Désinformation, fake news : l'UE découvre que... c'est compliqué...
La France, elle, s'en rendra compte dans quelques années
La Cour des comptes européenne tire le bilan de l'action de l'UE en matière de lutte contre la désinformation. Pour l'instant, ce n'est pas très efficace. La France, elle, annonce la création d'une agence nationale de lutte contre les manipulations de l'information en provenance de l'étranger. Elle fera sans doute le même constat dans deux ans...

Qu'on se le dise, c'est grave. La désinformation prend des proportions dantesques. Le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), Stéphane Bouillon, a annoncé la création d'une agence nationale de lutte contre les manipulations de l'information en provenance de l'étranger qui sera dotée d'une soixantaine d'experts. C'est une volonté présidentielle qui se concrétisera en septembre. Il faudra sans doute quelques années à la France pour comprendre que la lutte contre la désinformation... c'est compliqué. Un constat que vient de tirer la Cour des comptes européenne. Si l'UE a bien publié un plan d'action contre la désinformation en 2018, puis, en décembre 2020, un plan d'action pour la démocratie européenne, qui prévoit lui aussi des mesures de lutte contre la désinformation, « sans préciser clairement comment il s'articule avec le plan d'action de 2018 », la Cour des comptes estime que tout cela n'a pas été bien efficace et surtout est resté bien flou.
« S'il a été bien conçu au départ, ce plan s'avère incomplet. Sa mise en œuvre est globalement en bonne voie, mais il ne suffit pas à contrer les menaces émergentes », estiment le rapport de la Cour des comptes. En termes d'amélioration, les experts estiment que « les États membres doivent s'impliquer davantage, par exemple dans le système d'alerte rapide. Il faut aussi améliorer le suivi des plateformes en ligne, renforcer leur obligation de rendre compte et inscrire la lutte contre la désinformation dans une stratégie européenne d'éducation aux médias qui soit cohérente, et qui fait actuellement défaut ».
Ce dernier point est intéressant. Car la lutte contre les fake news qui ne s'appuierait que sur une volonté de faire « disparaître » les contenus litigieux serait vouée à l'échec. Une voie choisie par la France notamment en matière de lutte contre les contenus prosélytes liés au terrorisme et à la pédopornographie avec des DNS menteurs qui, soit laissent croire au visiteur que la page n'existe pas, soit en affichant un texte du ministère de l'Intérieur expliquant que la consultation de ces contenus est interdite. Le tout dans la plus grande opacité puisque la liste des sites interdits n'est pas connue. Cette démarche renforce paradoxalement l'idée qu'un complot gouvernemental est à l'oeuvre pour empêcher les internautes de s'informer ou de se « réinformer ».
Les délires complotistes étant à la mode, entre les Qanons, l'extrême-droite et les personnes qui pensent que le Covid est une invention, que la vaccination va modifier leur ADN ou les transformer en borne 5G pour être finalement contrôlés par Bill Gates, il est urgent de ne pas renforcer l'idée que les autorités décident pour eux ce qu'ils ont le droit de lire ou pas.
L'expérience montre que sur Internet, il est impossible de faire disparaître des contenus, aussi débiles soient-ils. Depuis le début, les platistes, ceux qui veulent recouvrir toute la planète d'asphalte, les négationnistes, et toute une série d'illuminés inondent le réseau de théories farfelues ou carrément néfastes.
L'expérience la plus intéressante de lutte contre la désinformation sur Internet est sans conteste celle menée par Ken McVay. Constatant l'activité importante des négationnistes dans Usenet, ce canado-américain a décidé d'en créer une immense base documentaire regroupant toutes les informations disponibles sur la Shoah, les négationnistes et leurs activités. Opposé à l'idée de censure, il estime que son projet, le Nizkor Project, aura pour effet de noyer les fausses informations de ses adversaires.
Peut-on reproduire cette démarche aujourd'hui et noyer les fake news sur tous les réseaux sociaux, sur le Web et autres messageries de type Telegram ? Mystère.
« Tout acte malveillant visant à ébranler l'opinion publique ou à la manipuler représente une grave menace pour l'Union elle-même. Dans le même temps, la désinformation représente un véritable défi pour l'UE, qui doit la combattre sans pour autant mettre à mal ses propres valeurs fondamentales, telles que la liberté d'opinion et d'expression », estime M. Baudilio Tomé Muguruza, le Membre de la Cour des comptes européenne responsable du rapport.
« il ne s'agit pas de corriger ou rétablir la vérité, mais d'arriver à détecter les attaques quand elles viennent de l'étranger », a pour sa part indiqué le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale Stéphane Bouillon. Il souhaite surtout permettre, via une « attribution », « _aux hommes politiques, aux diplomates, à la justice et la presse de constater que sur 400.000 tweets de reprise de telle ou telle information, 200.000 viennent d'une ferme à bots dans une région hors de notre pays ou que tel débat provient d'une ferme à trolls ». Un projet à peu près aussi casse-gueule que celui qui vise à attribuer les attaques informatiques. Il n'y a à peu près aucun intérêt à rendre publique une attribution dans un cas comme dans l'autre. Au mieux cela peut constituer une information (difficilement qualifiable en termes de précision) permettant à des politiques de savoir où ils mettent les pieds dans des discussions internationales.
La Cour des comptes européenne note pour sa part que le plan de 2018 « n'a été ni actualisé ni revu depuis 2018, alors que les tactiques, les acteurs et les technologies de la désinformation ne cessent d'évoluer ».
« Les auditeurs se sont intéressés à la division des communications stratégiques du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) et à ses trois task forces – East StratCom, StratCom «Sud» et StratCom «Balkans occidentaux» – et ont conclu qu'elles ont amélioré la capacité de l'Union à anticiper les activités de désinformation et à y réagir dans les pays voisins. Ils considèrent toutefois que les missions et les ressources de ces task forces doivent être revues à la lumière des nouvelles menaces émergentes. La base de données EUvsDisinfo, principal produit de la task force East StratCom, a contribué à sensibiliser à la désinformation russe. Les auditeurs soulèvent cependant la question de son indépendance et de son objectif ultime, étant donné qu'elle pourrait être perçue comme représentant la position officielle de l'UE. », note la Cour des comptes européenne.
Par ailleurs, les auditeurs considèrent que l'Observatoire européen des médias numériques nouvellement créé risque de ne pas atteindre ses objectifs.
Le plan de 2018 de l'UE n'a pas marché. Le plan d'Emmanuel Macron et porté par le SGDSN fonctionnera-t-il ?
« Il ne s’agit pas de faire du renseignement », a-t-il expliqué lors d'une audition par la commission de la défense de l’Assemblée nationale, « mais d’identifier ce qui est en train de devenir pandémique sur le plan informationnel », et si cela émane d’« un pays étranger ou d’une organisation étrangère, qui visent ainsi à déstabiliser l’Etat sur le plan politique ». Les trolls russes n'ont qu'à bien se tenir, Jupiter leur déclare la guerre.