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par Timothée de Rauglaudre

Dérives sectaires : comment Schiappa a verrouillé la Miviludes

Extraits du livre « Le nouveau péril sectaire »

Jean-Loup Adénor, journaliste chez « Marianne », et Timothée de Rauglaudre, contributeur à « Reflets », publient ce jeudi 14 octobre « Le nouveau péril sectaire » chez Robert Laffont. « Reflets » en publie des extraits, qui montrent comment Marlène Schiappa a verrouillé la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté - Compte Twitter du ministère de l'Intérieur

Quels que soient ses moyens humains et financiers, la « nouvelle Miviludes » dévoilée par Marlène Schiappa au printemps 2021 est bien différente de celle qui était en place il y a dix ans. S’il n’a finalement pas été victime de la placardisation annoncée, l’organisme interministériel, du fait de son rattachement à un service du ministère de l’Intérieur, a considérablement perdu en autonomie politique. Georges Fenech avait pourtant voulu le « sanctuariser » dans la loi en faisant de lui une Haute Autorité, pleinement indépendante. Sans succès. Le Centre contre les manipulations mentales (CCMM), de son côté, défendait l’attribution d’un « pouvoir d’enquête » à la Miviludes, nous indique Annie Guibert. À rebours de ces propositions, qui auraient pu constituer un véritable renforcement, le poste de président a été supprimé. (...)

C’est (...) une magistrate inconnue, Hanène Romdhane, qui a en définitive pris les rênes de la Miviludes. Elle n’en est pas la présidente mais la cheffe de service. « C’est toute la différence, de mon point de vue, analyse Georges Fenech. Moi, j’étais président, ancien parlementaire. Quand je décidais d’une action, je n’allais pas demander au préfet une autorisation de le faire. Il n’y aura plus cette même autonomie, même par rapport à l’administration. Il m’arrivait de dénoncer ce qui se passait dans tel ou tel ministère. Il y avait un statut. Là, ça devient plus hiérarchisé dans les échelons administratifs. Il y a la cheffe de service de la Miviludes, au-dessus le secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), encore au-dessus la ministre de tutelle Marlène Schiappa. Ce n’est plus la même chose.

Il y a une hiérarchie administrative qui n’existait pas lorsque nous étions rattachés à Matignon. »

Notre source anonyme proche de la Miviludes abonde : « Avant, chaque conseiller de la Miviludes devenait en quelque sorte un N moins deux du Premier ministre. »

Verrouillage assumé

Un autre changement, qui nous concerne directement, illustre de manière éloquente cette perte d’autonomie. Jusqu’alors, il était relativement aisé pour les journalistes d’interviewer la Miviludes et ses conseillers. Depuis la reprise en main de la mission par Marlène Schiappa, ils doivent désormais passer par le service de presse du ministère de l’Intérieur, qui filtre les demandes. (...)

Sous sa présidence, la parole de Georges Fenech était beaucoup plus libre, se souvient-il : « J’avais mon attachée de presse, qui connaissait tous les journalistes de Paris, elle m’informait de tout. J’avais ma propre communication, qui était différente de Matignon. Jamais je n’ai demandé une autorisation à qui que ce soit, j’avais une liberté d’action totale. » Au CCMM aussi, on déplore une communication plus difficile avec les conseillers de la Miviludes, désormais placée dans un « carcan » :

« Ils sont muselés. Avant, on les appelait directement, maintenant on doit passer par l’Intérieur. Ça ne donne plus envie d’appeler, on sait très bien que ça les met en difficulté. C’est un gâchis. »

À Beauvau, l’entourage de Marlène Schiappa assume ce verrouillage politique : « La Miviludes vivait un peu sa vie, parce qu’on les a habitués à ça. On ne peut pas faire ça quand on est un service de l’État et accessoirement quand on est rattaché au ministère de l’Intérieur, au sein du SG-CIPDR, qui a beaucoup de services. Là, vous vous inscrivez dans le périmètre d’un ministère régalien, vous ne pouvez plus être un électron libre et parler de façon autonome sur tous les sujets, alors que le ministère a aussi des objectifs politiques. »

En librairie le 14 octobre chez Robert Laffont
En librairie le 14 octobre chez Robert Laffont

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