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par Antoine Champagne - kitetoa

Edward Snowden : un symptome du tête à l'envérisme

Le règne du faux, l'inversion du sens prospèrent, année après année. Oh, bien sûr, cela n'a pas commencé hier. Ni avant-hier. Les puissants (transformés en  bateleurs) ont toujours jonglé avec les mots, inversant leur sens, établissant un règne du faux, un marketing généralisé à tous les sujets sociétaux pour mieux "mener" les foules. Les beaux-parleurs ont le beau rôle.

Le règne du faux, l'inversion du sens prospèrent, année après année. Oh, bien sûr, cela n'a pas commencé hier. Ni avant-hier. Les puissants (transformés en  bateleurs) ont toujours jonglé avec les mots, inversant leur sens, établissant un règne du faux, un marketing généralisé à tous les sujets sociétaux pour mieux "mener" les foules. Les beaux-parleurs ont le beau rôle. Il suffit qu'un tribun harangue les foules désignant à la vindicte populaire les "responsables" des maux du peuple pour que celui-ci, comme un seul homme s'arme de machettes, de piques, de flingues et zigouille dans la joie et la bonne humeur ses semblables. A l'inverse, il suffit qu'un beau parleur scande "tous ensembles, tous en-semble" pour que les opprimés se sentent rassurés. Pour autant leurs problèmes n'ont pas disparu.

Avec l'accès généralisé à la "culture" via Internet, l'on pouvait miser sur une rébellion massive. Ce spectre explique d'ailleurs sans doute pourquoi les puissants tentent depuis son arrivée de le "contrôler", de le brider, de le transformer en supermarché. Internet comme agent de l'Anarchie, transformant tout un chacun en personne auto-déterminée ? Un beau rêve en partie (seulement) réalisé avec les mouvements #Occupy. Mais le chemin est encore long. Car l'infrastructure qui fait front face à cette transformation des hommes et des femmes de cette petite planète est puissante.

L'inversion du sens est un mouvement bien armé. Les media en sont un véhicule privilégié. Pour ceux qui ne le savaient pas ou qui en doutaient encore, Edward Snowden est venu apporter les preuves d'une écoute industrielle de la planète par les Etats-Unis. Une volonté de mettre en fiches les humains. Bien entendu, le but recherché n'est pas atteint car on ne peut résumer une personne à sa projection digitale ou ses échanges. Mais tout de même... Cette mise en fiches peut avoir des effets pervers, même en démocratie, que seul un faible d'esprit ne peut entrevoir. Edward Snowden a donc apporté ces preuves pour ceux qui n'y croyaient pas. Et que se passe-t-il ? La presse dans un vaste élan pond des tonnes d’articles sur... son billet d'avion, son siège vide dans l'avion, sa petite amie, son blog... Et sur PRISM ? Rien. Ou presque... surtout du gros bullshit.

C'est tellement "compliqué", n'est-ce pas ? Comme Stéphane Soumier qui lançait ce matin sur BFMBusiness à peu près ceci : "impossible de parler de credit crunch au 20h, c'est trop compliqué, et même chez nous sur BFMBusiness...". Vraiment ? Qui est Stéphane Soumier pour décider que les téléspectateurs sont trop cons pour comprendre que les banques cessent de se prêter par manque de confiance et que du coup, les prêts aux particuliers et aux entreprises se réduisent drastiquement ?

Bref, plus facile d'en faire des tonnes sur le billet d'avion d'Edward Snowden que sur la mécanique industrielle mise en place par les Etats-Unis pour écouter la population de la planète. Ou sur les implications sociétales de cette démarche. Ne serait-ce que s'interroger un instant sur cette tendance des puissants à voir dans chaque individu un délinquant potentiel ? Sur le fait que rien ne peut justifier cette volonté d'intrusion dans la vie privée des êtres humains. Ecouter, c'est super, mais uniquement si l'on écoute les autres. Les puissants refusent qu'on les écoute. Les fanatiques de l'écoute, de l'intrusion dans la vie privée sont les premier à s'émouvoir s'ils sont les sujets de l'écoute, de l'intrusion dans leur vie privée.

L'inversion du sens, le règne du faux ne datent pas d'hier, disions-nous. Dans les années 60-70, on apportait déjà la démocratie à coups de napalm et de bombes. Dans les années 2000, on fait exactement la même chose. On ne torture pas, on n'enlève pas des gens pour les larguer dans des prisons fantômes, on lutte contre la terreur. On ne détruit pas ce qu'il reste de l'équilibre des relations internationales après la chute du mur de Berlin, on apporte la sécurité et la démocratie à des peuples en tuant des centaines de milliers de civils.

On ne vidéo-surveille plus personne, on vidéo-protège tout le monde. On n'exploite plus les salariés, on leur offre la joie de profiter de la flexi-sécurité.

On peut rembobiner ?

L'offensive de l'inversion du sens est telle que l'on aimerait pouvoir rembobiner la bande. Rejouer le film et changer l'histoire. Imaginer un monde où les journalistes éclairent avec succès ceux qui ne voient pas ce qui se dessine. Un monde où les êtres humains n'auraient plus besoin de leaders pour les embobiner et les "guider". Un monde où nous ne prendrions plus un bain par jour pendant que des centaines de milliers de personnes doivent faire des dizaines de kilomètres à pied pour trouver un point d'eau. Un monde où plus de 30 millions de personnes ne mourraient plus de faim chaque années pendant que les poubelles de McConald's débordent.

 

La belle utopie que voilà...

Est un traître celui qui révèle des secrets

Depuis son élection, Barack Obama a très fortement augmenté le nombre de bombardements par des drones à la frontière du Pakistan et de l'Afghanistan. Il n'a pas fermé Guantanamo comme il l'avait promis. Il a poursuivi les écoutes massives mises en place par son prédécesseur. Mais surtout, son gouvernement poursuit plus de lanceurs d'alerte que tous les autres gouvernements précédents réunis. Le lanceur d'alertes est présenté comme un traître à sa patrie, on a même entendu des appels au meurtre contre Julian Assange. La première démocratie du globe est décidément en bonne voie. Bien sûr les mauvais coucheurs avaient mis en garde contre les déceptions à venir, tant l'espoir était grand après les années de plomb de Bush. Mais à ce point...?

Pourtant, la lecture des derniers documents fuités par Edward Snowden et le Guardian est intéressante sur le point du droit. On note en effet qu'au fil de la mise en place du système d'écoute des métadonnées et du contenu de nos échanges, la NSA s'inquiète très fortement de la légalité du projet. Par ailleurs, les textes visant à rendre légal ce montage sont frappés du secret. Pourquoi ? Comme diraient les fans de la vidéo-"protection", si l'on n'a rien à se reprocher, on n'a rien à cacher...

Enfin, il ne serait pas idiot que quelques chercheurs planchent sur les moyens investis dans la lutte contre le terrorisme. Combien dépensent chaque année les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne -pour ne citer que ceux-là.

Est-ce "rentable" ? Ces pays comptent-ils moins de morts que par le passé, quand toute cette industrie de l'écoute n'existait pas ?

Le terrorisme n'est pas apparu avec le 11 septembre, comme essayent de le laisser entendre les Etats-Unis. L'Italie a connu ses années de plomb. La France et l'Espagne ont eu leur lot d'attentats au Pays-Basque. Ne parlons même pas des actions palestiniennes, de la Fraction Armée Rouge, d'Action Directe en France. Le terrorisme est par ailleurs, à géométrie variable. Les Contras au Nicaragua étaient financés par la CIA. Le SAC était une émanation du parti gaulliste.

Pourtant, en dépit des outils industriels de surveillance mis en place depuis le 11 septembre, le nombre d'attentats a très nettement augmenté depuis cette date. Comme le note Wikipedia :

80 % des attentats-suicides depuis 1968 ont eu lieu après le 11 septembre 2001, selon Bruce Hoffmann, vice-président de la Rand Corporation3. De 2000 à 2004, il y a eu 472 attentats-suicides, dans 22 pays, qui ont tué plus de 7 000 personnes3, soit plus du double que lors des deux décennies précédentes. En 2004, il y avait plus d'un attentat-suicide par jour en Irak. Dans le même temps, le nombre total d'actes de terrorisme baissait d'un pic de 666 en 1987 à 274 en 1998, remontant à 348 en 20014.

Les dépenses massives engagées par les gouvernements pour, disent-ils, lutter contre le terrorisme, semblent bien ne pas fonctionner. Les lois liberticides votées depuis 2001 dans les pays occidentaux non plus. Ne serait-il pas temps de tirer un bilan, à l'occasion des révélations d'Edward Snowden ?

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