Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Édito
par Yovan Menkevick

Etat de droit et propagande : est-il possible de nier l'évidence ?

Pour conclure cette série d'articles sur les révélations de Snowden établissant une surveillance totale de la population, sans que grand monde ne vienne contredire cette théorie digne d'une conspiration tirée d'un James Bond, il semblait nécessaire de revenir sur quelques événements majeurs. Comme le coup d'Etat au Chili en 1973, l'assassinat de Kennedy et les attentats du 11 septembre 2001.

Pour conclure cette série d'articles sur les révélations de Snowden établissant une surveillance totale de la population, sans que grand monde ne vienne contredire cette théorie digne d'une conspiration tirée d'un James Bond, il semblait nécessaire de revenir sur quelques événements majeurs. Comme le coup d'Etat au Chili en 1973, l'assassinat de Kennedy et les attentats du 11 septembre 2001. Mais revenir aussi sur des concepts centraux et déjà traités sur Reflets, comme la fabrique du consentement et l'influence de masse.

La problématique centrale des Etats de droit depuis des décennies, comme cela était stipulé dans le précédent article "Bien avant #Prism, #StellarWind : allo Houston, il y a un problème ?" reste avant toute chose le consentement des populations. Agir avec le consentement. Convaincre. Détourner l'attention "pour amener à". Imposer une évidence.

Une nation comme les Etats-Unis a un long passé de manipulations révélées, reconnues, de ses services secrets. Il est connu désormais que l'assassinat  le suicide forcé du président du Chili, Salvator Allende le 11 septembre 1973, permettant la mise en place de la dictature militaire du général Pinochet, a été soutenu et planifié par la CIA. Bien entendu, cette version n'est pas totalement validée officiellement, encore que…

Selon Peter Kornbluh, la CIA a pour mission de déstabiliser le régime chilien afin « d'alimenter un climat propice au coup d'État ». William Colby, directeur de la CIA de 1973 à 1976, affirme dans ses mémoires que sept millions de dollars ont été dépensés dans ce but par la centrale de renseignement américaine. Le mouvement de grève des camionneurs qui paralyse le pays en octobre 1972 est soutenu financièrement par les États-unis. Réagissant aux nationalisations effectuées par le gouvernement d'Allende, plusieurs firmes américaines dont ITT, ou internationales comme Nestlé, apportent leur concours à cette stratégie. Même si de sérieux doutes sont exprimés, il n'existe aucun élément permettant d'affirmer que les États-Unis ont directement participé au coup d'État du 11 septembre 1973. (source : wikipedia)

D’après une note interne de la CIA : « Le président [Nixon] a demandé à l’agence [la CIA] d’empêcher Allende d’accéder au pouvoir ou de le destituer et a débloqué à cette fin un budget allant jusqu’à 10 millions de dollars. » De plus, « selon le rapport du Sénat des États-Unis — « Covert action in Chile 1963-1973 » (1975) —, El Mercurio et d'autres médias ont reçu 1,5 million de dollars de la Central Intelligence Agency (CIA) pour déstabiliser Allende ». (source : wikipedia)

 

De nombreux autres coups d'Etats ont été appuyés par l'agence américaine, des assassinats, enlèvements, etc… Celui du président des Etats-Unis, John Fitzgerald Kennedy est le plus emblématique : tout détermine qu'Oswald, le seul suspect arrêté n'est pas l'unique tireur, et pourtant, au final, il restera le seul.

Le complot est décrit, les preuves sont amenées, et alors que chacun pense que  Kennedy a été tué par la CIA, personne ne peut le dire ouvertement. Ces événements ne sont donc plus considérés comme des théories du complot, ni une démarche de type conspirationniste : il est établi que la CIA est une agence qui fomente des complots, participe ou organise des conspirations. C'est même sa principale activité. Regardons donc de plus près quelques éléments de théories de conspirations ou de complots américains. Théories, puisque si dans certains cas, comme dans l'assassinat d'Allende, ou de Kennedy, nombreux sont ceux enclins à admettre de façon "officielle" que la conspiration existe, dans d'autres cas, étrangement, c'est l'inverse.

Complots, conspirations et conformité normative

Un complot, une conspirations ne sont rien d'autres que des éléments de la réalité qui ont été camouflés avec la vocation d'arriver à un but de façon secrète, sans que la majorité ne le sache. Si un complot est éventé, et est officiellement reconnu comme tel, il devient un élément réel, une partie de l'histoire. Si il n'est pas reconnu officiellement comme complot par les autorités et que les médias décident de suivre la même voie, il devient théorie du complot. Une sorte de délire propre à une petite partie de la population qui refuserait d'accepter la réalité. Très rapidement dans ces cas là, une forme de campagne de dénigrement débute dans les média pour aboutir à ce que ceux qui contestent la réalité officielle et dénoncent un complot, un trucage, une conspiration, soient rapidement rabaissés au rang de personnes peu sérieuses, et donc peu crédibles. Pour autant il y a des faux complots, des théories de la conspiration qui ont été entièrement démontées, et qui étaient des fabrications délirantes, c'est un fait. Mais le problème majeur auquel nous sommes confrontés aujourd'hui réside dans un phénomène de plus en plus présent : le conformisme normatif. Pour mieux comprendre ce qu'il est, cette vidéo déjà utilisée dans un article précédent traitant de l'influence et de la propagande :

Cette démonstration de l'expérience d'Asch nous amène aujourd'hui, avec l'affaire Snowden à nous poser quelques questions de fond, qui résonnent avec une autre affaire, celle des attentats du 11 septembre. Si l'expérience d'Asch démontre à petite échelle l'effet du groupe sur l'assentiment d'un individu, le mettant en conflit avec l'évidence, la destruction des tours du World Trade Center est un chef d'œuvre de cet effet de conformité normative. Il suffit de regarder ces images d'archive, en se refusant à toute interprétation ou spéculations pour voir quelque chose d'évident : les tours sont dynamitées de l'intérieur, plastiquées. En gros, c'est une démolition. Regardons :

Mais pour autant, si durant quelques semaines cette évidence a créé un débat, il a été rapidement établi que ceux qui contesteraient la version officielle (celle d'un écroulement causé uniquement par l'explosion des avions dans les tours) seraient de sombres complotistes. Les commentaires outrés ne manqueront pas, les ricanements suivront pour expliquer que "mais bien entendu que non, les tours ne sont pas dynamitées, elle s'écroulent normalement". Comme la barre la plus longue dans l'expérience d'Ash qui n'est pas la plus longue est pourtant déclarée comme telle par le cobaye. Alors que l'évidence se trouve devant les yeux. Mais se conformer au groupe, à la masse, à l'autorité (les experts, les analystes, etc…) devient rapidement une nécessité pour la majorité : les tours ont donc été frappées par des avions, mais leur écroulement n'est dû qu'à la chaleur. Rien n'explose de l'intérieur. Même si l'évidence démontre l'inverse. De la même manière, pour ceux qui s'agacent à propos des missions Apollo et en viennent à estimer que "ceux qui viennent contredire l'évidence de l'alunissage américain avec des hommes à son bord sont des idiots tombés bien bas", il faut qu'ils se posent une unique question : quelle valeur accordent-ils à la réalité et aux preuves sur un événement ? Sont-ils capables d'admettre que quand une agence comme la NASA n'a rien d'autre à apporter que des photos noir et blanc prises à très grande distance de l'astre lunaire, déclare avoir perdu toutes ses archives, et que ces photographies, au final, ne montrent rien de précis, ils sont dans une démarche de croyance aveugle, plutôt qu'une démarche logique et posée ?

Que crée la propagande d'Edward Snowden ?

Personne n'oblige personne à se plier à une quelconque vérité établie sur Reflets. Ici, on réfléchit. Avec des éléments objectifs, de l'histoire, des analyses, des croisements de sources d'informations, du factuel, etc… Vous pouvez nous détester pour ça, vous avez même le droit de nous insulter en utilisant hate@reflets.info (mais pas au sein des commentaires, par pitié, c'est triste…).

Alors, dans un absolu idéalisé, Edward Snowden est un type génial, l'équivalent d'un Assange et d'un Manning en encore plus gonflé, avec une action encore plus importante dans sa dénonciation. Un héros en quelque sorte. D'ailleurs, de nombreuses voix s'élèvent pour l'élever au rang de héros mondial, lui filer le Nobel de la paix etc… Au point que personne ne l'attaque (hormis quelques fachos). Mais que fait Snowden depuis le départ ? De la propagande. Petite définition basique de la propagande :

La propagande est un ensemble d'actions psychologiques pour influencer les pensées et les actes d'une population, afin de l'endoctriner ou l'embrigader (…) Les techniques de propagande modernes reposent sur les recherches conduites dans le domaine de la psychologie, de la psychologie sociale et dans celui de la communication. De manière schématique, elles se concentrent sur la manipulation des émotions, au détriment des facultés de raisonnement et de jugement(…) (source wikipedia)

Les techniques de propagande sont vastes, mais elles ont été définies de manière assez précise. La fiche wikipedia en donne quelques unes, et c'est assez édifiant dans le cas de Snowden :

— La fabrication de faux documents (les documents de Snowden sont des Slides, pas des preuves techniques, ils ont pu être fabriqués, personne ne le sait…) — La peur : un public qui a peur est en situation de réceptivité passive, et admet plus facilement l'idée qu'on veut lui inculquer. (Les révélations de Snowden font peur, c'est une certitude…)

— Appel à l'autorité : l'appel à l'autorité consiste à citer des personnages importants pour soutenir une idée, un argument, ou une ligne de conduite. (C'est la NSA, une autorité…)

— Témoignage : les témoignages sont des mentions, dans ou hors du contexte, particulièrement cités pour soutenir ou rejeter une politique, une action, un programme, ou une personnalité donnée. La réputation (ou le rôle : expert, figure publique respectée, etc.) de l'individu est aussi exploitée. Les témoignages marquent du sceau de la respectabilité le message de propagande. (Oui, Snowden est un expert en informatique employé par la NSA…)

Il y en a une flopée comme ça, qui colle parfaitement avec l'action de Snowden. Comme celle-ci :

Généralités éblouissantes et mots vertueux : les généralités peuvent provoquer une émotion intense dans l'auditoire. Par exemple, faire appel à l'amour de la patrie, au désir de paix, à la liberté, à la gloire, à la justice, à l'honneur, à la pureté, etc., permet de tuer l'esprit critique de l'auditoire. Même si ces mots et ces expressions sont des concepts dont les définitions varient selon les individus, leur connotation est toujours favorable. De sorte que, par association, les concepts et les programmes du propagandiste seront perçus comme tout aussi grandioses, bons, souhaitables et vertueux.

Ce qu'a choisi de faire Snowden le 25 décembre avec, par exemple, cette phrase grandiloquente :

"Un enfant né aujourd'hui grandira sans aucune idée de ce qu'est la vie privée . Il ne saura jamais ce que cela signifie d'avoir un moment de vie privée, d'avoir une pensée qui n'est ni enregistrée ni analysée. Et c'est un problème, car la vie privée (...) nous permet de déterminer qui nous sommes et qui nous voulons être"

Edward Snowden estime avoir "accompli sa mission" selon cet article defrance-amerique.com :

"Pour moi, en termes de satisfaction personnelle, la mission est déjà accomplie", estime-t-il dans un entretien avec le Washington Post réalisé à Moscou et publié mardi. "J'ai déjà gagné", assure-t-il, après que ses révélations ont provoqué un tollé dans le monde et conduit les Etats-Unis à revoir leur politique sécuritaire. La semaine dernière, le président américain Barack Obama a ainsi qualifié de "nécessaire et important" un débat sur le rôle de la NSA, dont il envisage de modifier les vastes capacités d'espionnage qui ont soulevé de vives critiques sur les atteintes à la vie privée.

Alors, comme ça, les Etats-Unis vont revoir leur politique sécuritaire ? Le premier président presque noir mais ultra-brite du "i have a drone" va organiser un débat sur le rôle de la NSA et modifier ses capacités d'espionnage ? Dormez tranquille, j'ai accompli ma mission, ça y'est, ils sont démasqués ces affreux complotistes qui vous espionnent, et ça va changer. Mais quand même, sachez que la vie privée, c'est fini, nous dit Snowden.

Le double message de notre propagandiste Wistleblower est assez dérangeant pour qui essaye de suivre la politique et la géopolitique mondiale depuis quelques décennies. Pas depuis le 11 septembre ou les "révolutions arabes", mais depuis un peu plus longtemps. Oui, dérangeant. Parce que tout correspond parfaitement à une PsyOp rondement menée. Une propagande qui amène de nombreux sites spécialisés en sécurité à établir que comme la NSA a payé des millions de dollars pour avoir le code du RSA, chiffrer ses informations n'a plus aucun intérêt. Voire, l'inverse : envoyer des mails chiffrés vous fait repérer, et comme la NSA les déchiffre les doigts dans le nez, vous êtes encore plus repéré et espionné. Abandonnez l'anonymat braves gens, il n'a plus de valeur, le super Big-Brother voit tout, déchiffre tout.

Pour finir, et sans conclure définitivement le sujet, nous pouvons nous accorder à dire que l'affaire Snowden a créé dans l'esprit d'une grande partie des populations des effets clairs et qui laisseront des traces :

— Sur Internet, tout ce que vous faites est espionné et stocké par la NSA (et d'autres)

— Nous sommes dans un nouveau monde où nous sommes tous suspects

— L'anonymat n'a plus de valeur, n'existe plus

—Les Etats-Unis d'Amérique sont ceux qui nous surveillent, aidés de nos propres gouvernements

— Nous ne pouvons rien y faire, si ce n'est s'en plaindre et attendre que le super-gouvernement américain corrige le tir

— Toutes les informations sur l'ampleur de cette surveillance sont entre les mains d'un seul homme, un héros moderne caché dans l'une des plus grandes dictatures du monde, la Russie, et il distille des documents au compte-goutte aux médias du monde libre…

Cette nouvelle donne psychologique est durable. L'assentiment général est désormais que les services secrets nous espionnent, et donc nous contrôlent. Le nouveau conformisme normatif est celui que Snowden a déclaré le 25 décembre, pour ses vœux de Noël : "la vie privée, c'est fini, mettez-vous bien ça dans la tête".

Les vœux de Noël d'Edward Snowden par lemondefr

Alors oui, il y a certainement un espionnage massif, et Reflets vous en parle depuis sa création. Mais les révélations de Snowden ne sont-elles pas l'équivalent des scénarios des résultats de l'enquête de l'assassinat de Kennedy, de l'effondrement des tours du WTC ou des pas sur la lune de Neil Armstrong ? Malgré le fait que Kennedy est bel et bien mort, que les tours sont tombées et ont fait 3000 morts, et que la NASA a bien lancé des fusées vers la Lune.

Gardons en tête qu'il y a des moyens de lutter, mais qu'ils ne sont pas obligatoirement là où nous le croyons. Et que croire aveuglément quelque chose qui ne se démontre pas concrètement est toujours dangereux. Surtout quand ce sont des dirigeants politiques qui sont les seuls à avoir les solutions. A moins que nous n'en ayons ? Oui, mais cela nous demanderait de changer de fonctionnement, et ça, c'est peut-être le plus difficile…

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