Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Dossier
par Jacques Duplessy

Décharges illégales : infractions en série et système quasi-mafieux

Les déchets du BTP donnent trop souvent lieu à un trafic très lucratif

Dépôts sauvages, démarchages des exploitations viticoles, livraisons de gravats au lieu de terre à des propriétaires, paiements en liquide pour recevoir des déchets, tous les moyens sont bons pour s'en débarrasser. Avec à la clef des profits substantiels. Les associations qui luttent contre ce fléau sont parfois victimes d'intimidations.

Décharge illégale au Castellet, dont le propriétaire du terrain et l'exploitant ont été mis en examen pour "gestion irrégulière de déchets, valorisation de déchets sans justificatif et infractions au code de l'urbanisme". - © Cyril Marcilhacy

A Puget-sur-Argens, une jolie commune du Var, les habitants ont baptisé la décharge « La montagne des déchets ». Cette étendue de 7000 m² -plus grande qu’un terrain de football – et d’une hauteur de 15 mètres, soit un immeuble de 4 étages, représente 150.000 tonnes de déchets du BTP en provenance de chantiers de la région. Le 20 avril, une vingtaine de gendarmes sont intervenus au terme d'une longue enquête pour contrôler le site, accompagnés par des représentants du service des impôts et des agents de la DREAL, la direction régionale de l'environnement. Selon la gendarmerie du Var, l’entreprise aurait bien obtenu, à l’origine, une autorisation d'exploitation préfectorale, mais la « montagne de déchets » se serait étendue bien au-delà des limites prévues. Selon une source proche de l’enquête, l’entreprise a 18 mois pour remettre le terrain en état.

En 2020, onze personnes et quatre sociétés ont été mises en examen dans le Var, tous soupçonnées d'un trafic de déblais de chantier qui durait depuis plusieurs années. Ces entreprises répondaient à des appels d’offre de récupération de gravats en facturant leur prestation au prix fort, puis ils s’en débarrassaient soit sur des terrains vagues, soit chez des particuliers. Ce sont des plaintes de propriétaires privés menacés après avoir reçu des gravats au lieu de terre végétale, qui ont dénoncé un système quasi-mafieux. Une vingtaine de sites ont été défigurés parmi lesquels des propriétés agricoles ou viticoles. Mais ce phénomène ne date pas d’hier. Il perdure depuis des années dans toute la France.

Dans le Var, la situation est particulièrement difficile. Robert Durand, le président de l’association Confédération Environnement Méditerranée, est sur de nombreux fronts. Dans ce seul département, il a recensé plus de 80 sites illégaux. En France, ce sont près 600 décharges sauvages qui sont recensées, un nombre sans doute sous-estimé, car beaucoup ne sont pas découvertes.

Nous prenons la route de Signe, village placé sous les feux de l’actualité après le décès de son maire, écrasé accidentellement par des personnes qui déposaient illégalement des gravats. « La mort de Jean-Mathieu Michel a remis sur le devant de la scène la question des décharges illégales, mais ça faits très longtemps que le problème existe », déplore Robert Durand.

Amendes trop faibles et justice défaillante

Il nous amène sur une centrale photovoltaïque de Lafarge sur la commune. Nous roulons une vingtaine de minutes sur une piste cahoteuse au milieu des pins avant de déboucher sur une clairière. « Les panneaux solaires sont posés sur une décharge. Tout ça, ce sont des déchets du bâtiment, dit Robert Durant en désignant du bras un dénivelé est de 25 mètres. Le groupement foncier agricole (GFA) de Peirecède et M. Bernard Davier ont été condamnés par la Cour d’Appel d’Aix en mai 2011 à des amendes et à remettre en état sous un an avec une astreinte de 75 € par jour. Et ils n’en ont rien fait. De son côté, l’État n’a pas fait son travail, le jugement n’a jamais été appliqué. Après le bénéfice fait en créant cette décharge illégale, l’entreprise a fait un nouveau profit en vendant son terrain à Lafarge. On a l’impression que tout le monde s’en fout... », soupire Robert Durand, un brin découragé.

Signes, centrale photovoltaïque Lafarge, construite sur une ancienne décharge - © Cyril Marcilhacy
Signes, centrale photovoltaïque Lafarge, construite sur une ancienne décharge - © Cyril Marcilhacy

Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Nous prenons la route vers la commune du Beausset, où une entreprise a été condamnée, là aussi, à remettre en état un terrain transformé en décharge illégale. Sur le chemin de terre qui mène à la propriété, nous croisons plusieurs camions qui circulent à plein vers la décharge. Les chauffeurs nous regardent bizarrement. Nous planquons dans des buissons pour prendre des photos. L’odeur de la menthe et du thym sauvage se mélange à celle des moteurs diesel. « Vous n’allez pas le dire qu’ils continuent », s’étrangle Robert Durand. Il sort son téléphone pour prévenir la DREAL, la direction de l’environnement. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les responsables des sociétés, Jean-Paul Goy et Bernard Schmitz ont effectivement été condamnés en mai 2015 par la Cour d’Appel d’Aix à des amendes et à remettre en état dans un délai d’un an avec une astreinte de 150 € par jour de retard ensuite. Une des sociétés avait été appelée, non sans humour ou cynisme, « L’or de nos collines ». M. Goy a reconnu avoir reçu des paiements en espèces pour accueillir les camions et il a aussi été condamné pour « dissimulation d’activité ». Les déchets, ça vaut de l’or, c’est certain. Contacté via son avocate, M. Goy n’a pas répondu à nos questions. Deux cas exemplaires qui illustrent le sentiment d’impunité des pollueurs du fait des manquements de la Justice : amendes trop faibles, dossiers mal suivis, ordonnances de remise en état jamais exécutés.

Des déchets sous les vignes

Plus surprenant encore, on trouve aussi des déchets inertes sur des vignes en appellation d’origine contrôlée. Selon la définition officielle, c’est un déchet « qui ne subit aucune modification physique, chimique ou biologique importante, qui ne se décompose pas, ne brûle pas, ne produit aucune réaction physique ou chimique, n'est pas biodégradable, et ne détériore pas les matières avec lesquelles il entre en contact d'une manière susceptible d'entraîner des atteintes à l’environnement ou à la santé humaine. »

Sur son site internet, le Domaine de Souviou, situé sur la même commune du Beausset, vante des vins d'appellation Côtes-de-Provence et Bandol produits selon les méthodes de « culture raisonnées » « pour le bon respect de la nature » et pour assurer aux vins « une qualité optimum ». Mais camions et pelleteuses ont déversé des « déchets inertes » sur 21,6 hectares. Un chantier titanesque et surprenant. Car le cahier des charges de l'appellation Côte de Provence précise : « Afin de préserver les caractéristiques des sols qui constituent un élément fondamental du terroir, l'apport de terre exogène est interdit. On entend par terre exogène, une terre qui ne provient pas de l'aire parcellaire délimitée de l'appellation d'origine contrôlée. » Mais pire encore, l'arrêté de mise en demeure pris par le Préfet le 23 décembre 2015 relatif au Domaine de Souviou révèle « un apport important de terre en provenance du site pollué de La Loubières à Toulon », en l’occurrence 20.000 m³ de terre contaminée en provenance d'une ancienne usine de Gaz de France. M. Jaar, le propriétaire du domaine, jure qu’il est victime des agissement de l’entreprise ECT qui devait réaliser les travaux. « Je n’habite pas en France, ECT a déposé beaucoup plus de déchets inertes que prévu. Ma société n’a pas été payée pour recevoir les déchet. ECT devait réaliser les restanques, les zones pour qu’on puisse planter des oliviers et de la vigne, avec ses engins. C’était la contrepartie, du gagnant-gagnant. J’ai agi en toute bonne foi et j’ai été trompé. » Il assure être aujourd’hui pénalisé par la situation : « Une partie des terres en trop a été retirée, mais ce n’est pas fini car ECT traîne à faire les travaux. Et l’Inao (l’organisme chargé du suivi des appellations d’origine, NDLR) a déclassé 2,5 hectares de vignes en AOC Côte de Provence à cause de l’apport de terre exogène. »

Plusieurs domaines ont été pris les doigts dans le camion de déchets, car l’opération peut-être parfois très lucrative. Déverser dans une décharge légale coûte entre 8 et 10 € la tonne à l'entreprise. Chez des particuliers, les sommes versées sont moindres : 2 à 4 € la tonne. L'économie est donc importante pour l'entreprise et le bénéfice peut être substantiel pour le particulier. Quand aux amendes, leur montant de quelques dizaines de milliers d'euros maximum est loin d'être dissuasif. Sous couvert d'anonymat, un agent de l'Institut national de l'origine et de la qualité déclare : « Les amendes sont trop faibles par rapport aux gains. Si on déclasse une parcelle de vin classé en AOC, le vigneron pourra toujours produire du vin en IGP (Indication géographique protégée). Donc la fraude reste rentable. »

Le lendemain, Robert Durand nous propose d’aller au Luc-en-Provence. Un de ses informateurs lui a signalé un site qui pourrait accueillir des déchets illégaux. Après une petite heure de recherche, nous identifions un domaine qui pourrait correspondre. Il s’agit d’un haras. Nous marchons une vingtaine de minutes sur un chemin boueux. Soudain, un camion benne gris surgit derrière nous. Bingo, c’est le bon site. Encore quelques minutes de marche et nous débouchons sur un terrain : un tractopelle s’active pour étaler ce qui semble être de la terre et des gravats. Impossible de s’approcher plus sans éveiller l’attention. Là encore, quelques photos et un coup de téléphone à la DREAL. « Malheureusement, on pourrait trouver des nouveaux sites tous les jours », soupire le militant associatif. Depuis notre découverte, les inspecteurs de la police de l’Environnement ne sont pas restés inactifs : un procès-verbal d’infraction a été dressé début novembre par la DREAL et l’association Confédération Environnement Méditerranée constitue un dossier pour déposer une plainte.

Sentinelle de la nature, une appli pour signaler les décharges illégales

C'est une appli lancée par France Nature Environnement (FNE). Sentinelles de la nature permet de signaler directement les atteintes ou initiatives favorables à l’environnement sur une carte participative. Ces informations sont transmises aux référents associatifs FNE de la région lorsqu’il s’agit d’une atteinte à l’environnement. Désormais neuf Fédérations régionales l’Auvergne-Rhône-Alpes, la Bourgogne Franche-Comté, la Bretagne, le Grand Est, le Limousin et la Normandie sont actrices du projet. Cet outil renforce la veille écologique en sensibilisant et mobilisant largement les citoyens et les acteurs du territoire.

Décharge illégale au Castellet - © Cyril Marcilhacy
Décharge illégale au Castellet - © Cyril Marcilhacy

Direction le village du Castellet, où la société TRS a installé une décharge et un centre de tri illégal sur une terre agricole louée. Elle reçoit des bennes de terres, de gravats, des déchets verts. Et même quelques voitures et de la ferraille. Pour justifier son activité, son responsable, Julien Itrac, dit avoir fait une déclaration en préfecture. Mais une simple déclaration ne vaut pas autorisation, d’autant plus que les terres sont classées en zone naturelle, ce qui rend une telle activité impossible. La mairie a pris un arrêté interruptif de travaux (AIT) qu’il ne respecte pas. « C’est une décision jusqu’au-boutiste, dit, Julien Itrac dans un haussement d’épaule. Je suis fier de mon activité, j’ai créé neuf emplois, j’assume de ne pas être complètement en règle. Je n’arrive pas à trouver de site pour m’installer. » « La mairie ne fait rien pour faire respecter l’AIT, déplore Robert Durand. Les services de l’environnement de la DREAL passent tous les six mois et dressent des procès-verbaux. Et ça continue... » La maire du Castellet, Nicole Boizis, se dit complètement démunie : « Je suis la première maire à faire quelque chose alors que M. Martin-Escoffier, le propriétaire du terrain loué en partie à TRS, accueille illégalement de déchets depuis 33 ans. Mes arrêtés ont été contestés en justice. Le préfet me dit qu’on ne peut rien faire puisque c’est dans les mains de la justice. Ca ne bouge pas depuis trois ans. Pourquoi ? Je pense que M. Martin-Escoffier à le bras très long… En attendant, les vins de Bandol en souffrent car des terres ont été déclassés. »

Julien Itrac et son propriétaire ont demandé un changement du plan local d’urbanisme pour que les terres naturelle deviennent une zone où puisse s’implanter ce type d’activité. La maire dit qu’elle va essayer d’y donner une suite favorable, car « le travail de TRS est utile ». « C’est la politique du fait accompli : on installe une activité illégale, puis on demande le changement du PLU » s’agace le militant écologiste. Surprise… Depuis notre visite, une descente de police a eu lieu sur ce qui est une des plus grande décharge illégale du Var. « Au cours de l'opération les gendarmes ont pu constater un ballet de camionneurs et de particuliers venir jeter des gravats. Cette déchetterie était donc bien active. », a indiqué le procureur de Toulon, Bernard Marchal. « C'est une activité lucrative. En échange du déversement de leurs déchets, les conducteurs devaient payer. » Le propriétaire du terrain, le responsable de la déchetterie ainsi que le patron d'une société de transport, la Sotreve, ont été mis en examen par un juge d’instruction . Marc Martin-Escoffier dément exploiter une décharge illégale et déclare avoir réalisé des travaux en vue de planter des vignes et des oliviers muni de toutes les autorisations nécessaires. « Je suis satisfait d’être mis en examen. Je vais pouvoir m’expliquer. Ce sont des calomnies. J’ai déjà été relaxé en 1997. Des terres de mon domaine ont été déclassées mais aucune vigne en Bandol. Et je ne reçois pas d’argent pour accueillir ces terres. » En mars 2020, la société TRS a finalement été mise en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Toulon.

Gravats déposés à l’insu des propriétaires

Parfois des propriétaires découvrent des déchets déposés sur leur terrain à leur insu. Le Cap Cissier, situé sur la commune de Six-Fours, est une zone classée Natura 2000. Des forêts de pins odorants, une vue imprenable sur une mer bleue, c’est un petit coin de paradis. C’est pourtant là, dans cet espace déclaré inconstructible, que depuis près de 30 ans, des entreprises viennent déposer des gravats en toute impunité.

Comme les contrevenants sont difficilement identifiables, ce sont les propriétaires qui sont poursuivis. L’histoire de M. et Mme. Rebhun est ubuesque : ils découvrent un jour de 2005 les restes d’une passerelles en béton. Sauf que cette fois, les déchets sont facilement identifiables, puisqu’il s’agit d’une passerelle municipale qui a été déconstruite… à la demande de la mairie elle-même. Et l’entreprise qui a obtenu le marché a déposé les piliers de béton sur plusieurs terrains communaux ou privés du Cap Cissier ! Depuis le couple est allé jusqu’au Conseil d’État pour faire annuler les amendes pour dépôt illégaux de gravats sur un terrain sans autorisation… mises par la police municipale. C’est pourtant la mairie qui est responsable des déchets puisque l’entreprise sélectionnée était censé les déposer en décharge. Depuis l’affaire traîne. Après nous avoir promis une réponse, la mairie de Six-Fours n’a finalement pas donné suite. Seize ans plus tard, toujours rien n’a bougé !

« En fait, le but de ces dépôts sauvages est de faire pression sur les propriétaires pour les pousser à vendre à bas prix, dénonce Stéphane Crozet, le président d’une association locale de protection du littoral. Et puis, comme les terrains sont pollués, ils espèrent convaincre la mairie de rendre ces terrains constructibles. Et là, ce sont des opérations immobilières très très lucratives. » Stéphane Crozet subit très régulièrement des menaces et des intimidations en raison de son combat. « Mon portail a été défoncé cinq fois quand j’ai dénoncé des déballes sauvages. J’ai reçu des jets d’œufs sur ma maison et des menaces de mort. Une fois, j’ai déposé plainte au commissariat contre un entrepreneur. Le soir même, mon portail était défoncé. Qui l’a prévenu ? Je ne crois pas au hasard… Il y a de vrais réseaux. » L’Union Départementale pour la sauvegarde de la Vie et de la Nature, membre de France Nature Environnement est également très impliquée dans ce dossier.

A Marseille, l’association anti-corruption Anticor s’intéresse aussi de près aux décharges illégales qui sont parfois liées au grand-banditisme. « En s’intéressant aux déchets, on tombe parfois sur des personnes impliquées dans des affaires pas très claires, explique Jean Sansone, le responsable du groupe local. On a un dossier où un homme a été condamné comme marchand de sommeil et pour modification de scène de crime après un assassinat. Et il apparaît dans des projets immobiliers suspects. » L’action d’Anticor dérange. Le militant associatif collectionne lui aussi les menaces...

L’État à la peine

Critiqué par de nombreux acteurs pour son manque de réactivité dans la lutte contre les dépôt illégaux, l’État ne reste pas inactif. En off, des agents des services de l’Environnement nous ont avoué leur lassitude face au manque de moyens et aux postes non remplacés. La Direction des territoires et de la mer (DDTM) de Montpellier a accepté de nous ouvrir ses portes pour montrer son travail. « Nous avons un arsenal législatif bien adapté, estime François Ghione, le responsable de l’unité Nature et biodiversité. Nous pouvons agir en police administrative ou judiciaire. On peut qualifier les infractions dans plusieurs champs : l’urbanisme, l’environnement, les dépôts illégaux. » Face au manque de personnel, la DDTM promeut le travail en réseau : « Nous nous appuyons de plus en plus sur d’autres services qui nous signalent les décharges illégales : les autres unités de la DDTM, les polices municipales, les gardes-champêtres… Et les nouvelles technologies viennent aussi en renfort. »

Ce matin-là, les deux inspecteurs vont vérifier à l’aide d’un drone qu’un terrain a été nettoyés de certains dépôts illégaux. « Ces vues aériennes nous permettent de gagner du temps, de faire du repérage quand on nous signale des dépôts sauvages importants », racontent Patrick Duteyrat, responsable de la cellule vigilance territoriale. Le drone s’envole et va survoler la propriété. Les images montrent que le propriétaire a bien rempli ses obligations suite au courrier envoyé par le maire.

Direction une autre commune non loin de là pour des premières constations de dépôts multiples. A l’aide de sa tablette, l’inspecteur se géolocalise et se connecte à une base de données pour connaître le numéro de la parcelle incriminée. Puis il note les différents types de déchets présents : des gravats provenant d’artisans du bâtiment ou de particuliers comme des parpaings, du placo, des déchets ménagers, des déchets verts. On trouve aussi du fibrociment contenant de l’amiante, des déchets particulièrement dangereux et dont l’élimination est coûteuse. De nombreux artisans choisissent de se débarrasser des gravats dans la nature, soit pour éviter d’aller dans une décharge légale qu'ils jugent trop loin, soit pour augmenter leur marge, puisque le coût de l’élimination des gravats est facturé au client. « On a un peu de tout avec des déposants multiples, explique François Ghione. On va contacter le propriétaire de la parcelle qui est légalement responsable, mais on va aussi poser un piège photo pour prendre sur le fait les contrevenants. » Cette caméra se déclenche lors du passage d’une voiture. A partir de la plaque d’immatriculation, les inspecteurs pourront remonter au coupable. « C’est une première pour nous, la loi autorise l’utilisation la vidéosurveillance en procédure pour les décharges illégales que depuis juillet 2018 », déclare Patrick Duteyrat. Retour au bureau. Les deux agents préparent un « rapport de constatation d’un dépôt sauvage de déchets » à destination du maire. « C’est lui qui doit agir en demandant au propriétaire de faire retirer les matériaux, explique François Ghione. Ce rapport va lui faciliter la tâche. Et nous avons aussi mis en ligne des lettres types pour aider les maires, car dans les petites communes, ils manquent parfois de compétences juridiques. Si le maire n’agit pas, le préfet peut in fine se substituer à lui. »

Au terme de cette enquête, on s’aperçoit que les responsabilités sont multiples et partagées. Cette avalanche de décharges illégales à des causes multiples : l’incivilité, la recherche de profits par des artisans, des entreprises du BTP et des propriétaires de terrain peu scrupuleux. Mais cette situation s’explique aussi, selon certains élus et des entreprises, par le manque de site de proximité pour déposer et valoriser les déchets. Enfin, l’État a sa part de responsabilité : manque de moyens humains pour lutte contre le phénomène, sanction trop faibles pour être dissuasives. Deux points positifs : dans ce combat, les citoyens peuvent faire entendre leur voix s’ils sont mobilisés et tenaces, comme l'illustre le bras de fer victorieux contre l'immense décharge près de la gare Aix TGV. Comme nous le racontons dans le troisième volet de ce dossier, la loi économie circulaire du 10 février 2020 est une évolution favorable pour prévenir la création de décharges illégales. Et la valorisation des déchets est source de création d’emplois : les décharges pourraient devenir les nouveaux gisement du 21ème siècle.

Erik Tamburi, un élu qui croise le fer contre la pollution

Erik Tamburi - © Cyril Marcilhacy
Erik Tamburi - © Cyril Marcilhacy

Cet homme d’affaire, élu d’opposition divers droite dans la commune de Six-Fours (Var), a la gouaille des méridionaux et le tutoiement facile. Rencontré il y a six ans à l’occasion d’une session de formation à destination des élus sur la prévention et la lutte contre la corruption, son autre cheval de bataille, il avait lancé : « Reste un jour de plus, j’ai quelque chose à te montrer. Ca va te plaire ! Des déchets sous des vignes. Et ces vins sont en AOC Côtes-de-Provence et Bandol. Tu pourras titrer « Châteaux déchets » ! » Il voulait briser l’omerta, avec la bénédiction de plusieurs vignerons qui faisaient bien leur travail et en avaient ras-le-bol de voir des margoulins mettre en danger l’appellation. Erik Tamburi avait d’abord alerté des médias locaux. En vain. « Le vin, c’est hyper sensible ici, les rédaction en chef bloquent, jurait-il. Et les entrepreneurs sont très puissants. Dans le Sud, déchets, corruption, mafia, tout est lié. » Nous avions fait le tour de plusieurs vignobles. A chaque fois, même constat : des plantations surélevées de plusieurs mètres, des morceaux de béton, du fil électrique, voire des bouts de pneus apparaissait en surface. Une curieuse conception du terroir… « Alors tu reviens quand ? Tu vas en parler ? Je compte sur toi. » Erik Tamburi a le côté attachant et un peu obsessionnel des lanceurs d’alerte. Les coups de téléphones se sont succédés jusqu’à ce que je lui annonce que j’avais trouvé un magazine pour dévoiler ces pratiques.

Son engagement est sans doute plus citoyen plus que politique. Il n’a pas le discours grandiloquent de certains hommes politiques. Peut-être parce qu’il a été déçu par les partis. Un temps à Debout la France, chez Dupont-Aignant, il a claqué la porte quand il a appelé à voter Marine Le Pen au second tour des présidentielles. « Je ne suis pas un facho, je ne m’associe pas avec eux », cingle-t-il.

Erik Tamburi multiplie les contacts avec les associations de défense de l’Environnement, les entreprises qui prennent en charge les déchets, les journalistes. Il croise ses réseaux pour dénoncer les infractions et faire connaître les bonnes pratiques. « J’ai proposé et obtenu au conseil municipal de Six-Fours qu’on majore la note des entreprises qui proposent des matériaux recyclés, et pas seulement pour les travaux de voirie, dans les marchés publics de construction. Le maire l’a accepté. On a désormais nouveaux cahiers des charges. »

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