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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Emmanuel Macron a déjà enterré le mouvenent des gilets jaunes

Ce qui est une erreur politique majeure

Le président est persuadé que le mouvement va mourir et qu'il suffit de tenir. En refusant de trouver une solution politique, en jouant le pourrissement, Emmanuel Macron prépare simplement la prochaine crise qui sera pire que celle-ci.

Le guitariste de l'extrême - © Reflets

C'est plié. Si l'on en croit les indiscrétions publiées dans le Canard Enchaîné de ce mercredi 20 février, Emmanuel Macron et derrière lui tous ses soutiens, sont persuadés que le mouvement des gilets jaunes est sur sa fin. Le fin stratège de l'Elysée estime que les dérapages des figures visibles du mouvement, l'infiltration des manifestations par les extrêmes, de gauche, de droite et par les black blocs, les violences et les dérives antisémites prononcées de certains gilets jaunes, vont signer le mort du mouvement. Le tout étant de tenir le temps nécessaire.

Ce gros con, lui, a tort... - © Reflets
Ce gros con, lui, a tort... - © Reflets

Macron ne veut plus faire la distinction entre les bons et les mauvais gilets jaunes. « Les gens qui continuent à manifester sont les plus radicalisés, a-t-il dit à ses troupes. Ce sont des gens politisés, conduits par des extrémistes de droite et de gauche. Il ne faut pas mollir face à eux. » Même réaction du président de lʼAssemblée, Richard Ferrand : « Il faut qu'on sorte de lʼidée qu'il y a les gentils gilets jaunes et les casseurs. Dans les manifestations du samedi, il ya des casseurs et leurs complices. »

Ces analyses subtiles vont se transformer en éléments de langage pour toute la macronie, selon le Canard Enchaîné.

C'est déjà un peu le cas. Cela fait plusieurs semaines que Christophe Castaner, Laurent Nuñez ou Benjamin Griveaux, instrumentalisent les violences ou les actes antisémites en tenant de réduire le mouvement des gilets jaunes à cela.

C'est pourtant aller un peu vite en besogne. Le mouvement entamé le 17 novembre est toujours là le 20 février, soit quatre mois plus tard. Quatre mois d'hiver qui n'ont pas empêché manifestations et occupations de ronds-points. Les beaux jours arrivent, qui donneront peut-être envie à quelques gilets jaunes d'aller prendre l'air dans les rues...

En outre, la démarche des ministres les plus zélés d'Emmanuel Macron consiste à ne prendre en compte que le mouvement des gilets jaunes des villes. Ceux qui manifestent dans les grandes villes. C'est au cours de ces manifestations, dans lesquelles il est aisé pour les extrémistes de tous poils de s'infiltrer, que les dérapages ont lieu. Le mouvement des gilets jaunes des campagnes (pour faire une classification...) est bien plus pacifique. Ce sont des occupations de ronds-points, des agoras où les gens se rencontrent et discutent. On y observe moins de violence et de dérapages, si l'on exclut quelques actions violentes contre les sociétés d'autoroutes.

Amalgamer tout cela et le réduire aux violences, c'est ne pas prendre la mesure d'un mouvement plus profond.

Un mouvement à l'image de la société : multiple. - © Reflets
Un mouvement à l'image de la société : multiple. - © Reflets

Le point commun, s'il fallait en trouver un de tous les gilets jaunes, c'est qu'ils ont compris une chose : on leur sert un bullshit marketing pour leur vendre une société profondément inégalitaire et peu démocratique comme une société idéale. Ils ont compris que dans la construction de cette réalité artificielle qui leur est vendue, participent une partie de la presse, des politiques et des entreprises.

RT mieux que Mediapart

Mediapart sur le même plan que BFM, TF ou LCI... - © Reflets
Mediapart sur le même plan que BFM, TF ou LCI... - © Reflets

Les réactions à cette prise de conscience sont diverses. Mais on retrouve le rejet de la presse (qui déformerait la réalité), des politiques (profiteurs) et des entreprises (qui se gaveraient sur le dos du petit peuple). Et ce rejet est massif et globalisant. On ne fait pas dans le détail, juste retour de balancier. Quitte à aller se fournir en vraie information sur RT (qui a pourtant aussi son agenda propre), ou sur les réseaux sociaux (qui sont pourtant des créateurs algorithmiques d'une réalité artificielle), quitte à aller prendre des idées chez des gens infréquentables comme Asselineau, Soral, Dieudonné (tous ne cherchant qu'à prospérer sur le dos des masses qui les suivent).

On peut déplorer cet aveuglement. Mais cela ne fait pas avancer les choses et la crise est là. C'est une crise de confiance, ou plutôt de défiance. Pour en sortir, il faudrait une réponse politique. Une réponse inventive, qui change le contrat social qui nous unissait jusque là et dont plus grand monde ne veut. C'est à ce type d'inventivité et d'audace que l'on reconnaît un grand homme politique. Ce n'est visiblement pas la voie suivie par Emmanuel Macron.

En ne cédant rien sur la liste à la Prévert de souhaits des gilets jaunes, le président attend simplement à grand renfort de coups de matraques, de tirs de LBD et de grenades, que le mouvement s'essouffle ou soit discrédité.

En fait, ce n'est probablement pas exactement ce qui va se passer. Le mouvement va peut-être s'essouffler ou perdre une partie de son soutien de la part des Français. Peut-être pas. Ce qui est certain, c'est que si le couvercle est reposé sur la marmite, avec le feu qui continuera à couver en dessous, le tout explosera dans un avenir proche, plus fort encore que cette fois-ci. Après-moi le déluge, se dit sans doute Emmanuel Macron, qui pense tout de même à se représenter en 2020. Après lui, justement...

Emmanuel Macron s'est construit sur une idée, le dégagisme. Faire table-rase de tous ces politiques qui se sont révélés impuissants à changer la société depuis des décennies et qui trustaient l'espace politique. Il les a non seulement balayés, mais a surtout détruit les partis politiques traditionnels, et plus généralement les corps intermédiares. Le PS et LR sont désormais inexistants et inaudibles. Or Emmanuel Macron a grillé son capital sympathie en 19 mois. S'il ne reste plus de parti (et donc de candidat) crédible, si Emmanuel Macron est carbonisé, que reste-t-il ? La France Insoumise et le Rassemblement National... C'est quasiment mathématique. Pathétique, mais quasiment joué d'avance.

Alors, en mai 2022, on dira merci qui ?

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