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Dossier
par Juliette Loiseau

Détenus, mais pas confinés

Le monde carcéral face à la pandémie

Dès le début du confinement, les prisons ont tenté de réduire les risques de contamination, notamment la suspension de tous les parloirs. Mais, à l’intérieur, la surpopulation carcérale et l’absence de mesures sanitaires strictes mettent en danger les détenus et le personnel pénitentiaire. Les prisons françaises se préparent à une crise sanitaire sans précédent.

Promenade dans une prison - OIP

« Rien n’est fait pour protéger les détenus » témoigne Maud*. Son compagnon est incarcéré à la prison de Toulouse pour une longue peine. « Il n’y a pas de masques, pas de gants, pas de gel hydro-alcoolique, les détenus continuent de se voir en promenade, dans les couloirs, et les douches sont toujours collectives » liste-t-elle. « Aucune mesure n’a été prise pour les protéger. Le virus en prison, c’est comme jeter une allumette dans une botte de foin, il se propagera à toute vitesse ».

Et le Covid-19 est déjà entré dans les prisons françaises. D’après les chiffres officiels, 63 détenus ont été testés positifs, ainsi que 145 membres du personnel pénitentiaire. Deux prisonniers et un surveillant en sont déjà décédés. Mais, comme ailleurs, l’absence de tests ne permet pas de prendre la mesure de la contamination. A l’heure actuelle, les gardiens n’ont aucun équipement pour se protéger et protéger les détenus. Dans des cellules de 9 mètres carrés, à deux ou trois, le respect des gestes barrières et la distanciation sociale sont impossibles. Dès l’annonce du confinement, les établissements pénitentiaires ont tenté de prendre des mesures, comme la suppression des parloirs et l’interdiction de tout intervenant extérieur. Désormais, seuls les surveillants entrent dans les prisons. « C’est la grande peur des détenus, que les gardiens fassent entrer le virus en prison » explique Charline Becker, coordinatrice pour la région Sud-Est à l’OIP, l’Observatoire International des prisons. « Cette considération accroît bien sûr les tensions dans un contexte particulièrement explosif ».

La situation de la prison de Toulouse est similaire à bien d’autres en France. « Mon compagnon a de la chance, il est seul dans sa cellule et en promenade » explique Sarah*, dont le compagnon est incarcéré à Strasbourg. « Mais les surveillants n’ont pas de gants, pas de masques. L’un des gardiens de la prison a été testé positif au Covid-19, et c’est moi qui lui ai appris, car je l’ai su par la presse. L’administration ne donne aucune information aux détenus. Tout ce qu’ils savent, ils l’apprennent par la télévision, et c’est hyper anxiogène ». « L’angoisse est générale dans toutes les prisons » confie Maitre Benoit David, avocat et administrateur de l’A3D, l’association de défense des droits des détenus. « Il y a aussi beaucoup de fantasmes et de rumeurs. Chaque détenu a peur d’être confiné avec quelqu’un de malade, surtout dans les maisons d’arrêt surpeuplées. Et puis, le gouvernement n’aide pas : il ne cesse de répéter qu’il faut rester chez soi, seul, pour éviter les contaminations alors qu’en prison, beaucoup de monde circule, entre les co-détenus et les surveillants ».

Pour éviter une crise sanitaire, le ministère de la Justice a mis en place un dispositif de libération anticipée pour les détenus malades ou en fin de peine. La mesure a provoqué l’indignation des syndicats du personnel pénitentiaire, mais reste insuffisante pour les associations. Nicole Belloubet a annoncé le 9 avril que 8 500 détenus avait été libérés depuis le 18 mars 2020. Mais les prisons françaises sont toujours surpeuplées, affichant un taux d’occupation de 107%, rendant impossible l’encellulement individuel. « Il y a 15 000 détenus de trop, libérons-les, et assurons un encellulement individuel, réduisant la promiscuité, et limitant la propagation du virus » renchérit Maitre Benoit David. « Nous appelons à une libération massive. Nous comprenons les impératifs de sécurité, mais pour des personnes qui exécutent de petites peines, il n’y a pas de grands enjeux. Le gouvernement ne peut pas dire qu’il faut se confiner et laisser une telle surpopulation carcérale ». D’autant que dans les maisons d’arrêt, la situation est encore plus difficile. C’est là que sont détenues les personnes en attente de jugement. Mais rien n’est prévu « pour faciliter la mise en liberté des personnes en détention provisoire, qui constituent pourtant près de 30% de la population carcérale » alertait début avril l’OIP.

Pour les associations, les avocats et les familles, les mesures restent donc insuffisantes pour enrayer l’épidémie dans les prisons. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs été saisi de deux requêtes de la part d’organisations, comme l’OIP ou des syndicats de magistrats et personnels pénitentiaires. Toutes deux réclamaient des mesures pour protéger la santé des prisonniers et des gardiens, assurant une distribution de masques, gants et gel hydro-alcoolique, ainsi qu’une généralisation des tests pour limiter la contamination. Le Conseil d’Etat les a rejetées, considérant que les mesures du gouvernement sont suffisantes face à l’épidémie.

Rien pour calmer l’inquiétude d’un risque de mutineries. « A Toulouse, les détenus sont habitués à n’avoir des parloirs que le week-end » précise Maud. « Mais si le confinement dure, les esprits vont s’échauffer. D’une part, parce que sans voir ses proches, et sans aucune activité, la prison devient insupportable, mais aussi parce que la fumette va manquer. On ne va pas se mentir, il n’y a que ça pour se divertir en prison, mais sans les parloirs et sans les jeteurs, ça va devenir compliqué ». A cela s’ajoute l’annulation de toutes les activités menées jusqu’alors par des associations. « C’est le vide total » confie Sarah. « Il n’y a plus d’activités, plus d’ateliers. Les lieux de culte sont fermés, le sport n’est plus possible, et tout ça manque beaucoup quand vous êtes enfermé. Et puis, les détenus ne peuvent plus travailler, et ils ne vont pas avoir le droit au chômage partiel, eux ».

Mais c’est surtout pour la santé des détenus, que les proches craignent. S’ils étaient contaminés par le Covid-19, que se passerait-il ? « Mon compagnon se pose beaucoup de questions, il se demande, s’il l’attrape, s’il pourra être soigné, s’il pourra aller à l’hôpital » confie Sarah. « Il sait bien que les détenus ne sont pas prioritaires ». « On parle déjà de choisir entre les jeunes et les vieux pour les places de réanimation » s’inquiète Maud. « Ce n’est parce que ce sont détenus qu’ils méritent de mourir comme des chiens » conclut-elle.


(*) Les prénoms ont été modifiés

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