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par Jef

Fake news : les médias tout feu tout flammes

Oui, mais non

C'est une étude scientifique, réalisée par trois chercheurs du prestigieux Massachusetts Institute of Technology, « The spread of true and false news online », qui a mis le feu aux poudres. Ou plus exactement, aux médias.

Pour LCI, les « fake news » sont « plus rapides que les vraies informations sur Internet ». Kif-kif à l'AFP. Du côté de France Info, service public oblige, on est plus sobre, « une fausse information circule bien mieux qu'une information exacte ». À l'Obs, on monte d'un cran dans l'intensité dramatique, les « fake news » se propageant plus vite que « la vérité ». Rien que ça. Au Temps, on ne barguigne pas, c'est carrément le « mensonge » qui se diffuse plus loin que la « vérité ». Même son de cloche chez Numerama, où « le mensonge est plus viral que la vérité ». Impossible de citer tout le monde, prière aux absents de bien vouloir nous excuser.

La conclusion est donc sans appel : nous vivons la Grande Apocalypse Informationnelle, le mensonge est partout. Nous sommes définitivement perdus, condamnés à patauger pour les siècles et les siècles dans un océan de menteries, d'inventions et d'impostures.

À ceci près qu'en vérité, ce n'est pas ce que dit cette étude. Ô, Ironie.

Le travail de recherche réalisé par les trois compères du Media Lab du MIT est impressionnant, et très intéressant. Ils ont en effet étudié 126 000 « cascades » de tweets publiées sur le réseau social à l'oiseau bleu, sur une période s'étalant de 2006 à 2017. Au total, ce sont les interactions de 3 millions de personnes qui ont été passées au crible. Cet échantillon a été utilisé pour analyser la dynamique de propagation des tweets : profondeur et taille des « cascades », portée, viralité, vitesse de propagation, etc.

Sur leur échantillon le résultat est sans appel : les tweets estampillés « faux », se propagent plus vite, touchent une population plus large et provoquent une plus grande quantité d'interactions que leur congénères « vrais ». Les chercheurs, dans la seconde partie de l'étude, essayent d'identifier les facteurs responsables de cette dynamique. En particulier, les contenus ayant un caractère « nouveau », original, déclenchent plus d'interactions, ainsi que ceux qui appellent à une réponse émotionnelle de « surprise » ou de « dégoût ».

Les limites de l'étude proviennent de la construction de l'échantillon, composé de deux jeux de données. Le premier a été élaboré à partir « des rumeurs sur lesquelles ont enquêté six organisations de vérification » (les sites de fact-checking snopes.com, politifact.com, factcheck.org, truthor- fiction.com, hoax-slayer.com, et urbanlegends.about.com). Le second, destiné à amoindrir le biais de sélection des sites de fact-checking en question, se base quant à lui sur des « rumeurs » sélectionnées par un logiciel de détection automatique, lui-même mis au point grâce à un jeu de données issu… de snopes.com.

En clair, seuls des contenus correspondant à des sujets ayant été fact-checkés ont été introduits dans l'échantillon. Tous ceux qui n'ont pas donné lieu à un fact-checking en règle, probablement parce que personne ne pouvait douter de leur véracité, en ont été mécaniquement exclus. Or, on peut raisonnablement imaginer que ces contenus que personne n'a jamais pris la peine de fact-checker représentent une écrasante majorité des informations en circulation. Ces travaux apportent des éléments très intéressants sur les mécanismes de propagation de la désinformation — ou plus exactement de la mésinformation — mais les résultats ne permettent absolument pas une généralisation outrancière comme on a pu le voir ici ou là dans les médias.

Il n'aura échappé à personne, notamment grâce à nos confrères de Next INpact, que le gouvernement s'est emparé du sujet des "fake news" et envisage de muscler l'arsenal de censure du pays. Ces mêmes médias seraient bien inspirés de faire preuve de davantage de sérieux dans le traitement des recherches scientifiques en général, et en particulier sur un sujet où la tentation du législateur de « réguler » Internet est grande.

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