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par Jacques Duplessy

Etats-Unis : il n'y a pas eu de vague républicaine aux midterms

Pour la politologue Nicole Bacharan, le président Biden sort renforcé de ces élections.

Si la Chambre des représentants a basculé du côté des Républicains, les Démocrates sont assurés de conserver le Sénat avant même le second tour des élections en Géorgie. Si le Président Biden a limité la casse et en sort personnellement grandi, la seconde partie de son mandat s’annonce très difficile.

Donald Trump (2016) - Gage Skidmore - Wikipedia - CC BY-SA 2.0

Nicole Bacharan, politologue spécialiste des États-Unis, analyse les résultats des élections de mi-mandat et l'avenir des deux principaux partis politiques du pays.

Dans quel état sort l’Amérique après ses élections de mi-mandat ?

Nicole Bacharan : Ce scrutin a montré la vitalité de la démocratie et c’est encourageant. Les Américains ont davantage voté qu’habituellement. La participation est estimée à 51 %, alors qu’elle est largement inférieure dans les élections similaires précédentes. Cela s’explique par plusieurs raisons : Trump mobilise le camp républicain mais aussi les Démocrates, les Américains se sentent concernés par la question de l’avortement et enfin, beaucoup désiraient voter pour affirmer leur attachement à la démocratie. Globalement, tout s’est déroulé paisiblement, les citoyens ont foi dans leur démocratie et il veulent la garder vivante. Même s’il peut y avoir des contestations dans les jours ou les semaines qui viennent, c’est réconfortant. Autre signe d’espoir, parmi les candidats soutenus par Donald Trump, la moitié ont été élus, mais les autres ont été écartés car trop irrationnels et inquiétants. Le pays reste très divisé et deux visions irréconciliable s’affrontent.

Peut-on dire que la victoire des Républicains serait celle de l’extrême-droite ?

La victoire des Républicains serait celle de l’extrême droite, même s’ils sont plus divisés qu’on pourrait le croire. Il ne fait aucun doute que les trumpistes sont d’extrême droite : certains contestent toujours le résultat des urnes en 2020, ils sont dans un populisme outrancier et qu'ils propagent des thèses complotistes sur la santé, la criminalité ou l’immigration, ils ont aussi le goût de la violence et des armes, et enfin le culte de la personnalité de leur leader.

En 2015 -2016, le parti Républicain ne voulait pas de Donald Trump, qui a réussi une OPA hostile sur le mouvement. Aujourd’hui, c’est le parti de Donald Trump. A cause de cette dérive, un certain nombre d’élus républicains ne se sont pas représentés, d’autres font profil bas, certains sont temporairement du côté de Trump, par pur intérêt personnel. C’est un parti très divisé. D’après des échos que j’ai pu avoir, Trump est fou furieux qu’un certain nombre de ses candidats, des ultra-trumpistes, très axés sur la contestation des résultats de 2020 aient été écartés. Il espérait une vague républicaine comme une rampe de lancement, pour montrer qu’il était le patron et qu’il revenait. Même si les résultats sont assez mauvais, je ne crois pas que cela le découragera de se représenter. Il veut à tout prix revenir au pouvoir et refaire le match de 2020. Je pense que Trump va dire qu’il a gagné ces midterms et qu’il va se représenter.

Le nombre de candidats indépendants a augmenté, c’est un signe ?

C’est exact, mais ces candidats jouent un rôle marginal car le système électoral uninominal à un tour favorise le bipartisme. Ce qui est crucial est donc l’évolution du parti républicain. Vont-il écarter Donald Trump ? Est ce qu’ils vont renoncer à mettre en avant des candidats très inquiétants ? Vont il éclater ? Je ne crois pas trop à cette hypothèse, à cause du bipartisme. Mais la question clé reste : qui va prendre le pouvoir dans ce parti ? Trump sera-t-il poussé au déclin par les siens ou pas ? Trump espère qu’il n’y aura pas de primaires républicaines. Il rêve d’être adoubé comme le sauveur, comme le seul et unique légitime. Mais ça m’étonnerait beaucoup qu’il n’y ait pas de primaire. On le verra assez vite en 2023 avec les tournées des candidats potentiels pour lever des fonds.

Il n’y a pas eu de vague rouge républicaine et les Démocrates résistent bien...

Les Républicains avaient misé sur trois thèmes pour espérer remporter les élections : la criminalité, l’immigration et l’inflation, qu’ils qualifiaient de « l’inflation de Biden ».

Le Démocrates ont beaucoup communiqué sur l’avortement, la personnalité de Trump et les risques pour la démocratie. Les résultats montrent, quelque soit l’issue du scrutin, que Joe Biden sort renforcé. Il a dit : « C’était plutôt une bonne journée pour nous. », et c’est vrai. Depuis le début du XXe siècle, il n’ a eu que quatre Présidents qui n’ont pas perdu beaucoup de sièges aux midterms.

Il est acquis que la Chambre des représentants a basculé côté républicain. Resta à savoir quelle sera la marge de leur majorité. Après la victoire de la sénatrice démocrate Catherine Cortez Masto dans l’État clé du Nevada, les démocrates sont assurés de conserver le Sénat. Car même si les démocrates perdent la Géorgie, la voix de la vice-présidente Kamala Harris, sera prépondérante et leur donnera la majorité. Cette victoire démocrate était loin d'être jouée d'avance.

Quelles conséquences pour le Président Biden ?

La seconde partie de son mandat s’annonce très difficile, que la majorité à la Chambre des représentants soit petite ou grande. Il y a eu le désastre de l’Afghanistan, mais dans le domaine intérieur, Biden a réussi à faire passer plusieurs très grandes lois économiques et sociales, avec à deux reprises des voix républicaines. Il avait promis de parvenir à travailler avec le camp opposé, et il a réussi en partie. Désormais, et pour les deux prochaines années, il ne pourra plus prendre de grandes initiatives législatives, et il devra aussi lutter chaque année pour faire passer le budget. Il devra empêcher la majorité républicaine de la Chambre de défaire tout ce qu’il a fait, notamment en matière de budgets sociaux.

Sur un plan international, il ne devrait pas y avoir de conséquence pour le soutien militaire et économique à l’Ukraine. Les crédits ont été votés pour une longue durée, ils sont loin d’avoir été dépensés. Quand on met en marche la machine du Pentagone pour faire fabriquer, commander et envoyer des armes, cela ne s’arrête pas du jour au lendemain. De plus, le parti républicain est très divisé sur la question. On peut s’attendre à des vociférations à la Chambre des représentants sans que ça ait d’effet sur cette politique.

Comment voyez-vous l’avenir des Démocrates ?

La question de la candidature de Joe Biden en 2024 se pose évidemment. Les Démocates  rencontrent deux problèmes : il n’y a personne dont la candidature s'impose à part le Président, car Kamala Harris n’a pas du tout pris la place d’une héritière naturelle ; il y a aussi l’âge de Joe Biden : 80 ans à la fin du mois. Candidat à 82 ans pour finir son mandat à 86 ans, cela ne paraît pas très raisonnable. Le Président a déclaré qu’il annoncerait sa décision au début de l’année prochaine.

Dernier livre

Nicole Bacharan et Dominique Simonnet Les grands jours qui ont changé l’Amérique, éd. Pocket

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