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par Robert Matrice

Do you speak ça va mieux ?

26 mai 2016. Suite à l'opération manche de pioche de la CGT, j'avais séché la précédente manif, ambiance de merde, et surtout pas envie d'être là pour le match retour. L'affaire s'est finalement apaisée. Les manifs saute-mouton, c'est folklorique, mais ce n'est pas terriblement efficace. Donc, cette fois-ci, pour booster un peu la manif, il y a une bonne couche de grève dans des secteurs stratégiques. Raffineries, dockers, routiers, centrales nucléaires, journaux papier.

26 mai 2016.

Suite à l'opération manche de pioche de la CGT, j'avais séché la précédente manif, ambiance de merde, et surtout pas envie d'être là pour le match retour. L'affaire s'est finalement apaisée.

Les manifs saute-mouton, c'est folklorique, mais ce n'est pas terriblement efficace. Donc, cette fois-ci, pour booster un peu la manif, il y a une bonne couche de grève dans des secteurs stratégiques. Raffineries, dockers, routiers, centrales nucléaires, journaux papier. La panique des toxicos du pétrole est d'ailleurs belle à voir : 5 fois la consommation normale, juste pour le stress.

Donc, grâce à ce contexte, la manif du jour est de suite beaucoup plus crédible. La foule est très dense, dès la sortie du métro. La tête du cortège, la seconde moitié, quoi, et un assemblage de divers syndicats classiques. J'imagine que l'idée est d'éviter à la CGT la tentation de sortir les manches de pioche. Pour faire les gros yeux à la CGT, ils leur ont collé dans les pattes la FSU, les profs, quoi, ce qui semble logique.

Donc, bon trajet, Bastille-Nation, bonne ambiance, bonne densité, bonne météo. Pas de flic sur le trajet, pas de tension, on a un peu l'impression de voir une manif témoin, comme les maisons du même nom.

Ça n'avance pas vite, mais sans trop non plus piétiner. J'ai quand même la crainte que ce quinquennat ait défoncé réformé la notion de normalité pour une manif. Mais oui, c'est une manif normale : il y a le grand couillon avec son grand panneau coloré à bout de bras au-dessus de la tête. Il s'incruste dans la banderole de tête, va poser devant les CRS. Ce type est une starlette sur la croisette de Cannes. Les bimbos ont leurs seins en plastique, lui a sa pancarte (ainsi que des dettes). Il est un poil reloud avec son omniprésence.

Mais, au tournant du boulevard Reuilly Diderot, on peut entendre les détonations des grenades de désencerclement. C'est grillé pour la manif exemplaire.

On commence à entendre l'hélicoptère jaune en vol stationnaire, pour que son gros oeil puissent surveiller tout ça.

Des panneaux publicitaires sont défoncés puis bombés. C'est ballot, avec la clef, il est possible de changer l'affiche sans rien péter, et ça a bien fonctionné jusqu'à présent. La vitrine Skoda a pris cher, mais n'a pas cédé. Les banques sont de toute façon déjà repeintes, et leurs vitrines sont maintenant des panneaux de bois.

En remontant le boulevard, à chaque gros croisement, il y a des CRS derrière leurs murs à roulette, pour les petites rues, ils sont en retrait, plus discret. Par contre, la foule prend toute la largeur, et les CRS ne s'amusent plus avec leurs inquiétantes remontées de manif par les trottoirs. Il y a d'ailleurs beaucoup moins de casques chez les manifestants, mais les masques à poussières restent universels et intergénérationnels. Ça va mieux. Ça va même tellement mieux que l'on peut arriver jusqu'au MK2, juste avant la place de la Nation. Le FSU avec son micro sur son camion continue son karaoké, il enchaîne son intégrale de l'internationale (avec le couplet censuré anti militariste), un chant féministe et d'autres machins avec du rouge dedans.

Là, ça bouchonne pour de vrai. Il y a toujours ce microclimat sur la place de la Nation, ce gros cumulus qui marque chaque fin de manif. De loin, c'est dur de savoir si c'est du fumigène ou de la lacrymo, le vent est pour nous.

Ah tiens, ils font du tri sélectif sur la place, d'un côté, partent plusieurs volées de déchets recyclables. Au bout d'un long moment, l'autre coté réponds avec des tirs de lacrymo, avec ces jolies traînées en paraboles. M'en fous, le vent est des travers. Ah non, il tourne, raaah, ça pue toujours autant ces conneries, ça pique le nez, les yeux, mais aussi le visage. J'espère qu'ils ne testent pas ces cochonneries sur des animaux, par ce que sinon, BB serait très colère.

La foule commence à refluer, les totos insultent les syndicalistes en les traitant de lâches, les SO sont vexés. Ah tiens, un SO de la CGT qui traite un toto de stalinien. Rah, on avait dit pas les parents pour les insultes. Vexés, les syndicats braillent "On ne recule pas", et ça marche à peu près.

C'est quand même la première fois que je suis si près de la destination de la manif. Une manif de bout en bout, ce luxe.

De toute façon, comme les rues perpendiculaires sont murées, il faut remonter sur des kilomètres, et stresser l'arrière de la manif, pour pouvoir partir. Donc, s’il y a masse, autant avancer.

Champion du monde, pour la première fois depuis cette vague de manif je peux mettre le pied sur la place, dans une ambiance presque calme. Des street medics apaisent des gens défoncés au gaz, assis par terre. Ça va mieux. Les CRS gardent leur distance, pas de baqueux visibles. Ça va mieux. Ça va mieux, mais j'ai quand même l'impression de traverser une rivière en Amazonie avec les piranhas de chaque côté. Ils sont pénibles avec leur fascination pour les nasses, pour les murs, pour les bouilloires. Comment faire une dispersion sans porte de sortie? Il faut faire un tirage à la roulette, repérer un trou officiel dans les lignes de flics, et avoir confiance dans sa tête de benêt inoffensif pour réussir le test du délit de sale gueule. Bingo, ça passe. Visiblement, ce sont des CRS frais, ils sont étonnement détendus et constructifs.

Ah tiens, je suis dans le vent, ça pique de nouveau, une mémé impotente en terrasse se fait gazer, ça va mieux.

J'imagine bien que la dizaine de détonations corresponds à autant d'éclats de caoutchouc dans les guibolles du début de la manif, il faudra regarder le compte rendu de Taranis news pour avoir un contre point. Mais surtout, ne pas oublier : ça va mieux.

[edit]

Que l'on soit au début ou au milieu de la manif, on voit des choses différentes. Il y a bien eut du sang et des larmes à l'avant, les photos et récits ne sont pas dur à trouver.

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