Des policiers de la BAC du XVIIIe avaient bien placé de la drogue dans la voiture d'un suspect
La Cour de révision et de réexamen vient de l'acter dans un arrêt très clair
Il faut lire entre les lignes et connaître cette affaire compliquée, mais la Cour de révision vient bien de casser un jugement qui reposait sur une procédure « habillée » qui avait abouti à une condamnation indue pour transport et détention de cocaïne.
Février 2021 : le tribunal correctionnel de Paris est le théâtre d'une affaire digne des « Ripoux », le film de Claude Zidi... Dans cette affaire révélée par Camille Polloni (alors au Jours et désormais chez Mediapart), quelque six agents de le brigade anticriminalité du 18ème arrondissement sont en effet condamnés pour des faits de corruption, de trafic de stupéfiants, de violences et de procédures falsifiées. Libération publie alors un compte rendu de l'audience. « Vous avez trahi la confiance de l’institution policière », explique la présidente Isabelle Prévost-Desprez. De fait... « Pour quatre interpellations au moins effectuées par les policiers prévenus, l’autorité judiciaire a été trompée soit sur le motif légal du contrôle, soit sur les éléments constitutifs de l’infraction, deux de ces interpellations ont abouti à des emprisonnements ». C'est un peu la totale... Le principal prévenu, Karim Mameche, dit «Bylka» (le Kabyl) a mis en place un système de « protection » contre rémunération pour les dealers, il est accusé de vol, falsification de procédures... Notamment lors de l'arrestation de Aymen Ibrahim. Les mêmes policiers avaient « trouvé » 35,5 grammes de cocaïne dans son véhicule. Avec moult circonvolutions, le tribunal correctionnel de Paris avait reconnu l'arnaque.
Le tribunal avait condamné Karim Mameche à huit ans de prison, notamment pour avoir racketté des dealers. Mais il a été relaxé de ce chef en appel et reconnu coupable « uniquement » de vol, faux et blanchiment de fraude fiscale. Il a été condamné à deux ans de prison en appel et définitivement interdit d'être policier.
À l'occasion de la décision en appel, Paris-Match s'était illustré en écrivant que Karim Mameche avait été « relaxé en appel ». Ce qui est trompeur puisqu'il n'a été relaxé que de deux chefs et condamné à deux ans de prison pour le reste. Pire, Paris-Match indiquait que « l'ex-flic de la Goutte d'or a fait deux ans de prison avant d'être innocenté ». Ce qui est complètement faux puisqu'il a été condamné à deux ans fermes (couverts par la préventive).
L'« habillage » de la procédure gravé dans le marbre
L'étrange mansuétude de la cour d'appel et l'entreprise de réhabilitation de Paris-Match n'ont pas attendri la Cour de révision et de réexamen. La Cour, composée de magistrats de la Cour de cassation s'est en effet penchée sur une demande d'une personne arrêtée par Karim Mameche et un de ses complices.
Aymen Ibrahim n'est pas blanc-bleu, il a un passé judiciaire (escroquerie, abus de confiance, infractions à la législation sur les étrangers). Mais tout au long de la procédure qui a suivi son arrestation en avril 2017 par Karim Mameche et son complice Aaron Berkane, il a réfuté les accusations de détention de drogue, les fameux 35,5 grammes de cocaïne retrouvés par les deux « ripoux » dans son véhicule.
À la suite de son arrestation, il avait été placé en garde à vue pour des faits d'infractions à la législation sur les stupéfiants. En juin 2017, il avait été condamné à dix mois d'emprisonnement dont cinq assortis du sursis ainsi qu'à une interdiction du territoire français pour une durée de trois années. Le tribunal l'avait reconnu coupable d'avoir « transporté et détenu sans autorisation administrative une substance ou plante classée comme stupéfiant en l'espèce 35,5 grammes de cocaïne ; avoir fourni des renseignements d'identité imaginaires qui ont provoqué ou auraient pu provoquer des mentions erronées au casier judiciaire ; s'être à Antony, le 10 août 2016, fait délivrer indûment et frauduleusement par une administration publique, un document destiné à constater un droit, une identité ou une qualité, en l'espèce, une carte nationale d'identité; à Aubervilliers, le 1e décembre 2016, fourni des indications fausses ou incomplètes en vue d'une immatriculation au registre du commerce et des sociétés, en l'espèce en enregistrant la société AS Design, en utilisant un faux nom, et avoir à Levallois-Perret et à Paris, les 7 septembre et 16 novembre 2016, trompé la Caisse d'Epargne en faisant usage du faux nom de M. Ibrahim Aymen né le 8 mai 1980 à Strasbourg et de l'avoir ainsi déterminée à fournir un service, en l'espèce l'ouverture d'un compte et la fourniture d'une carte bancaire à son préjudice. »
Mais il s'accrochait à son innocence sur l'histoire de la cocaïne. Et en mai 2019, il présentait une requête en révision du jugement.
Les juges de la Cour de révision notent que « tant le jugement du tribunal correctionnel de Paris que l'arrêt de la cour d'appel de Paris, constituent des faits nouveaux en ce qu'ils étaient inconnus du tribunal correctionnel de Paris qui l'a condamné. Il expose, dans sa requête initiale déposée avant que la cour d'appel de Paris ne rende son arrêt, qu'il résulte de ces décisions qu'il n'était pas propriétaire de la cocaïne découverte dans son véhicule et que la condamnation dont il a fait l'objet se fonde sur un procès-verbal constituant un faux en écriture publique en ce qu'il a dissimulé l'irrégularité des modalités de contrôle du véhicule ainsi que celle de son interpellation.; _»
Ils précisent que « le jugement du 22 février 2021 et l'arrêt de la cour d'appel de Paris, ainsi que les pièces de la procédure fondant ces deux décisions, sont de nature à faire naître un doute sur la culpabilité de M. Ibrahim, au sens de l'article 622 du code de procédure pénale, s'agissant des seules infractions à la législation sur les stupéfiants pour lesquelles celui-ci a été condamné. »
De ce fait, la Cour a annulé le jugement en ce qui concernait la partie liée au transport et à la détention de cocaïne et ordonne la suppression des mentions relatives aux produits stupéfiants des fichiers de police.
Avec cette décision, la Cour de révision grave dans le marbre judiciaire le fait que des policiers de la BAC du 18ème arrondissement avaient « habillé » une procédure pour obtenir la condamnation d'Aymen Ibrahim.