Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Edouard Philippe nommé administrateur indépendant d'Atos

Un job à quelques dizaines de milliers d'euros

Les allers-retours entre public et privé, et vice-versa, sont désormais une habitude pour les politiques français. On parle de pantouflage. En quoi consiste ce travail d'administrateur ?

El Barbudo - Jacques Paquier - CC BY 2.0

Le Monde nous apprend la prochaine nomination de l'ancien premier ministre Edouard Philippe comme administrateur indépendant de la société Atos, bien connue des lecteurs de Reflets et, auparavant, de Kitetoa.com. En quoi consiste ce travail d'administrateur indépendant ? En se penchant sur le "Document d'enregistrement universel 2019" publié par Atos, on trouve de nombreuses informations sur les administrateurs.

Les administrateurs indépendants composent à 70% le conseil d'administration d'Atos.

La mission du Conseil d’Administration est de déterminer la stratégie et les orientations de l’activité de la Société, et de veiller à leur mise en œuvre. De plus, le Conseil d’Administration nomme les dirigeants mandataires sociaux et statue chaque année sur l’indépendance des administrateurs, fixe les éventuelles limitations aux pouvoirs du Directeur Général, émet le rapport sur la gouvernance d’entreprise, convoque et fixe l’ordre du jour des Assemblées, procède aux contrôles et vérifications qu’il juge opportuns, au contrôle de gestion et de la sincérité des comptes, à l’examen et à l’arrêté des comptes, à la communication aux actionnaires et examine les communications aux marchés d’une information de qualité.

Les administrateurs ont un vrai travail :

En acceptant le mandat qui lui est confié, l’administrateur s’engage à consacrer à ses fonctions le temps et l’attention nécessaires. Il doit participer, sauf empêchement, à toutes les réunions du Conseil d’Administration et, le cas échéant, des Comités auxquels il appartient.

Le "temps nécessaire" est ainsi détaillé :

Conformément au Règlement intérieur du Conseil, le Conseil d’Administration se réunit au moins cinq fois par an et aussi souvent que l’intérêt de la Société l’exige, sur la convocation de son Président. Les administrateurs peuvent participer aux réunions du Conseil d’Administration par des moyens de visioconférence ou de télécommunication.

Nous avons interrogé Atos pour savoir quel était le nombre de réunions du conseil d'administration en 2018 ainsi que le nombre de réunion des différents comités pour les administrateurs plus fortement rémunérés. Nous n'avons pas obtenu de réponse.

Mettons 10 réunions par an pour un administrateur uniquement présent aux réunions du conseil d'administration. Imaginons que ces réunions durent toute la journée. Plus une journée de préparation. Total : vingt jours de travail effectif par an.

L'enveloppe globale des" jetons de présence" (c'est le nom financier donné à la rémunération des administrateurs) est de 800.000 euros pour l'exercice 2019. La rémunération est variable selon les administrateurs, elle est fonction de leur présence aux réunions ou de leur participation à des comités. Cela variait pour l'exercice 2018 de 32.000 euros à 59.000 euros.

Si l'on prend le montant le plus bas des rémunérations, soit 32.000 euros en 2018, pour 20 jours de travail effectif, cela fait 1600 euros la journée. Plus qu'un smic mensuel.

Un salaire minimum, en France, pour 35 heures par semaine, toute l'année, c'est 18.473 euros bruts. Pour un mois de travail effectif, un smic est à 1.539 euros.

Une prise de choix

La nomination de l'ancien Premier ministre au conseil d'administration de l'entreprise pose une autre question : celle du transfert d'informations sensibles utiles à Atos. A Matignon, Edouard Philippe a eu à connaître des projets de l'Etat dans lesquels le groupe informatique pourrait être partie prenante ou même des informations relatives à ses concurrents. Les connaissances de ce nouvel administrateur, comme son carnet d'adresse largement étoffé lors de son passage à Matignon, seront donc logiquement susceptibles de le placer au mieux dans les futures commandes publiques et c'est probablement la stratégie de l'entreprise lorsqu'elle propose à Edouard Philippe ce poste.

N'est-ce pas d’ailleurs sa marque de fabrique depuis des années ? Dans le documentaire co-produit par Reflets, Radar, la machine à cash, nous évoquions déjà le sujet, avec cette fois comme personnage central, non pas un ancien Premier ministre, mais un ancien ministre des Finances : Thierry Breton. Il est arrivé à la tête d’Atos à la fin 2008, alors qu’il avait quitté Bercy l’année précédente, et y est resté jusqu’à la fin 2019, juste avant d’être nommé Commissaire européen… A noter qu’au conseil d’administration d’Atos, il avait été très vite rejoint par Nicolas Bazire, un très proche de Nicolas Sarkozy, élu quelques mois plus tôt président de la République. C’est d’ailleurs peut-être pour le remplacer – ce dernier a fait savoir en juin qu'il ne souhaitait pas solliciter le renouvellement de son mandat d'administrateur – qu’Edouard Philippe a été sollicité.

4 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée