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par Robert Matrice

Do you speak manif ?

L'hélicoptère et le génie de la Bastille. CC Wikimédia. by @Jules78120 / CC-BY-SA Voici un petit reportage, forcément subjectif, sur les trois derniers jours de grèves, avec les manifestations contre la loi travail. Je vous laisse le soin de trouver d'autres points de vue, articles, photos ou vidéos, pour vous forger un avis plus complet. Le début 5 avril 2016. Tout n'est que clichés, le bruit des sonos qui se contredisent, l'odeur de la merguez dans les plats à paella.

L'hélicoptère et le génie de la Bastille. CC Wikimédia. by @Jules78120 / CC-BY-SA

Voici un petit reportage, forcément subjectif, sur les trois derniers jours de grèves, avec les manifestations contre la loi travail. Je vous laisse le soin de trouver d'autres points de vue, articles, photos ou vidéos, pour vous forger un avis plus complet.

Le début

5 avril 2016.

Tout n'est que clichés, le bruit des sonos qui se contredisent, l'odeur de la merguez dans les plats à paella. Les éternels ballons géants, les autocollants sur les habits, les slogans immuables. J'ai quelques soupçons de recyclage de banderoles d'une année à l'autre.

Il y a en fait deux manifs. Les anciens, reconnaissables à la barbe audacieuse. Et les jeunes. Ceux qui veulent la fin, ceux qui veulent le début.

Les CRS sont omniprésents, et les services d'ordres tendus. Autorité, organisation, chaussure de sécurité, gros bras et gants renforcés. Ca, c'est coté CGT et FO. En face, c'est bonbonne de lacrymo dans le dos, verte, entre l'extincteur et le machin pour sulfater la vigne.

Dispersé dans la foule, du jeune rebelle qui est là pour son baptême de rebelitude, la canette en verre à la main. La moitié des gens ont une écharpe ou un foulard, prêt à être remontée, jeune comme vieux.

Le look rebelle de 2016 est résolument tourné vers les années 80, avec rouflaquette, jean trop court pour mettre en valeur les grosses chaussures, et grosse chaîne pour le porte feuille dans la poche arrière.

Les CRS ouvrent la voie avec leurs gros camions, et bloquent les côtés systématiquement, pour la tête de cortège. Le service d'ordre est devant la tête de cortège, très rigoureux. Mais il y a une avant garde, en avance, par ce que ça se traîne pas mal.

L'impression de déjà vue est dérangeante. L'impression de patiner dans les époques, mais en plus méchant.

Un petit con, tout devant, souhaite se débarrasser de sa canette, la réponse est instantané, gros nuage de lacrymo, une percée des CRS, il se fait embarquer direct. Voila, il l'a eu, son baptême.

Le temps que le cortège arrive, l'incident est clos, et le service d'ordre toujours aussi tendu.

On a évité le mouvement de foule ou la charge sur les mémés pleines d'autocollant et les enfants.

Un camion de location n'a pas tenu la montée à petite vitesse, il finit le trajet poussé.

A l'arrivée, il n'y a pas grand chose. Les gens semblent un poil déçu. Par le manque d'action ? Par le beau temps indécent? Les flics en civil sont aussi déçu, ils rangent leur kit baston dans leur sac à dos. Casque trop petit, genre parachutiste, avec une loupiote accrochée, masque transparent, tout aussi petit, et le seul indice pour les différencier de cataphiles, les matraques télescopiques, en acier. Je pense que ce sont les plus déçus.

Mêmes les jeunes au look de racaille (ahh, le charme du survet'), font les kékés, mais n'ont pas du tout envie d'aller au casse pipe.

L'autre manif, celle des lycéens, semble avoir été plus mouvementée, avec des jeunes mis à terre. Les flics ont dû être moins déçus, du coup.

Il fait beau

9 avril 2016.

Les cieux sont plus favorables, cette fois-ci. En revanche, le trajet est à l'envers : de Denfert à Nation.

Arrivé par le métro, tout est bien rangé. Des tonnes de marchands de bouffe, avec leur poêle géante et la bidoche épicée dessus.

Des tas de champignons géants avec des noms de syndicats, section, région, corps de métier.

Tout est bien ordonné, par syndicat, à la queue-leu-leu. Pas mal de professions en habit de travail, comme le personnel de l'aéroport CDG.

Les classiques sous-sectes du Parti Communiste avec leurs tracts désespérés. Sérieusement, des maoïstes, en 2016, ça va aller maintenant, il y a prescription, il faut arrêter. La photo du Che, c'est du folklore, mais Mao! Enfin, un agent spatiotemporel perdu dans la manif, qui distribue des quarts de page A4 mal calés, pas de quoi s'énerver.

La foule est dense, mélangée, pas de présence de CRS, il fait beau. L'ambiance est bien plus détendue que les fois précédentes. Aux croisements avec les grosses avenues, il y a des cordons de CRS, mais en mode décoratif, comme des pitous que l'on aurait alignés.

Pour éviter de se faire crier dessus par les sonos, on remonte le cortège, qui a un poil tendance à piétiner.

On récupère un peu de lecture en passant, il y a même de la BD.

La partie lycéen/étudiant n'est qu'une petite tranche des manifestants, bien rangés, blocs après bloc. On les reconnaît bien, ce sont ceux qui ont des banderoles toute bricolées et peu lisibles, en drap coloré plutôt qu'en toile bâchée professionnelle.

On commence à en avoir plein les pattes, et du coup, on remonte; ça bouchonne un peu.

Ah tiens, c'est étonnant, un système de cordes tenues par ce qui pourrait être du service d'ordre. Une grande ligne bien droite, bien perpendiculaire, et ça remonte de chaque côté, assez loin vers l'arrière. L'impression de voir un berger contenir son troupeau de moutons. Du coup, on le dépasse par le côté, pas envie de jouer à du dessus/dessous avec la corde.

À posteriori, on a compris que cette corde délimite le début du cortège officiel. La fois précédente, il y avait un large espace vide entre l'avant-manif et la manifestation officielle. Là, c'est nettement plus confus.

Ça bloque carrément devant le pont d'Austerlitz, en bas du parc du jardin des plantes. Etonnamment, il y a pas mal de fans de trottinette et de natation. Des gens avec des lunettes de piscine ou des casques accrochés aux sacs à dos. Le casque de skater est tendance chez les photographes avec de beaux téléobjectifs.

Donc, plus rien ne bouge. On est sur le côté, entre un gros cordon de CRS et des gens avec une écharpe devant le nez et surtout une très forte envie de sport. Ça pue.

On avance pour voir ce qui bloque, sur le pont. Il y a une ligne de CRS au milieu du pont. Mais le modèle teigneux. Un centurion tout droit sorti d'Astérix se frite avec une mémé militante : vous ne passerez pas, et ils entament un pas de danse, un pas de côté, un pas de l'autre côté. Vu l'approche bornée du CRS qui a du mal à gérer son manque de RTT, on rebrousse chemin.

C'est quand même une grosse nasse, et le blocage du pont parait super arbitraire, c'est le trajet logique. On demande gentiment à passer par le côté. Ces CRS-là sont encore en mode détendu, mais ils sont quand même en manque d'informations, ils nous conseillent de suivre le cortège, ce qui leur parait être le moins dangereux, et le chef (celui qui a des lunettes de soleil) a bien rappelé que personne ne passe par ce côté.

Sauf que les énervés du rond-point envoient une volée de projectiles, à l'opposé. Voilà, on est en sandwich entre les CRS et les énervés qui chantent "Un coup de tonfa, lève les bras, un coup de bouclier lève les pieds". Donc, passage en mode négociation express, non, on ne va pas dans la direction des CRS teigneux du pont, ni à proximité des gens qui cherchent la castagne. Les CRS ne lâchent rien et en restent aux ordres, aussi absurdes soient-ils. Mais bon, c'est l'autre côté qui a droit au défouloir, pas celui-ci. Tant mieux, par ce que l'on est a côté des lances grenades et des bonbonnes vertes de gaz dans le dos, façon sulfateuse pour la vigne. OK, on remonte, mais ça pue le mouvement de foule et la nasse.

Ah tiens, ils laissent un gros espace dans le cordon, je soupçonne les CRS d'avoir biaisé les ordres pour laisser sortir les gens pacifistes et ne se garder que les teigneux.

On avance sans traîner, pour ne pas risquer un mouvement de foule dans le dos. À bonne distance, on voit les tirs de lacrymos, des belles paraboles avec la traînée de fumée, certaines sont renvoyées, des bruits sourds (des grenades assourdissantes?). Voilà, il y a eu du sport. Bon, visiblement essentiellement de la course à pieds façon chat et la souris.

Ça ressemble quand même pas mal à du SM en plein air, entre adultes consentants. On est loin des coups en traître sur des gamins que l'on souhaite rééduquer à coup de matraque, comme ce que ce sont pris les lycéens.

En rentrant dans le métro, à Nation, sans sortir de la rame, ça pue et ça pique un peu. Ça laisse présager l'ambiance à la surface.

Joli mai

1 mai 2016.

Ah, la mère de toutes les manifs, le premier mai. Il fait beau et il y a une belle lumière, bon, OK, le trajet est petit joueur, Bastille-Nation. Nation rime d'ailleurs avec Baston, en 2016.

On reste dans les classiques. Les champignons des syndicats. Les partis politiques qui restent poliment sur le côté. Divers variantes du PC, Nouvelle Donne qui redonne signe de vie, les Verts qui essayent de faire oublier leur incapacité à gérer l'échelon national. Ah tiens, pas de PS, le premier mai est censé leur parler, au moins un peu, et puis en 2011, ils avaient défilé. Ah oui, mais 2011. Avant 2012, quoi.

Bah, en attendant, il y a LO et la CNT, et encore d'autres scissions du PC.

Donc, cette fois-ci, on fait attention, on ne dépasse pas la corde, la limite officielle de la manif qui ne se fait pas taper. Ça date de quand cette histoire de corde?!

Voilà, on a dépassé les sans-papiers. Ensuite, une usine complète, qui doit faire de l'alimentaire, avec leur blouse blanche et charlotte bleue, ils font un bruit d'enfer avec leurs pompes à corne, une variante mécanique des machins des supporters de foot. Pire qu'une vuvuzela, ces machins. Maintenant, on est derrière les Tamoules, avec la banderole sans sous-titre.

Ça avance bien jusqu'à gare de Lyon, le moment où l'on bifurque sous le pont de la promenade plantée. La route attaque la montée vers Nation, et ça commence à bouchonner.

Bon, ne pas s'impatienter, on n'a qu'à poireauter en restant sagement au niveau du camion buvette de la CGT.

Ah tiens, des gardes mobiles passent sur le côté, à la queue leu leu. C'est une bête idée, au moindre mouvement de foule, ils se font coincer contre le mur. Ils viennent de s'en rendre compte et commencent à courir, coincés entre leur bouclier et le mur, et il y en a un paquet.

Hum, ça commence à sentir le pâté. Bon, on avance un peu, pour voir, et histoire d'arriver au moins jusqu'au métro Reuilly Diderot. On commence à voir le gros nuage, devant, au loin. Des gens préviennent: "ça gaze devant". OK, demi-tour, pas de risques, on va rentrer par une rue perpendiculaire. Plus moyen de faire une manif, un premier mai, juste 80 ans après 1936.

Bon, aucune des rues n'est perpendiculaire, c'est le bronx, ce quartier, on se retrouve à Reuilly Diderot, avec le métro fermé, mais pas de manifestants alors que c'est le trajet. Par contre, il y a des gens de la BAC. Heureusement qu'ils mettent une étiquette sur le bras, pour ne pas confondre, par ce que l'on est en plein cosplay casseur tel qu'on peut les voir sur un reportage de TF1. L'avenue est vide, beaucoup trop vide, on remonte un peu pour prendre la première sortie possible, la première perpendiculaire. On croise des gens qui repartent de Nation. Un type handicapé, aidé par deux personnes, un jeune aidé par deux bien plus âgés, il marche en canard, il a les yeux comme deux paires de fesses à 90°. Voilà, en hommage à Verdun il vient de se faire méchamment gazer.

"Et là ça va, la dernière fois je me suis pris un projectile dans la tête".

Une démarche de cartoon, un dialogue de série B. Mais la pédagogie du CRS ne semble pas fonctionner, il recommencera.

Arrêt de métro Montgallet, correspondance à Reuilly. La RATP empêche les gens de remonter avec un début de tension bien palpable.

Ce sera le dernier métro à marquer l'arrêt.

Bon, comme chaque fois, on ne voit rien, comprends rien à ce qu'il se passe.

Ça bloque, ça bouchonne de manière incompréhensible et tout simplement arbitraire. Le résultat est mécanique, d'un côté, des CRS qui n'ont pas assez dormi, en face, une sélection de manifestants bien remontés. Ensuite, destockage de lacrymo, tout doit disparaître avant le nouvel arrivage. Manifestation bon enfant, familiale au démarrage, puis grosse tension, grosse baston, et de jolis images de bavures qui tournent en boucle sur Internet.

Pour avoir une vision plus précise, il faut multiplier les sources. Là, la manif a été coupée en deux, avec un bon gros mur de CRS. Les vieux cons d'un côté, les jeunes cons de l'autre. Une manifestation des plus tranquilles, hein. Un très beau démarrage qui finit dans un gros cafouillage.

Après une expertise express sur Wikipedia, le rôle de la BAC est de faire des interpellations spectaculaires, avec des flagrants délits, et de gérer des émeutes. Là, on parle de manifestation.

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