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par Antoine Champagne - kitetoa

En creux de l'élection américaine : un monde de dingues

On oscille entre Idiocracy et Mad Max

Il est de plus en plus compliqué de tirer des conclusions des scrutins importants comme celui qui se déroule aux États-Unis. Fake news, théories du complot, candidats hystériques et hystérisants, populations au bord de la crise de nerf, plus rien n'a de sens.

Affiche du documentaire Idiocracy, ,disponible dans tous les bons vidéo-clubs - D.R.

C'est un peu comme une copropriété... Il faut bien élire quelques énergumènes pour gérer le tout-venant. Mais finalement, aucun ne fera mieux que les autres, les choses avancent quasiment seules. Au passage, quelques-uns en profitent. C'est comme une taxe, un prix à payer lorsque l'on décide de ne pas s'occuper de la copropriété. Il faut être fataliste. Dans la copro américaine, on a eu Trump pendant quatre ans. Un dingue complotiste pour qui la seule vérité qui vaille, est la sienne. Ceci ouvre bien sûr des perspectives délirantes, ce n'est rien de le dire. Asséner pendant quatre ans à des gens normalement cortiqués que les vérités objectives, factuelles, sont des mensonges, peut avoir des effets très violents. Inversement, imposer aux mêmes personnes de considérer des mensonges éhontés comme étant des vérités, peut rendre fou. Donald Trump, comme l'a révélé Bob Woodward dans son livre Fear, Trump in the White House, c'est un homme politique qui a une mémoire de poisson rouge. Il a une lubie, demande un texte à signer dans les deux jours sur son nouveau sujet de prédilection. Mais comme ses conseillers sont moins dingues, ils soustraient le document du parapheur des documents à faire signer et Trump, simplement, oublie son sujet et passe à autre chose. Que dire ? On pouvait difficilement avoir pire et plus dangereux pour la planète qu'un Trump, piètre homme d'affaire ayant mené le groupe hérité de son père à la faillite, adepte des pires théories complotistes, raciste avéré, inculte sur le plan économique ou des relations internationales. Mais... Il ne faut pas pour autant en conclure que nous n'aurons pas pire dans une avenir plus ou moins proche.

Au sortir des années Bush, tous ceux qui sont plus ou moins progressistes et défenseurs des droits de l'Homme sur cette petite planète poussaient un « ouf » de soulagement. Impossible d'avoir pire. Un type qui avait provoqué des « guerres préventives », organisé une légalisation de la torture, des enlèvements partout sur la planète, créé des prisons fantômes hors de tout cadre juridique, imaginé l'enfermement à vie sans procès et surtout, sans perspective de sortie... Comment imaginer pire ? Il a suffit qu'un Trump arrive au pouvoir pour que l'on sache que le pire est toujours possible.

Mais pour arriver au pouvoir, il a bien fallu que des gens l'élisent, ce pire... Et il serait également dangereux de continuer d'éviter cette discussion... Nous vivons dans un monde de dingues ou les barjots sont de plus en plus nombreux, où leur voix est de plus en plus diffusée. N'entend-on pas à longueur de journée les pires inepties racistes, complotistes, anti-démocratiques être débitées sur toutes les antennes, dans tous les journaux (ça fait du clic, du buzz, de la vente, des sous...) par des gens qui, une fois leurs horreurs affirmées et réaffirmées, s'étranglent dans un râle en criant : « on ne peut plus rien dire !!! » ? Une introspection de #LaPresse ne serait pas inutile. Pourquoi répercuter, pourquoi servir à ce point de caisse de résonance à tous ces dingues ?

Mais c'est bien sûr ! Comment n'y avais-je pas pensé ? - Twitter
Mais c'est bien sûr ! Comment n'y avais-je pas pensé ? - Twitter
Pour être élus, les Bush, Sarkozy, Macron, Poutine et tant d'autres, doivent faire le plein de voix. Il y a donc une majorité de gens qui votent pour des incapables, des racistes, des complotistes, des fous. Qu'est-ce que cela dit sur ces électeurs ? Qu'est-ce que cela dit sur nos sociétés ? Le scrutin universel a-t-il encore un sens en Idiocracy ? La vie vaut-elle la peine d'être vécue dans une société qui décrète que Kendji Girac est un chanteur ?

Comment est-il possible que des millions de personnes croient dur comme fer que des élites de l'État profond américain, alliées avec des « élites mondialistes », le monde de la finance et les médias se livreraient à des crimes satanistes et pédophiles (ils boivent le sang de nos enfants, un délire pas très nouveau pourtant) et que Donald Trump serait en fait le seul à lutter secrètement contre eux ? Comment en est-on arrivé là ? Qu'est-ce que cela dit de notre démocratie qui accorde un droit de vote à des zinzins pareils ? Comment une théorie aussi illuminée et américano-centrée peut-elle prospérer en Europe et en France ? Il suffit d'aller lire les inepties de « Redfamily », un groupuscule croisé en marge d'une manifestation pour comprendre que la France n'est pas immune à ce type de délires.

Quand des Français traduisent les délires des QAnon et se les approprient - 12ème dimension
Quand des Français traduisent les délires des QAnon et se les approprient - 12ème dimension

Les élèves de première année de droit, sont souvent amenés à réfléchir et disserter sur le sujet suivant : « jusqu'où la démocratie doit-elle tolérer en son sein ceux qui veulent la détruire ? ». Doit-on réfléchir à ce que nous devons faire de ceux qui sont assez perchés pour prendre pour argent comptant les délires QAnon et voter pour des gens comme Trump (ou d'autres) ? Leur place est-elle dans un asile ou dans un bureau de vote ?

Le recours aux soins en psychiatrie est en forte croissance

(source) Même s’il est difficile d’objectiver les besoins de soins en psychiatrie, on constate que le recours auprès de l’ensemble du système de soins s’accroît partout où il a pu être mesuré (secteurs, ville). On a ainsi pu évaluer à 56 % l’augmentation du nombre de personnes suivies par les secteurs de psychiatrie en dix ans (de 1989 à 1999) et à 19,4 % celle des consultations par les psychiatres de ville entre 1992 et 2001 (DREES, 2003).

1,2 million environ de personnes vivant à domicile déclaraient consulter régulièrement pour trouble mental ou psychique en 1999 (Anguis, 2003). 56 000 personnes étaient hospitalisées dans les établissements de psychiatrie à la fin de l’année 1998, ce qui correspond à un taux d’hospitalisation de 96 pour 100 000 habitants (Chapireau, 2002).

Sur le plan des pathologies, les dépressions représentent un quart du total des recours aux soins (y compris médecins généralistes) contre 7 % pour les psychoses. Parmi les motifs de recours aux soins en établissement, la part des dépressions semble augmenter et celle des retards mentaux et des démences diminuer (DREES, 2003).

Mais au fond, si nous devions exfiltrer dans des asiles tous les dingos pour éviter de les voir dans les bureaux de vote, ne prendrait-on pas le risque de ne plus avoir grand monde pour élire les chefs temporaires de la copropriété ? De fait, on est tous le dingo d'un autre et il faudrait donc choisir avec une grande prudence ceux qui décrèteraient qui est dingue et qui ne l'est pas.

Au fond, le système actuel est peut-être le moins pire, comme disait l'autre. Mais prions pour que l'esprit critique, la culture, l'ouverture aux autres, l'empathie envers les autres humains, la capacité à s'auto-déterminer dans le respect des autres, se développent sérieusement. Vite de l'engrais et des tonnes d'eau pour faire pousser ça plus fort...

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