy porté par les PME, promet d’alléger les taxes, la réglementation en préservant une part de protection sociale. Elle affirme la fierté d'être italien, promet de valoriser le patrimoine culturel et les grandes figures nationales dans les programmes scolaires. Tout cela lui vaut de séduire dans toute la péninsule un électorat hétéroclite implanté surtout dans des villes petites et moyennes. Nombre d’artisans, commerçants, petits patrons, mais aussi salariés des classes populaires en difficulté économique ont voté pour elle. Arrivant en tête de la coalition de droite devant Forza Italia de Berlusconi et la Ligue de Salvini, elle se trouve en bonne position pour devenir Présidente du Conseil.

A quoi faudra t-il alors s'attendre ?

Sur le plan intérieur, elle doit former son gouvernement en accord avec ses alliés et trouver pour les grands ministères des noms qui rassurent, sachant que le Président de la République doit donner son feu vert. La rumeur affirme qu’elle optera pour des profils techniciens. Au niveau européen, sa marge de manœuvre est limitée car l’Italie, très endettée, a besoin du soutien de Bruxelles pour son économie. Je ne crois donc pas qu’elle rompe mais elle pourra tendre la corde en votant avec d’autres partis d’extrême-droite sur certains sujets. Ce que son parti a déjà fait en refusant au parlement européen de condamner la dérive autoritaire de la Hongrie, et ce à l’instar du Rassemblement National. Cela dit, ses liens avec ce dernier ont été jusque-là plutôt discrets et distants car Meloni craignait qu’une trop grande proximité nuise à sa stratégie de normalisation. Par ailleurs, quand Marine Le Pen critique l’islam au nom de la laïcité, la leader de_ Fratelli d’Italia _le fait au nom des valeurs chrétiennes. Et à Bruxelles, les deux partis ne sont pas rattachés au même groupe parlementaire.

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