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par Juliette Loiseau

G20 présidé par l’Arabie saoudite : l’économie plus forte que les droits humains

Mohammed ben Salmane continue de s’acheter une bonne image

Ce week-end, l’Arabie Saoudite préside le sommet du G20. Alors que le pays poursuit son opération séduction sur la scène internationale, les appels se multiplient pour demander la libération des défenseurs des droits humains emprisonnés par le royaume wahhabite.

Mohammed bin Salman net Nicolas Sarkozy en 2018 - Kremlin - Wikipedia - CC

La répression est impitoyable contre les défenseurs des droits humains en Arabie Saoudite. « Ils sont soit en prison, soit en exil » confirme Katia Roux, chargée de plaidoyer Libertés à Amnesty International France. « Aucune liberté d’expression ou d’action pacifique n’est tolérée. Les militants subissent des arrestations arbitraires, des tortures, des mauvais traitements et sont maintenus en détention avec des simulacres de procès ». Les coulisses du royaume wahhabite contrastent avec l’image que le pays donne sur la scène internationale. Ces dernières années, le prince héritier Mohammed ben Salmane a adopté une série de réformes, fortement médiatisées, en faveur des droits humains. « Ces réformes vont dans le bon sens, mais elles sont très insuffisantes » réagit Katia Roux. « Le système de tutelle très répressif est toujours en place. Les femmes sont toujours victimes en droit et en pratique en Arabie Saoudite ». Amnesty International et d’autres ONG souhaitent ainsi que ce G20, sous présidence saoudienne, soit l’occasion pour les Etats d’appeler à la libération de ces défenseurs et militants des droits humains. « Les femmes ont accès à des petits droits, mais les vrais sujets comme le mariage, l’accès au travail ou aux voyages à l’étranger ne sont pas abordés » réagit Albane Gaillot, députée Ecologie Démocratie Solidarité. « Dès lors que vous êtes une citoyenne saoudienne, et que vous militez pour vos droits, pour ne plus subir de violences, vous êtes emprisonnées. Les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes droits en Arabie Saoudite ». Avec 19 députés et députées français, elle a adressé une lettre à Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires Etrangères, pour que la libération des féministes saoudiennes emprisonnées soit exigée à l’occasion du G20. « J’attends que la France ait une diplomatie féministe, qu’elle fasse respecter ses engagements et ses valeurs au-delà de ses frontières. Alors que la grande cause du quinquennat est celle des droits des femmes, la France a un rôle à jouer auprès de l’Arabie Saoudite ».

Des réformes progressistes et une répression qui se durcit

D’autant que les militantes qui se sont battues pendant des années pour obtenir ces changements sont aujourd’hui emprisonnées. C’est le cas de Loujain al-Hathloul, détenue depuis 2018, sans savoir réellement pour quels faits. Cette militante saoudienne de 31 ans se bat depuis des années pour obtenir les mêmes droits que les hommes. Sa première arrestation a lieu en 2013, suite à la diffusion d’une vidéo sur les réseaux sociaux où elle conduit une voiture, de retour de l’aéroport. Elle est détenue pendant 73 jours. En 2014, la loi change et autorise les Saoudiennes à voter et être candidates aux élections municipales. Loujain Al-Hathloul se présente. Après un premier refus, les autorités saoudiennes acceptent mais son nom ne sera pas mis sur les bulletins électoraux. En 2016, la militante est de nouveau arrêtée, avant d’être relâchée pour avoir signer une pétition pour l’abolition du système de tutelle masculine. En mai 2018, elle est de nouveau mise en prison.

Loujain al-Hathloul - OTRS system - Wikipedia - CC BY-SA 4.0
Loujain al-Hathloul - OTRS system - Wikipedia - CC BY-SA 4.0

Elle y a subi un mois complet à l’isolement, la privation de contacts avec sa famille, tortures et violences sexuelles. Le 28 octobre dernier, elle a entamé une grève de la faim pour pouvoir contacter sa famille. Comme Loujain al-Hathloul, au printemps 2018, plusieurs militants saoudiens de premier plan sont arrêtés, suivis, les semaines suivantes, par d’autres défenseurs des droits humains. Plusieurs d’entre eux, dont Loujain al-Hathloul, sont emprisonnés pour être entrées en contact avec des journalistes, militants et organisations internationales étrangers, mais aussi d’avoir fait campagne pour les droits des femmes et l’abandon du système de tutelle masculine. « Avec cette répression des militants saoudiens, l’Arabie Saoudite envoie un signal : ces réformes en faveur des droits humains ne sont pas une victoire de la société civile, elles n’interviennent pas après des revendications de longue lutte, mais sont uniquement le fait du prince héritier qui s’affiche comme un réformiste » décrypte la chargée de plaidoyer d’Amnesty International. « A titre de preuve, on peut évoquer la levée de l’interdiction de conduire pour les femmes. L’annonce est faite fin 2017. Dès lors, des militantes reçoivent des menaces et pressions pour ne pas parler publiquement de ces mesures. Puis, un mois avant la levée effective de l’interdiction, les autorités saoudiennes opèrent une vague d’arrestation des activistes, toujours emprisonnés ».

Les droits humains face aux intérêts économiques

Alors que le royaume tente de redorer son blason auprès des investisseurs étrangers, en coulisse, la répression s’accroit. Car la raison de cette hypocrisie est bien économique. En 2016, l’Arabie Saoudite a mis en place un plan de développement, Vision 2030, pour sortir le pays de sa rente pétrolière. « Le royaume a besoin d’attirer des investisseurs privés » confirme Katia Roux. L’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, en 2019, a terni son image.

CC-BY-2.0 - April Brady - Wikipedia - CC-BY-2.0
CC-BY-2.0 - April Brady - Wikipedia - CC-BY-2.0

Le royaume dépense depuis des millions de dollars pour conclure des accords économiques et commerciaux, notamment avec la France, devenu un partenaire stratégique de l’Arabie Saoudite. A la lettre d’Albane Gaillot et des députés française, le cabinet du ministère des Affaires étrangères a répondu que la France avait toujours été assez ferme sur ces sujets avec l’Arabie Saoudite et continuerait à l’être. Au point de se fâcher avec son deuxième client d’armes ?

Rien n’est moins sûr. Si Emmanuel Macron a déjà pris la parole sur le sujet, comment en mars 2019 en évoquant Loujain al-Hatloul et espérant sa libération, ou participant aux déclarations de l’ONU pour interpeller l’Arabie Saoudite, l’Etat français se limite à de bonnes intentions. « La France doit passer de la parole aux actes, évoquer les cas de ces défenseurs emprisonnés, et obtenir leur libération » insiste la chargée de plaidoyer Libertés d’Amnesty International. « L’année dernière, Loujain al-Hatloul a refusé la proposition des autorités saoudiennes de déclarer qu’elle n’avait subit aucune torture et mauvais traitements, en échange de sa libération. Elle a refusé parce que c’est faux. Vous imaginez le courage qu’il faut ? Il est temps que les pays comme la France fassent aussi preuve de courage ».

Pourtant la France, comme les autres Etats membres du G20, participeront bien à ce sommet virtuel, alors que de nombreuses ONG appellent au boycott de cette mascarade. « Je pense en effet que lorsqu’un pays enfreint le droit international, l’Etat doit refuser les forums et les rencontres » confirme Albane Gaillot. Ce qui ne sera pas le cas ce week-end, alors que Loujain al-Hathloul passera son 920e jour en prison pour avoir demandé les mêmes droits que les hommes.

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