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par Jacques Duplessy

Épidémie de coups d’état en Afrique

Interview d'Antoine Glaser

Alors que les changements de régimes se multiplient sur le continent, Antoine Glaser, journaliste et Rédacteur en chef pendant trente ans de la revue « la Lettre du Continent », revient avec nous sur la situation au Gabon et au Niger. Deux pays qui ne laissent pas l'Élysée de marbre...

Le journaliste Antoine Glaser lors d'une table ronde à la Médiathèque d'Orléans le 27 février 2016 pendant le festival "Les Médiatiques" - O. Morand - Wikipedia - CC BY-SA 4.0

Reflets : L’Afrique a été secouée par des coups d’État à répétition : Mali, Niger, Gabon... Comment analysez-vous cela ?

Antoine Glaser : Ces putschs ont une résonance et des motivations différentes. Au Gabon, c’est une révolution de palais, au Niger, c’est le renversement d’un président légitimement élu. Les situations n’ont rien à voir et n’ont aucun lien entre elles.

Comment décryptez-vous ce qui s’est passé au Gabon ?

Fondamentalement, c’est un problème avec le chef de la garde présidentielle et au sein de la famille Bongo. Ce coup d’état ne signe pas forcément la fin du clan Bongo. Pour comprendre ce qui se passe, il faut remonter à 2018 et l’accident vasculaire cérébral d’Ali Bongo. La conséquence a été que sa femme Sylvia et son fils Noureddin ont pris une place très importante dans la gestion des affaires. Le général Brice Oligui Nguema, chef de la garde républicaine, savait que ces deux membres du clan Bongo voulaient se séparer de lui, et il a pris les devants.

Officiellement, Ali Bongo venait d’être réélu…

Tout le monde sait que les élections ont été truquées. Comme après la dernière élection de Bongo en 2016, la période post-électorale allait être compliquée. Ali Bongo avait fait tirer sur l’opposition. Cela allait recommencer. Oligui Nguema a voulu éviter cela. Mais la famille Bongo n’est toujours pas loin. Le général Brice Oligui Nguema est lié à la sœur du président, Pascaline Bongo. Ce coup d’état signe en fait le retour au pouvoir des proches d’Omar Bongo qui avaient été écartés par Ali.

Comment la population a-t-elle réagi ?

Il y a eu des manifestations spontanées de joie. La corruption atteint des sommets et la pauvreté de la population est particulièrement scandaleuse car le Gabon est un pays riche. Ce petit pays de 2,3 millions d’habitant - dont 850.000 électeurs - est considéré par la Banque Mondiale comme pays à revenu intermédiaire.

Et la France ?

Le quai d’Orsay a fait une condamnation de principe, mais elle s’accommode bien de cette situation. Il y a une hypocrisie française : Macron soutient des dynasties africaines, comme au Tchad. Ali Bongo s’était éloigné de la France alors que son père était un pilier de la Françafrique. La Chine est devenue le premier partenaire commercial du Gabon et le président a fait entrer le pays dans le Commonwealth en juin 2022. C’était un pied de nez à la France.

Ce général n’est pas hostile à la France. Par exemple, il ne demande pas le départ des militaires français.

Et dans le cas du Niger ?

La France demande le retour du président Mohamed Bazoum. Elle l’appelle tous les jours au téléphone et l’encourage à ne pas démissionner. La France a des intérêts importants au Niger. Macron voulait faire de ce pays le symbole d’une nouvelle coopération militaire avec l’Afrique. Ce coup d’état remet tout en cause. Mais la France est isolée par rapport à ses partenaires européens. Macron plaide pour une intervention militaire de la CEDEAO, la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest, pour chasser les putschistes, l’Allemagne et l’Italie plaident pour une solution diplomatique. Même les Américains, qui ont une importante base de drones au Niger, ont dit préférer transiger. C’est surprenant. Je pense donc, même si je n’en ai pas la preuve, que le nouvel homme fort, le général Abdourahamane Tiani, a donné que gages aux Américains et qu’ils ne basculeront pas sous influence russe.

Les organisations panafricaines peuvent-elle jouer un rôle de médiation, d’apaisement et de défense d’un ordre démocratique ?

La CEDEAO a mobilisé des moyens militaires pour remettre au pouvoir le président Bazoum. A leur tête, il y a le Nigéria qui veut s’affirmer comme puissance régionale et qui considère que le Niger est sa banlieue. Même si le Niger n’a pas les moyens de résister militairement, ils ne sont pas passé à l’action, car il y a un risque politique avec des manifestations de civils réprimées dans le sang. Je pense qu’une intervention militaire est de moins en moins probable.

Dans le cas du Gabon, l’Union Africaine a suspendu le pays et la Communauté économique des États de l'Afrique Centrale s’est contentée de « fermement condamner » le coup d’état. Tous les pays de la région sont tétanisés et ont peur de la contagion de révolution de palais, car ce sont tous des autocrates. Paul Biya, au Cameroun, est président depuis plus de 40 ans, Denis Sassou-Nguesso dirige le Congo depuis 1979, et Teodoro Obiang, le chef de la Guinée Équatoriale, est le plus ancien président en exercice au monde. Donc les pays voisins ne feront rien.

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