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Dossier
par Marjolaine Koch

Formation : Sciences-po en force, l’ENA moins présente… sauf chez les dir’cab (II)

Plus de provinciaux, moins de docteurs

Sous Macron, la révolution n’a pas eu lieu : le cursus des membres des cabinets ministériels reste classique. Beaucoup d’IEP, même un peu plus que lors des législatures précédentes, mais moins d’énarques.

Ministères - Images Wikipedia

En parlant avec un membre de cabinet ministériel, vous avez une chance sur deux de tomber sur un ancien de Sciences-Po. 52,31 % des membres ont suivi soit un IEP de province, soit Sciences-Po Paris, qui représente 28,89 % des cursus empruntés. Un vrai bond, pour le politologue Jean-Michel Eymeri-Douzans, qui y voit surtout une hausse des IEP de province, comparativement aux données qu’il a lui-même cumulées sur de précédentes mandatures : de 5,2 % sous Nicolas Sarkozy, puis 15 % sous Hollande, on passe à 23 % sous Macron. « C’est intéressant, puisque la macronie a une image très parisienne », décrypte-t-il. « Finalement, vous avez dans les cabinets des personnes qui ont circulé dans l’espace national. » Cependant, étant lui-même directeur adjoint de l’IEP de Toulouse, il remarque que ceux de ses élèves qui rejoignent les cabinets ministériels « sont les moins provinciaux de nos étudiants. » Reste que Sciences-po, encore aujourd’hui et plus qu’hier, est toujours la « filière royale pour intégrer le système de cour qui entoure nos princes », comme aime à le décrire Jean-Michel Eymeri-Douzans.

Cursus toutes hiérarchies confondues - Création Nostromo Production pour Reflets
Cursus toutes hiérarchies confondues - Création Nostromo Production pour Reflets

Lecture des graphiques :

Le Gouvernement est constitué de ministères de plein exercice, sous lesquels se trouvent des ministères délégués et des secrétariats d’État. Retrouvez la liste des ministères à ce lien. Dans chaque graphique présenté vous repérerez les catégories suivantes : • Ministères de plein exercice en gras (blanc et bleu) • Ministères régaliens en bleu • MD = Ministère délégué • SE = Secrétariat d’État

La proportion d'énarques est tombée à 17 % pour l’ensemble des membres de cabinet. Sous Giscard, le gouvernement de Raymond Barre en comptait 53 %.

Ecoles fréquentées - Création Nostromo Production pour Reflets
Ecoles fréquentées - Création Nostromo Production pour Reflets

Moins d'ingénieurs, moins de docteurs et... moins d'Enarques

Plus globalement, quelques évolutions peuvent être relevées : les docteurs, dans leur ensemble, ne sont plus que 7 % alors qu’ils étaient 9 % sous Hollande. De même, les ingénieurs sont moins nombreux : de 14 % sous Hollande, on en dénombre maintenant autour de 10 % toutes écoles confondues. Enfin, du côté des écoles de commerce, avec 9,57 % toutes écoles confondues, Macron se situe dans un entre-deux : les cabinets ministériels sous Sarkozy comptaient 16 % de membres issus de formation en école de commerce, contre 6 % sous Hollande. Mais le politologue tempère : « il existe de plus en plus de doubles diplômes avec Sciences-po ou des facs de droit, ces personnes ont souvent un double cursus qui rend leur profil intéressant. » Même l’ENA compte désormais dans ses rangs des élèves provenant de grandes écoles de commerce, relève Delphine Dulong, politologue.

L’ENA : ce monument en cours de déboulonnage, au profit d’une école au nouveau nom, l’INSP pour Institut national des services publics. Une nouvelle version, dont le but est notamment de lutter contre la reproduction sociale et l’effet « hors-sol » souvent reproché aux hauts fonctionnaires. En attendant, sous Macron, leur proportion est tombée à 17 % pour l’ensemble des membres de cabinet. Sous Giscard, le gouvernement de Raymond Barre en comptait 53 %. « Depuis, cela n’a cessé de baisser », relate Jean-Michel Eymeri-Douzans. « L’arrivée de la gauche a marqué une rupture avec 41 % d’énarques, puis 30 % dans les années 1990. On est passé de 26 % sous Chirac à 25 % sous Sarkozy et Hollande. »

Ces chiffres montrent qu’il est faux de dire que les cabinets ministériels sont un « monde d’énarques »

La moitié des dir'cab sont des énarques

Si la baisse est notable de ce côté, elle n’est plus du tout réelle dès lors que l’on regarde du côté des « chefs », une catégorie qui englobe à la fois les directeurs et directeurs adjoints de cabinet, les chefs et chefs adjoints de cabinet et les chefs de pôle lorsqu’il y en a. Dans cette catégorie, 26,29 % sont passés par l’ENA. Et la proportion devient encore toute autre dès lors que l’on s’intéresse uniquement aux directeurs de cabinet : 47,62 % d’entre eux sont des énarques. De ce côté-ci, le chiffre est relativement stable avec les précédentes mandatures. Pour le politologue, savoir qu’il y a généralement une moitié d’énarques autour d’une table des négociations, « c’est un phénomène de psychologie sociale : il n’y a pas besoin de dominer un groupe pour avoir le dessus. Si, sur dix directeurs de cabinet, cinq ont été formés à la même école, cela donne le ton à l’ensemble de la réunion, car rien n’unit les cinq autres autour de la table. » Dans tous les cas, ces chiffres montrent qu’il est faux de dire que les cabinets ministériels sont un « monde d’énarques ».

Cursus des chefs (incluant directeurs de cabinets et chefs, y compris adjoints) - Création Nostromo Production pour Reflets
Cursus des chefs (incluant directeurs de cabinets et chefs, y compris adjoints) - Création Nostromo Production pour Reflets

Ecoles fréquentées par les chefs - Création Nostromo Production pour Reflets
Ecoles fréquentées par les chefs - Création Nostromo Production pour Reflets

Cursus suivi par les directeurs de cabinet - Création Nostromo Production pour Reflets
Cursus suivi par les directeurs de cabinet - Création Nostromo Production pour Reflets

Ecoles fréquentées par les directeurs de cabinet - Création Nostromo Production pour Reflets
Ecoles fréquentées par les directeurs de cabinet - Création Nostromo Production pour Reflets

Enfin, les études réalisées par Jean-Michel Eymeri-Douzans permettent de compléter ces statistiques sur un autre point : le parisianisme des membres de cabinet. Depuis les années 1950, rien n’a changé sur ce plan. René Raymond et son équipe estimaient que pour la période 1958-1972, 54 % des membres de cabinets avaient poursuivi des études secondaires dans des établissements parisiens. Sous Chirac, ils étaient encore 52 %. Pour le politologue, « il y a bien une géographie du pouvoir. La moitié des membres de cabinets a fait ses études à Paris, et les origines sociales restent marquées "CSP+" même avec des gouvernements socialistes. » Mais rappelons-nous que le phénomène de reproduction sociale est un phénomène général, qui ne touche pas que la classe politique...

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