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par Antoine Champagne - kitetoa

Étranges affaires immobilières à Nancy et Pont-à-Mousson

Anticor scrute le projet Emblème et l’Abbaye des Prémontrés

Les autorités sont particulièrement accommodantes avec des sociétés immobilières dans la région du Grand Est, en Lorraine. De quoi intriguer l’association Anticor

Le projet d'immeuble Emblème - Copie d'écran

En décembre 2016, le conseil municipal de Nancy donnait son feu vert à l’édification d’un immeuble de 8 étages étages sur la place et le parvis de la Gare ferroviaire, en plein centre ville : ce sera « le projet Emblème ». Depuis, les revers s’accumulent pour City Zen, l’entreprise bénéficiaire du projet et pour les autorités. Le premier permis de construire a été contesté par une association et City Zen, a été contrainte d’en déposer un deuxième. Mais cela ne suffira pas, il va falloir un permis modificatif car City Zen a vendu plus du double des mètres carrés de bureaux prévus dans le permis à la Région… Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Cette fois, c’est le groupe local 54 de l’association Anticor qui monte au créneau avec un signalement au procureur. C’est désormais à la justice de vérifier ce qui pose problème à l’association anticorruption.

La région du Grand Est a acheté 1.390 mètres carrés de bureaux dans la tour Emblème – dont la première pierre n’a pas encore été posée – alors que le permis de construire ne mentionne que 652 m2 de bureaux. Tout à fait classique pour Simon Hoeltgen directeur adjoint pôle économie, développement et urbanisme et directeur du développement urbain de la ville de Nancy : « il est classique que dans une opération immobilière de ce type les mètres carrés soient réaffectés. C’est le cas ici. Un permis modificatif sera déposé et instruit. Les travaux pourraient commencer dans les quinze jours ».

Ce calendrier semble un peu optimiste. Car deux assemblées générales de copropriétaires de la tour Thiers (qui sera incluse dans le projet), ayant validé les étapes nécessaires, vont être annulées. D’autre part, dans le cadre du contrôle de légalité, les services du préfet de la Région Grand Est viennent d’adresser un recours gracieux à Jean Rottner, président de Région, à propos de la décision permettant l’achat des 1.390 mètres carrés. « Il y aura une troisième assemblée générale, je ne suis pas inquiet. Quant à ce contrôle de la légalité, j’avoue que cela ne me regarde pas. Je suis vendeur, ils sont acheteurs. Éventuellement, s’ils ne devaient pas acheter, on fera autre chose », explique Alexis Merlin, président de Nouvel Habitat, le groupe en charge du projet Emblème via l’entreprise City Zen.

La Région devait payer 3,9 millions d’euros pour ces locaux, et débourser un peu plus d’un million pour leur aménagement, soit un budget total de 6 millions d’euros, frais notariés et annexes compris [IMAGE]. Sympa, celle-ci s’est engagée à verser dès 2019 quelque 2,2 millions comme dépôt de garantie, soit 45% du montant global… « Tout à fait normal, explique Alexis Merlin, le montant de garantie est libre, et ici, c’est le résultat d’une négociation. La Région souhaitait faire baisser le prix de l’achat en échange d’un dépôt de garantie plus élevé ».

Contacté à plusieurs reprises, Jean Rottner, 
Président du conseil régional, a refusé de répondre à nos questions.

Selon Alexis Merlin, ces fonds ont déjà été versés et sont sous séquestre chez un notaire qui s’occupe de cette vente, Maître Jean-François Mayeux.

A la ville, Jean-François Mayeux est marié avec la 4ème adjointe au maire de Nancy, Sophie Mayeux.

Outre ce tarif un tantinet élevé (France Domaine a évalué cet achat à 2,5 millions) et cette avance très favorable à City Zen, les opposants au projet relèvent que la commune a pris à son compte un certain nombre de choses qui auraient dû, selon eux, être laissées aux bons soins de l’entrepreneur.

Par exemple, la ville et la métropole se sont engagées à financer des travaux de démolition. Mieux, aux termes du protocole foncier entre la ville de Nancy, la métropole du Grand Nancy et Nouvel Habitat, la métropole va financer un passage entre le sous-sol, que réalisera le promoteur, et le parking public existant. Ces travaux, à hauteur de 250.000 euros permettront au promoteur de réaliser de nombreuses places de parking supplémentaires, ne nécessitant pas, du coup, de rampes d’entrée et de sortie pour son parking...

Extrait du protocole d'accord - Copie d'écran
Extrait du protocole d'accord - Copie d'écran

Mais pour Simon Hoeltgen, il n’y a là rien d’anormal : « Les travaux sont à la charge du promoteur, un droit de passage sera versé par la suite et il n’y avait pas moyen de faire une entrée séparée. Le promoteur n’était d’ailleurs pas tenu par le Plan Local d’Urbanisme (PLU) de construire un parking ». Simon Hoeltgen s’offusque et souligne que la mairie a pris à sa charge certains travaux parce qu’elle aurait de toutes façons dû y faire face en tant que propriétaire. Comme le désamiantage. Pour Simon Hoeltgen, tout est « public ». « Nous avons délibéré en conseil municipal et tout est accessible sur le site de la mairie ». Quant à Alexis Merlin, il indique que « les travaux entre le parking du projet Emblème et le parking public seront à notre charge et nous règlerons ensuite un droit de passage ».

Le précédent Prémontrés

Il n’est pas aisé de retrouver son chemin dans la liste interminable de sociétés dans lesquelles on retrouve les deux associés de la société City Zen, Alexis Merlin et Jean-Marc Petitpain. City Zen est l’entité qui porte le « projet Emblème ». Sur le site du groupe Nouvel Habitat, c’est bien le groupe qui est à la manœuvre : « ce nouveau programme résidentiel conçu et réalisé par Nouvel Habitat ».

« C’est normal qu’il y ait de nombreuses sociétés dans notre secteur d’activité, explique Alexis Merlin, car ce sont les banques qui nous le demandent, afin que la responsabilité en cas de défaillance d’un promoteur puisse être recherchée par les acquéreurs auprès d’une société bien définie et liée exclusivement au projet ».

Autre actionnaire de Nouvel Habitat, Jean-Marc Petitpain est quant à lui présent dans une autre société, la SIPAM (Société d’Investissement de Pont-à-Mousson) au cœur d’une polémique à rebondissements. Même si aucun des points litigieux n’a été tranché par la justice, l’implication de la SIPAM dans l’Abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson reste un sujet qui fait la Une de la presse locale régulièrement. « Cela n’a rien à voir avec Nouvel Habitat, s’offusque Alexis Merlin. Nouvel Habitat n’a aucun lien avec la SIPAM ». A part bien entendu, l’actionnaire Jean-Marc Petitpain, présent dans les deux entreprises. Ce dernier n’a pas donné suite à nos sollicitations pour un entretien.

Le Centre Culturel de l’ancienne Abbaye des Prémontrés, une Association loi 1901 se voit confier en 2002 par son conseil d’administration, la construction d’une résidence hôtelière. Interrogé préalablement sur la faisabilité de ce projet, le cabinet d’avocats FIDAL notait en mai 2000 que « Le projet de convention qui nous est présenté pourrait ainsi être analysé comme un moyen de détourner au bénéfice de cette société (la SIPAM), les règles de publicité et de mise en concurrence qui devraient normalement s’imposer à la ville de Pont-à-Mousson, en faisant intervenir l’Association comme « écran ». Un tel montage pourrait engendrer des risques de mise en cause de la responsabilité pénale des responsables de la Ville comme de l’Association pour délit et recel d’avantage injustifié ». Le cabinet d’avocats concluait sa note : « Les avantages qui pourraient apparaître dans un premier temps (faire procéder à la construction de bâtiments et à leur gestion sans engager préalablement les procédures de publicité et de mise en concurrence qui s’imposeraient aujourd’hui à la ville de Pont-à-Mousson et dans le futur au syndicat mixte) se révèlent en réalité source de risque notamment au point de l’engagement de la responsabilité pénale. Nous ne saurions donc à l’heure actuelle valider sa conclusion ».

La note du cabinet FIDAL restera pourtant lettre morte et le projet sera mené à bien. La SIPAM construit donc l’hôtel qu’elle loue ensuite l‘Association du Centre culturel de l’ancienne Abbaye des Prémontrés pour environ 700 euros par jour, que les chambres soient occupées ou non. Soit un loyer de 250.000 euros par an. C’est à dire, depuis 2005, un total d’environ 3,7 millions d’euros.

Pour ériger ce bâtiment, la SIPAM a obtenu un terrain par la signature d’un bail emphytéotique avec la Mairie de Pont-à-Mousson courant jusqu’en 2063. A l’issue de ce bail, la Mairie devait récupérer gratuitement cette construction. Il porte exclusivement sur des parcelles 138 et 139. Or 9 des 42 Chambres ont été illégalement construites sur le terrain de l’Abbaye lui-même (parcelle 351). Bilan, le centre culturel loue 9 chambres à une société qui les a construites sans droits sur son propre terrain. Et qui donc, lui appartiennent…

Le montant des loyers encaissés par la SIPAM a déjà compensé l’investissement initial lié à la construction de l’hôtel (environ 3 millions). Mais Valérie Dedord, présidente du conseil d’administration du Centre Culturel depuis décembre 2016 et vice-présidente de la région, interrogée en septembre 2019 par Les Dernières Nouvelles d’Alsace annonçait : « C’est vrai, la location des bâtiments revenait cher au Centre Culturel. C’est justement pour cela que nous avons voté leur rachat en juin dernier (…) ».

Ce rachat signifie qu’une Association culturelle, présidée par la vice-présidente de la région et largement financée par la Région Grand Est, rachèterait, hors de sa compétence statutaire, l’hôtel qu’elle a déjà payé avec des loyers, à une société ne détenant pas un bâtiment, mais une durée de bail emphytéotique signé par Henry Lemoine, Maire de Pont à Mousson, Vice Président de l’Association gérant l’Abbaye des Prémontrés et élu régional… On n’est pas très éloigné d’un film de Claude Chabrol.

La SIPAM dépend de la holding dirigée par Jean-Marc Petitpain. Celui-ci est à la tête de deux holdings, la Société d’études et de conseils en France et FINECO au Luxembourg. Dans cette dernière, on retrouve comme commissaire aux comptes, la Fiduciaire Vincent LA MENDOLA. Cette dernière apparaît dans la base de données des Panama Papers. Même si cela ne préjuge pas d’irrégularités, c’est assez négatif en termes d’image. Il doit bien exister d’autres commissaires aux comptes au Luxembourg...

Fineco - document comptable - Copie d'écran
Fineco - document comptable - Copie d'écran

Base de données Panama Papers - icij.org
Base de données Panama Papers - icij.org

Valérie Debord, a refusé de répondre à nos questions et nous a renvoyé vers Raoul Rochat, directeur général de l’Abbaye des Prémontrés. Interrogé sur cette vente, il explique que l’achat porte sur « Le bénéfice du droit au bail emphytéotique pour le temps restant à courir (2063) et la propriété des constructions édifiées ». L’association de l’Abbaye se porte acquéreur pour la somme de 2,4 millions d’euros qui s'ajoutent aux 3,7 millions de loyers. Dans quel cadre une entreprise a-t-elle cédé à une association un bail emphytéotique dont la mairie est bénéficiaire ? Le maire, Henry Lemoine, n’a pas donné suite à nos nombreuses sollicitations.

Making-Of

  • Contactée à plusieurs reprises, Valérie Debord a refusé de répondre à nos questions et nous a renvoyée sur Raoul Rochat, directeur général des Prémontrés.
  • Contacté à plusieurs reprises, le président de la région Grand Est, Jean Rottner a refusé de répondre à nos questions.
  • Contacté à plusieurs reprises, Jean-François Mayeux a refusé de répondre à nos questions.
  • Le service de presse de la mairie de Nancy a préféré nous mettre en relation avec le directeur adjoint pôle économie, développement et urbanisme et directeur du développement urbain qu’avec le maire de la ville, Laurent Hénart. Certaines de nos questions n’ont donc pas trouvé de réponse. Nos demandes pour obtenir ces réponses auprès de Laurent Hénart sont restées lettre morte.
  • Contacté, le maire de Pont-à-Mousson, Henry Lemoine a n’a pas donné suite.
  • Contacté, Jean-Marc Petitpain, n’a pas donné suite.
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