Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Dossier
par Eric Bouliere

Deux heures de vérité avec Patrick Drahi

Patron de presse ou homme pressé ..?

Le mercredi 2 février 2022 à 16h45, M. Drahi était convié par le Sénat à participer à une commission d'enquête sur la concentration dans les médias en France. A 18h45 tout était dit de la place, de l'usage, et de la liberté de la presse

Trois mois d'enquête pour débattre de l'information libre - capture écran

La presse, on l'achète au kiosque ou sur une plateforme numérique, ont la lit assis dans le métro ou allongé sur son canapé, on la regarde sur l'écran de son téléviseur ou celui de son Smartphone. Autant dire qu'aujourd'hui -les Presses- sont multiples.

Et quand l'une va très mal lorsque les rotatives s'arrêtent, l'autre va très bien quand la bourse s'emballe. L'affirmation acide de ce célèbre présentateur Grolandais semble plus que jamais prendre de sa valeur: « L'information c'est vous qui la vivez, c'est nous qui en vivons ».

Ils s'appellent Arnault, Bolloré, Bouygues, Drahi, Lagardère, Niel, Pigasse. Selon l'expression consacrée, ce sont les grands capitaines d'industries du moment. Au fil de leurs fulgurantes ascensions entrepreneuriales ils sont aussi devenus les maîtres de l'information et dirigent d'une poigne de fer la presse papier, digitale, radiophonique ou télévisuelle. Ce qui familièrement s'apparentait autrefois à la jolie « danseuse » du patron est aujourd'hui considéré comme le beau placement du Big Boss.

Les milliards tombent ici ou là en pesant de tout leur poids sur le discours sociétal. Ces fortunes s'avèrent à ce point si inquiétantes que le Sénat se sent régulièrement obligé d'y regarder de plus près, de lire entre les lignes écrites par ces patrons de presse qui chevauchent d’indomptables licornes sur tous les marchés boursiers.

Tous ces hauts décideurs se sont librement exprimés devant cette commission d'enquête, tous se sont livrés cœur et âme sur leur rapport à l'argent et à la presse. Quels chemins les ont menés de la finance à la presse, et quels autres les conduisent de la presse aux affaires politiques? Chacun a ses mots et sa façon de le dire, mais tous se rejoignent sur un point : s'ils reconnaissent leur autorité de géants dans les hautes sphères financières, ils préfèrent arguer de leur « petitesse » quand il s'agit d'aborder le sujet de l'impact sociétal de leurs méga-entreprises.

De sorte que soudain, contre tous reproches ou insinuations émanant d'une presse rétrograde et pas encore sous leur coupe, on apprends que l'info et l'argent n'ont jamais chez eux, grand dieux non, fait partie du même business plan.

Compte tenu de l'actualité et du désaccord qui oppose Reflets au groupe Altice, la rédaction a jugé utile de revenir sur l'audition d'un certain Patrick Drahi. Une figure de ce monde de la finance, un parmi ces quelques autres qui souvent considèrent la presse comme une usine à cash (ou à influence), au même titre qu'un magasin de téléphones portables, qu'une fabrique de parpaings ou une boutique de sac à main en peau d'îles de Caïmans.

Les débats se sont ouverts sous la Présidence du sénateur Laurent Lafon, en charge de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et sous le feu des questions de son rapporteur, David Assouline : « Monsieur Drahi, vous êtes donc aujourd'hui l'un des plus grands acteurs des médias en France, ce qui suscite bien entendu une attention médiatique et politique toute particulière. La commission est donc désireuse de vous entendre au sujet des origines et des raisons de votre engagement dans les médias ».

Ecoutons donc celui qui s'est ouvert comme un livre en déclarant sous le sceau du serment : « Une petite évolution capitalistique a eu lieu au sein de mon groupe. En juin 2016, je détenais environ 60 % du capital de mon entreprise. J'en détiens aujourd'hui 100 %. Cela a le mérite d'être simple pour les conseils d'administration. C'est une détention 100 % familiale ».

Ça tombe plutôt bien. La concentration, fût-elle familiale, c'est justement l'objet à 100% de cette enquête sénatoriale...

Prologue

Avant de découvrir l'enthousiasme du bon docteur Drahi de l'information débarrassons-nous vite des quelques fulgurances pécuniaires de Mister Drahi l'entrepreneur.

« Je détiens aujourd'hui la licorne la plus performante du marché français»

« Ce que dit tel ou tel journaliste n'a aucun impact sur ce que je viens de vous dire. Nous ne regardons pas ce qui est dit ou non. Nous agissons pour développer économiquement une belle entreprise »

« Si je peux récupérer ce qui va tomber de l'arbre, je le ferai »

« Aujourd'hui, si nous faisons dix francs de chiffre d'affaires, l'objectif est de faire onze ou douze francs de chiffre d'affaires l'année prochaine »

Patrick Drahi jurant de dire sa vérité, toute sa vérité - Capture d'écran
Patrick Drahi jurant de dire sa vérité, toute sa vérité - Capture d'écran

Chapitre 1 : la France d'abord, après on verra…

« En France, SFR était une entreprise en déclin quand je l'ai rachetée. Nous nous sommes employés, dès les premières années, à investir massivement. J'avais pris plusieurs engagements, lors du rachat de SFR, durant les négociations avec l'État, notamment celui de maintenir SFR en France et celui de nommer un président français. Nous avions également pris l'engagement industriel d'amplifier la couverture 4G et de couvrir 22 millions de foyers français d'ici 2022. Tous ces engagements ont été tenus. Le président de SFR, Grégory Rabuel, ici présent, est français. C'est d'ailleurs un jeune président. La société est toujours en France » .

(NDLR: un nationalisme industriel tout relatif puisque aujourd'hui SFR fait entièrement partie d'Altice dont certaines entités sont plus attachées à la terre de paradis fiscaux qu'à la douceur du sol Français. Quant à Grégory Rabuel dont M. Drahi se recommande ici, il vient d’être cordialement invité à prendre la porte. De source syndicale, ce jeune et si Français président, aurait fait les frais des mauvaises performances commerciales de SFR ces derniers mois).

Structure du groupe en juin 2022 - Copie d'écran
Structure du groupe en juin 2022 - Copie d'écran

En outre, nos confrères de Les Jours ont publié une très longue série d'articles sur SFR qui font un peu douter des qualités managériales des patrons de l'opérateur, tout au moins sur le plan des ressources humaines.

Chapitre 2 : une dette ça peut rapporter gros

« Vous vous inquiétiez alors de mon niveau de dette, qui était de l'ordre de 50 milliards d'euros. Elle est toujours de 50 milliards, pour un chiffre d'affaires qui a quasiment doublé, ce qui traduit une performance remarquable. J'emprunte aujourd'hui sur les marchés pour un coût deux fois moins élevé qu'il y a cinq ans, ce qui est le résultat des performances opérationnelles de notre groupe et de la confiance retrouvée auprès des investisseurs, alors même que les taux d'intérêt sont en train de remonter ».

Chapitre 3 : gentil coquelicot Mesdames…

« J'ai commencé mon aventure dans les médias en France, non pas en 2016 lorsque je suis entré au capital de BFM, ni en 2014 lorsque j'ai racheté Libération, mais en 1995 à Marne-la-Vallée, en lançant Canal Coquelicot, petite chaîne locale du réseau câblé. A l'époque du Plan câble, chaque grande ville de France avait lancé une chaîne d'information locale. C'était un fiasco notoire. Elles ont d'ailleurs quasiment toutes disparu… » .

Chapitre 4 : le siècle de la lumière

« De fil en aiguille, nous nous sommes de plus en plus intéressés à l'investissement dans les médias, non comme outil d'influence mais plutôt comme une aventure économique dans le prolongement de nos activités. Par le câble ou la fibre optique, nous apportons la lumière, la civilisation, du sens sur ce qu'il se passe dans le monde, c'est-à-dire avant tout du contenu. Il est assez logique, pour un opérateur de distribution, d'être impliqué dans les contenus ».

Chapitre 5 : ne m'appelez plus jamais France

« Je contrôle également des médias hors de France. Je possède une chaîne d'information, i24NEWS, produite pour partie à Tel Aviv, pour partie à Paris et pour partie à New York. Elle se focalise sur le Moyen-Orient, avec trois rédactions, l'une en français, l'une en anglais et une en arabe. J'ai repris des chaînes d'information dans la région de New York. Je ne les ai pas créées mais je les ai reprises en rachetant le réseau câblé de New York. Ce réseau qui s'appelle News 12 constitue une grande réussite. C'est la première chaîne d'information locale de la région de New York, aux alentours de Manhattan ».

Chapitre 6 : petit, petit, petit, petit…

David Assouline, rapporteur : « Il m'a fallu de nombreuses heures pour essayer de comprendre tout ce que vous possédiez en termes d'entreprises, de filiales et de pays où ils étaient logés. L'activité médias ne représente, je crois, que 4 % du chiffre d'affaires de votre groupe ».

Patrick Drahi: « 0,6 % ! »

M. David Assouline : « C'est encore plus petit que ce qui nous avait été indiqué. C'est tout de même conséquent (...) . Altice Media est le troisième groupe de médias français, selon votre site. Il possède RMC Radio, RMC Story, RMC Sport, RMC Découverte, BFMTV, BFM Business, les régions et tous les déploiements locaux que vous avez cités, ainsi que BFM Radio. J'arrête là l'énumération… ».

Chapitre 7 : là où l'herbe est plus verte

« La tête de mon groupe était aux Pays-Bas. Elle ne l'est plus. Je vous ai indiqué que je détenais alors 60 % du capital de mon entreprise. 40 % se trouvaient sur le marché. Nous étions à la bourse d'Amsterdam. J'avais expliqué lors d'une précédente audition pourquoi j'étais à la bourse d'Amsterdam et non à la bourse de Paris. J'ai croisé tout à l'heure un étranger qui m'expliquait que ses enfants, nés en France, pouvaient devenir français mais ne le sont pas devenus parce qu'il est tellement compliqué d'obtenir des papiers qu'ils préféraient rester Danois et Belge. La seule raison pour laquelle j'ai introduit ma société en bourse aux Pays-Bas est que c'était plus facile qu'à Paris ».

Chapitre 8 : journal condamné, mais Libération !

« Est-il sain que des entrepreneurs détiennent des médias ou des titres de presse ? Cela me paraît extrêmement sain. Lorsque le capital d'une entreprise est fragmenté entre de multiples petits acteurs qui ont peu de moyens pour développer l'entreprise, cela ne pose pas de problème tant que tout va bien. Lorsqu'une vraie difficulté économique ou industrielle se fait jour, ce n'est plus pareil. C'était - et c'est toujours - le problème de la presse. Mieux vaut alors pouvoir s'appuyer sur quelqu'un qui a les moyens de renflouer un journal, plutôt que d'avoir 18 actionnaires dont aucun n'a les moyens de renflouer le journal, et qui se disputent du matin au soir. J'ai sauvé _Libération. On m'avait dit que cela allait me coûter 14 millions d'euros. Cela m'a coûté beaucoup plus, et Libération est toujours vivant…_ ».

Chapitre 9 : l'avenir est à toi mon fils

« Je crois qu'une grande problématique a trait à l'avenir économique du métier. Je peux vous faire part de mes vues quant à la façon dont la loi pourrait évoluer. Vous mentionnez la loi de 1986. Mon fils est là. Il n'était pas né en 1986. Les gens qui seront aux commandes bientôt n'étaient même pas nés. Nous pourrions aussi parler de la loi sur la télévision en noir et blanc de 1960 ou 1955. Les lois sont désuètes au regard des technologies existantes. Je pense que la consolidation, dans des secteurs extrêmement fragmentés, est très saine pour l'économie ».

Chapitre 10 : je vous sers un café ou une 5G ?

« Tout à l'heure, j'ai pris un café à Paris. J'ai payé 8 euros pour un café et un croissant. Chez SFR, vous pouvez trouver des abonnements à la 5G pour 8 euros. Vous passez cinq heures par jour sur votre téléphone. Vous prenez un café. Cela prend trente secondes et ce n'est pas forcément très bon pour la santé. C'est délirant ! Il n'est pas logique que le café soit aussi cher et que la 5G soit aussi peu chère. Nous n'avons pas de quoi être fiers, en tant que Français, d'avoir des services d'une telle importance et d'une telle utilité bradés à un tel prix ».

(NDLR: Vision du monde, le café-croissant avec tasse en porcelaine de chine à 8 € dont on parle n'est probablement pas celui qu'on vous servira au comptoir du Bar des Amis...).

Chapitre 11 : l'Amérique, c'est fantastique

« Résultat des courses, les opérateurs américains sont extrêmement puissants, non parce qu'ils font de la politique mais du fait de leurs résultats économiques (…) Il est logique que les grandes entreprises - donc les grands entrepreneurs qui les détiennent soient au capital des entreprises de médias. Je connais bien le marché américain, dont je suis un petit acteur, à travers une entreprise de la taille de SFR, qui ne détient que 2 % du marché américain. Les grands groupes de médias américains sont contrôlés par des personnes physiques. Il en est de même de Google, Facebook et des autres grandes plates-formes. Est-ce bien pour la démocratie ? C'est fantastique ! » .

Chapitre 12 : qu'on ne se Trump pas

David Assouline : « Vous exposez votre point de vue un peu comme une évidence et comme la seule position possible. Or les faits montrent des choses différentes de ce que vous expliquez. Vous indiquez qu'aux États-Unis, les acteurs industriels se développent parce qu'il n'y a pas de limites. Ce n'est pas vrai. C'est depuis Trump qu'il n'y a plus de limites. Auparavant, avant qu'on ne lève toutes les contraintes, nul ne pouvait posséder une grande chaîne de télé et la presse écrite ».

Patrick Drahi : « Non, excusez-moi, je suis sûr que vous connaissez mieux les lois françaises que moi mais je connais probablement mieux le marché américain. Vous savez que CNN a été fondée par Ted Turner. CNN est aujourd'hui détenue par un grand groupe de télécom ».

David Assouline : « Jusqu'aux dernières déréglementations, sous l'impulsion de Donald Trump, on ne pouvait pas posséder plusieurs grandes chaînes ni posséder une grande chaîne de télé et un organe de presse écrite ».

Patrick Drahi : « C'est faux. J'ai acheté Cablevision. Il y avait une chaîne de télé et un journal, numéro un dans la région de New York, numéro un dans la presse et dans la télé. Je ne sais pas d'où vous tenez cette information ? ».

David Assouline : « En fin d'audition, après que mes collègues vous auront posé leurs questions, j'aurai des éléments pour vous répondre à propos de ce que vous contestez, parmi les informations que j'ai citées concernant les États-Unis… ».

(NDLR: M. Assouline confirmera ultérieurement ses dires en signalant que M. Drahi aurait bénéficié d'une niche de dérogation, ce que M.Drahi ne relèvera pas)

Le rapporteur Assouline s'interroge sur la puissance de feu de l'entrepreneur Drahi - Capture d'écran
Le rapporteur Assouline s'interroge sur la puissance de feu de l'entrepreneur Drahi - Capture d'écran

Chapitre 13 : quand on compte, on n'aime pas

« J'ai racheté Libération au moment où cette entreprise avait besoin de 14 millions d'euros pour ne pas se déclarer en faillite auprès du tribunal de commerce. J'étais en train de faire un chèque de 14 milliards. Je me fais interviewer par une journaliste de Libération, qui me dit, monsieur Drahi, vous ne pouvez pas nous aider ? Vous allez dépenser 14 milliards. Nous avons besoin de 14 millions pour finir le trimestre. Je la regarde. Je calcule vite. Cela fait un pour mille. C'est comme si quelqu'un qui s'achète une paire de chaussures à 100 euros se voit demander dix centimes par quelqu'un, dans la rue, qui est dans le besoin. Je lui ai dit que j'allais étudier le dossier. Le soir, je demande que le dossier me soit communiqué. Je n'ai pas acheté Libération pour d'autres raisons » .

(NDLR: Vision du monde, qui n'a jamais été surpris en train de faire un chèque de 14 millions..?)

Chapitre 14 : la Une pour maman, Une pour papa

« Je vous réponds sous serment et sincèrement. Lorsque j'ai racheté Libération, je ne savais pas ce que j'allais en faire. Je savais que j'allais faire plaisir à mes parents, qui étaient professeurs de mathématiques. Vous imaginez pour qui ils votaient. Cela leur a fait plaisir. Au départ, ils disaient « mon fils, il est dans les affaires, il n'a pas réussi ». Dans ma famille, tout le monde est médecin ou professeur de mathématiques. Je rachète Libération et là, je reçois des SMS de copains qui me disent « Patrick, ça nous fait plaisir, pour une fois, tu vas perdre de l'argent ». Cela me vexe quand on me dit cela (…) Moi, je lisais L'Express. Mes parents lisaient Libération. Je me suis dit pourquoi pas, cela va compléter le machin ».

Chapitre 15 : chaude la patate, froid le constat

« Une fois que nous étions à l'intérieur, nous nous sommes rendu compte que c'était une patate chaude. Chaque année, cela baisse. Les gestionnaires ne font que licencier des gens et cela continue de baisser. Mon fils n'a jamais touché un papier réel. Les jeunes lisent les journaux mais ils les lisent sur Smartphone. Je me suis dit, j'ai trouvé un modèle économique. Je vais rassembler le plus grand nombre possible de journaux et je vais les diffuser auprès de mes 15 millions d'abonnés ».

Chapitre 16 : le ton vire à l'Orange

David Assouline : « N'avez-vous pas licencié à SFR ? »

Patrick Drahi : « Mais tout le monde l'a fait ! Orange licencie plus que moi chaque année » .

David Assouline : « Pourquoi dites-vous que je ne dis pas la vérité ? »

Patrick Drahi : « Vous dites que j'achète des entreprises pour licencier. C'est totalement faux ! »

David Assouline : « Non, je n'ai pas dit pour licencier. J'ai dit que quand vous achetez des entreprises, il y a, pour les rentabiliser, de grands plans de licenciement. Il se trouve que ceux qui sont licenciés sont des êtres humains ».

Patrick Drahi: « Lorsque j'ai acheté BFM, il y avait 800 personnes. Il y en a 1 300 aujourd'hui »

Laurent Lafon, Président de séance : « Monsieur Drahi, s'il vous plaît, on va calmer un peu le jeu ».

Chapitre 17 : ne jamais croire la presse!

David Assouline : « On peut se demander s'il peut y avoir des interventions qui empiètent sur cette liberté éditoriale et sur le travail journalistique. Un communiqué commun des sociétés des journalistes des rédactions de BFM Business, bfmtv.com, BFM TV et RMC, s'est ému de la décision qui a consisté à mettre fin à la collaboration d'un journaliste du magazine Capital sur l'antenne BFM Business »

(NDLR: Grégory Raymond) .

Patrick Drahi : « Monsieur le sénateur, je vois beaucoup de choses, dans la presse, qui ne sont pas exactes ».

David Assouline : « Nous parlons de quatre sociétés de journalistes de vos rédactions… ».

Patrick Drahi : « D'abord, je ne sais pas qui est M. Raymond. Je n'en ai jamais entendu parler de ma vie. Je vois beaucoup de choses, dans la presse, qui sont fausses. J'ai vu des choses me concernant qui étaient fausses. Ce n'est pas pour autant que je réagis. Cela me laisse de marbre. Si l'on devait réagir à toutes les fausses informations diffusées, je pense que je n'aurais pas assez de 24 heures pour répondre (…) Ce que vous venez de mentionner émane d'une société de journalistes. C'est comme s'il s'agissait de propos de journalistes. C'est leur version. (…) Ce que dit tel ou tel journaliste n'a aucun impact sur ce que je viens de vous dire. Nous ne regardons pas ce qui est dit ou non. Nous agissons pour développer économiquement une belle entreprise ».

Chapitre 18 : à plus ou moins dix millions près

M. Laurent Lafon : « Vous avez fait référence à plusieurs reprises à Libération. Quelle est la situation financière actuelle de Libération ? Effectivement, vous n'êtes plus directement propriétaire de Libération puisque vous l'avez cédé à un fonds de dotation en 2020. Qui est derrière ce fonds, si ce n'est vous ? Pouvez-vous nous éclairer sur les financeurs du fonds de dotation ? ».

M. Patrick Drahi : « Effectivement, aujourd'hui, c'est moi. C'est un fonds qui est ouvert. Chacun peut contribuer à son financement à hauteur de ses moyens. Vous serez les bienvenus car cela allégera la facture en fin d'année. Je ne connais pas la situation financière de Libération. L'entreprise Libération est totalement indépendante. J'ai doté ce fonds d'un capital d'une vingtaine ou d'une trentaine de millions d'euros ».

Chapitre 19 : l'Amérique je veux l'avoir et je l'aurai

« Vous aviez ici le premier entrepreneur* de France il y a quelques jours. Je suis très fier d'être assis à la même chaise. Son chiffre d'affaires annuel est la moitié du profit des fondateurs de Google, Larry Page et Serguey Brin. Ces gars sont des génies ! Nous ne sommes pas moins intelligents en France mais ils ont un marché de 300 millions de consommateurs. Nous sommes un peu plus nombreux en Europe, avec 350 millions d'habitants. Mais nous sommes moins intelligents, car le système américain fonctionne mieux. Tout le monde a la 5G aux États-Unis. Nous démarrons tout juste ».

(NDLR: Bernard Arnault, Vincent Bolloré ou Alexandre Buisine du syndicat national des journalistes ?)

Chapitre 20 : des potes aux potins

« Je suis ami avec tout le monde. Je suis copain avec Xavier (Niel), avec Martin (Bouygues), avec Stéphane (Courbit). Si demain je prends un café à Paris avec Xavier (Niel) et qu'un journaliste passe, je vous garantis qu'un article paraîtra, selon lequel nous discutons d'un éventuel rapprochement, alors que nous parlons peut-être d'un hôtel qu'il a construit aux Maldives et que j'ai trouvé très agréable lorsque j'y ai passé mes vacances ».

Chapitre 21 : la presse, cette ingrate

Michel Laugier, sénateur des Yvelines : « Vous avez dit avoir renoncé à investir dans la presse écrite. Au passage, vous avez tout de même réalisé une bonne opération financière lorsque vous avez revendu Altice Médias groupe à SFR. Avez-vous rentabilisé ainsi votre investissement dans la presse écrite ? ».

Patrick Drahi : «Je n'ai pas fait de bonne opération financière dans la presse. J'ai fait plus de pertes que de profits. Lorsque j'ai revendu le groupe de médias à SFR, je l'ai vendu à moi-même. Ce n'était donc pas une opération financière. L'objectif était d'optimiser la dimension juridique de l'entreprise (…) Altice France a cédé 51 % de L'Express à Alain Weill il y a environ un an. Le prix de cession n'est pas communiqué mais c'était trois fois rien, pardonnez-moi l'expression mais des cacahuètes. J'avais tout de même acheté ce groupe pour 80 ou 90 millions d'euros. Au total, j'ai dû perdre 200 à 300 millions d'euros, dans la presse. Ce ne sont pas des bonnes affaires. Je pense que personne ne gagne de l'argent dans la presse aujourd'hui ».

Epilogue

Autant finir sur quelques bons sentiments en faveur de l'objectivité de ceux qui font l'info au quotidien...

« Souvent, la chaîne publique diffuse des choses incroyables, qu'on ne peut contredire parce que c'est une chaîne publique. Ce n'est pas normal. Je ne sais pas quelle est la réglementation concernant la véracité des informations diffusées par les chaînes publiques mais je crois qu'il y a un problème ».

« Une fois les propos diffusés, ils deviennent une vérité pour tous ceux qui les entendent, même si ce sont des contre-vérités. Comment lutter contre celles-ci une fois qu'elles ont été diffusées ? C'est très compliqué ».

«Je confirme également qu'il y a très souvent des choses dans la presse qui ne sont pas exactes ».

« Il pourrait y en avoir cinq ou quinze (NDLR: des sociétés de journalistes de BFM) et que ce soit faux. Dans l'affaire Dreyfus, il y en avait beaucoup plus que quinze, monsieur Assouline. Ne me mettez pas hors de moi (…) Après, vous dites que je bouge dans tous les sens. Qu'insinuez-vous ? Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Je ne veux pas en faire une affaire personnelle, car nous sommes devant une commission. Mais vous la rendez un petit peu personnelle (…) Je suis désolé de cette petite interruption mais je suis un méditerranéen, comme vous, monsieur. Quand on me titille, on me trouve ».

Deux heures plus tard, Covid oblige, on se « check » la main - Capture d'écran
Deux heures plus tard, Covid oblige, on se « check » la main - Capture d'écran

M. Laurent Lafon: « Merci monsieur Drahi, de nous avoir consacré plus de deux heures. Vos éclairages sont éventuellement importants pour notre commission ».

Pour qui est intéressé, l'intégralité de ces échanges ont fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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