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par Antoine Champagne - kitetoa, Jacques Duplessy, Antoine Champagne - kitetoa

Emmanuel Macron : la pirouette réfléchie

Son silence, puis sa prise de parole visent un arrêt du mouvement

Ça a dû cogiter dur chez les communicants du président. Le mot d'ordre au lendemain de son allocution télévisée : il faut savoir arrêter un mouvement". Et arrêter de se payer la tête des gens, c'est possible ?

Manu-je-traverse-la-rue va vous calmer - D.R.

C'est la question qui brûle toutes les lèvres, celles des commentateurs professionnels, celles des journalistes, et sans aucun doute celle de la fine équipe de l'Elysée qui a orchestré le théâtre de lundi soir 20 heures : "Est-ce que ça va marcher ?". Est-ce que les gens vont gober l'affaire et arrêter ce mouvement qui commence, il faut bien le dire, à faire paniquer l'exécutif. Mais visiblement pas encore assez pour proposer quelque chose de tangible aux gilets jaunes.

La trouille des équipes d'Emmanuel Macron est particulièrement bien dépeinte dans un article du Canard Enchaîné du 12 décembre. Extraits : "le Château s’est transformé, le 8 décembre, en un véritable château fort [...] _500 gardes républicains du premier régiment d’infanterie, plus une petite centaine de flics et de gendarmes du Groupe de sécurité de la présidence de la République ont rappliqué. Avec tout l’arsenal nécessaire, notamment des lances à eau, pour repousser d’éventuels assaillants, des drones, pour les voir arriver de loin, tandis qu’à l’extérieur un hélico était prêt à exfiltrer le chef de l’Etat." Ne manquaient que l’huile bouillante et les archers... Le palais présidentiel était isolé au centre d’un immense no man’s land, baptisé "bunker institutionnel", englobant le ministère de l’Intérieur, la place de la Concorde et l’Assemblée nationale.

Dès les premières heures du jour, il était évident que personne ne briserait le périmètre de sécurité qui avait été dessiné autour de l'Elysée - Antoine Champagne - Reflets - © Reflets
Dès les premières heures du jour, il était évident que personne ne briserait le périmètre de sécurité qui avait été dessiné autour de l'Elysée - Antoine Champagne - Reflets - © Reflets

Pour ce qui est de la réponse d'Emmanuel Macron, elle a probablement été très réfléchie. Tandis que sa garde rapprochée orchestrait une campagne d'intimidation sur le mode "n’allez pas manifester, ça va être la guerre, il va y avoir des morts, des gens viennent pour tuer", le président gardait le silence, jouant sur une forme de pourrissement. Alors que les gilets jaunes hurlaient partout qu'ils voulaient qu'Emmanuel Macron les écoute, qu'il leur dise qu'il les avait enfin entendus, il gardait le silence. Sur les Champs-Elysées le 8 décembre, un gilet jaune confiait : "ils nous ont enfermés ici, on ne peut pas approcher du palais. Nous on veut crier sous ses fenêtres pour qu'il nous entende".

Lorsqu'il ne s'agissait pas de manier la peur, les ministres relayaient des éléments de langage sur le coût économique pour la France de ce mouvement. Et le lendemain de la prestation télévisée d'Emmanuel Macron, le ministre des finances, Bruno Le Maire, a claironné : tout cela va coûter 0,1 point de croissance à la France sur le dernier trimestre de cette année. A tout prendre, la menace d'un ralentissement de la croissance est toujours moins anxiogène que la brutale répression policière que la France a connu ces dernières semaines : 3300 arrestations, 1052 blessés, un coma, un décès, comme le relève Bastamag qui a dressé la terrible liste.

Une allocution contestable

A l’origine de ce mouvement, concède Macron il y a une « colère sincère », une « indignation », « une colère  » qu’il ressent « comme juste à bien des égards » « une colère qui vient de loin ». « Beaucoup de Français peuvent la partager ». Mais après avoir joué les Captain Obvious, Emmanuel Macron estime que « c’est désormais le calme et l’ordre républicain qui doivent régner ». Il siffle en quelque sorte la fin de la récréation pour des élèves turbulents. Toujours cette pédagogie méprisante... A-t-il pris la mesure que c’est la crise d’un système ? Sans doute pas.

Son discours est surtout riche de tout ce qu’il ne dit pas. Il n’a pas répondu aux raisons de cette colère. CIR, CICE, crise de la représentation nationale, répartition des richesses, optimisation fiscale, 1%, tous ces sujets ne sont pas abordés, ou simplement survolés. Ceux qui veulent « bousculer la République » sont des « irresponsables ». Pas question de réfléchir à un nouveau pacte social. Ce n'est pas comme si la maison brûlait... Le retour de l’ISF ? hors de question. Le président a cet argument d'autorité : « Vivions nous mieux avec cet impôt ? Les plus riches partaient et notre pays s’affaiblissait ». Si les plus riches partaient (ce qui reste à démontrer), les riches étrangers venaient. Car depuis des lustres, alors qu'on nous bassine avec l'idée d'un pays nécessitant des réformes en profondeur, la France attire les investissements étrangers.

Investissements étrangers en France - Insee
Investissements étrangers en France - Insee

Dans son allocution, le président laisse même accroire qu'il avait vu cette crise venir : « en pressentant cette crise, je me suis présenté à vos suffrages pour réconcilier et entraîner ». Un sauveur... Il n’a fait pourtant fait qu’accroître les divisions, maniant la petite phrase assassine sur les gens qui ne sont rien, les premiers de cordées, les jobs que l'on décrocherait en traversant la rue, on en passe, il a ostensiblement favorisé les plus riches, ses donateurs qui ont financé sa campagne présidentielle.

« Mon seul souci, c’est vous, mon seul combat, c’est vous » : Le lapsus est merveilleux... Les gilets jaunes ont dû entendre qu'ils étaient les empêcheurs de gouverner en rond pour le plus grand bien des premiers de cordée, que le seul combat qu'il voulait mener, c'était le combat contre "les gens qui ne sont rien"...

Des mesurettes ?

Qu'a donc annoncé Emmanuel Macron pour calmer les esprits ? Une prime de fin d’année payée par les employeurs qui le décideraient « sans impôt ni charges ». En d'autres termes, faire payer par les autres pour calmer la colère qui gronde et préserver son poste. Encore faudrait-il que les employeurs veuillent bien payer cette prime...

Un relèvement de 100 euros du smic ? En fait, un relèvement de la prime d'activité qui touche une petite partie des gens qui touchent le salaire minimum. Le smic ne bouge pas. Il y a 20€ lié à l'inflation, 20 € de baisses de cotisations et 70 € de prime d'activité en contre partie d'un gel sur 3 ans (en gros, une avance), soumis à condition de ressources.

Le président veut « mettre fin aux avantages indus et aux évasions fiscales ». Le dire ne mange pas de pain. Quid de l'optimisation fiscale ? Pas vraiment illégal, juste une façon pour les plus riches, qui peuvent s'offrir les services de cabinets spécialisés hors de prix, de réduire leur impôt au strict minimum alors que sur le papier, ils devraient contribuer bien plus lourdement au bien commun. Carlos Ghosn regrette-t-il ses tripatouillages ? La délinquance en col blanc est moins sévèrement puni que la délinquance classique. Si les dirigeants des grandes entreprises et les « premiers de cordés » risquaient réellement des années de prison, cela modérerait leurs ardeurs. Il n'en est rien. Et cela ne risque pas de changer.

« Cette colère peut être notre chance » a dit le Président. Chiche !

Mais on en est loin aux vu des réponses apportées. Il promet un grand débat national ouvert à tous avec les maires comme relais. Pourquoi pas. Mais rien ne bougera sans pression. Son intervention laisse plutôt entendre que la stratégie du gouvernement est de désamorcer la mobilisation, un peu comme les parents diffusaient « Bonne nuit les petits » à leurs enfant avant d’aller dormir.

Face a cet « état d’urgence économique et social » décrété par Macron (et par Hollande avant lui...), il va peut-être falloir aider le Président, en restant en colère.

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