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Dossier
par Jacques Duplessy

« Déchargeons le plateau d’Aix », une mobilisation citoyenne exemplaire

Mobilisations sur les éseaux sociaux, manifestations et dialogue ont permis aux militants d'atteindre leur but.

Ce qui était la troisième décharge illégale de France est en cours de nettoyage par une entreprise payée par les collectivités locales. Récit d'un combat réussi.

Décharge sauvage du plateau de l'Arbois, à proximité immédiate de la gare d'Aix TGV. - © Cyril Marcilhacy

C’est désormais une entreprise qui s’occupe de nettoyer ce qui était la troisième décharge illégale de France. Un travail titanesque. Sur 15 hectares, les gravats en provenance d’entreprises de la région, poussaient comme des champignons. Et ce n’est pas faute d’une décharge légale à proximité : elle est située au bout de la route, à moins d’un kilomètre ! Mais les entreprises doivent payer. Alors pourquoi se gêner quand il y a des terrains vagues ? Ce succès, on le doit à une association, « Déchargeons le plateau d'Aix ».

Nous étions allés à leur rencontre. Ce jour-là, une cinquantaine de personnes s’activaient à l’entrée de l’immense dépotoir, à quelques centaines de mètre de la gare d’Aix TGV, aidés par les mairies d’Aix et de Vitrolles. Nous avions rencontré Geneviève, une aide soignante. Elle avait terminé son travail quelques heures plus tôt et s’apprêtait à retravailler la nuit suivante. Mais elle se disait « heureuse d’être là pour montrer qu’on peut se mobiliser ». Nous avions aussi croisé Stéphane, un graphiste d’une cinquantaine d’années, écologiste convaincu et déjà engagé dans un combat similaire. Et également Elodie Savoyat, un des piliers de l’association pour qui cette action symbolique était « un moyen de garder la pression sur les élus locaux ».

Geneviève, aide-soignante et citoyenne engagée  - Cyril Marcilhacy
Geneviève, aide-soignante et citoyenne engagée - Cyril Marcilhacy

Un combat né des réseaux sociaux

L’histoire a commencé il y a plus de deux ans. « Je voyais tous ces gravats s’accumuler de la route en passant en voiture et je me disais : « On ne peut pas laisser faire ça. », raconte Elodie Savoyat. J’ai vu une pétition en ligne « Déchargeons le plateau d’Aix » lancée par Valentin Zucchinalli. Je l’ai signée comme plus de 300 personnes. J’étais aussi en colère, alors je l’ai contacté par les réseaux sociaux. Deux autres personnes l’ont fait aussi. Je me suis aperçue que nous avions une approche semblable : la bienveillance et l’intérêt collectif. Tous les quatre, nous avons lancé un collectif citoyen et puis nous avons démarré notre enquête. » Rien ne prédisposait cette employée d’une chaîne d’ameublement de 38 ans à s’engager dans ce combat. « Je n’ai jamais fait de politique, mais suis sensible à la protection de la nature, dit-elle. Si on ne fait rien, les problèmes ne se règlent pas. »

Action de l'association « Déchargeons le plateau d'Aix » sur la décharge proche de la gare Aix TGV - @ Cyril Marcilhacy
Action de l'association « Déchargeons le plateau d'Aix » sur la décharge proche de la gare Aix TGV - @ Cyril Marcilhacy

Débute alors un vrai parcours du combattant : identifier les propriétaires des terrains grâce au cadastre, contacter le sous-préfet, la Métropole, les mairies d’Aix et de Vitrolles. Certains terrains appartiennent à la Métropole, d’autres à la mairie, une parcelle à un propriétaire privé. « Au départ, tout le monde se renvoyait la responsabilité, se souvient Elodie. Nous, on ne cherchait pas un coupable, on voulait juste les mettre autour d’une table pour régler le problème. » En avril 2019, France 3 les contacte pour parler du combat de l’association. Puis TF1 et France 2. « Cette médiatisation nous a fait beaucoup de bien, estime Elodie. Le nombre de signatures de la pétition a explosé et les autorités ont été plus enclines à nous prendre au sérieux. »

L'Etat et les collectivités répondent présents

Étonnamment, les militants ont obtenu une réaction de l’État et des collectivités locales dans un temps record. Le 18 juin, deux mois seulement après le début de leur combat, grâce à la volonté du sous-préfet qui les soutient, une réunion est organisé avec tous les acteurs. « C’était vraiment exceptionnel que ça aille aussi vite. On a passé un nombre d’heures énorme pour leur faire comprendre qu’on connaissait le dossier, qu’on irait jusqu’au bout. Nous étions très posés. Cette manière d’agir nous a crédibilisés. On a eu aussi la chance de lancer notre action un an avant les élections municipales. Ça mettait la pression sur les élus. » Un groupe de travail est créé. « On a suivi le dossier de près pendant les vacances, il y a même eu plusieurs réunions en juillet. » Début août 2020, le site est clôturé pour empêcher les nouveaux dépôts sauvages. A la fin du mois, le nettoyage d’une première parcelle est planifié. Mais le chantier est titanesque. Il y a quelque 200.000 m³ à débarrasser au total. Quelque 80 % des déchets viennent des entreprises, 20 % des particuliers. « Au départ, les moyens étaient dérisoires, ce sont les services municipaux qui s’en chargeaient. Le maire s’est rapidement aperçu qu’ils n’en viendraient pas à bout tout seul et, avec la Métropole, ils ont décidé d’ouvrir un marché public pour le nettoyage », raconte Elodie.

Action de « Déchargeons le plateau d'Aix » - © Cyril Marcilhacy
Action de « Déchargeons le plateau d'Aix » - © Cyril Marcilhacy

Les acteurs publics sous la surveillance des citoyens

Un appel d’offres a été lancé par la mairie d’Aix et publié en décembre 2019 en vue de procéder au nettoyage avec des moyens à la hauteur du défi. C’est la société Mat’ild qui a été retenue pour accomplir cette tâche titanesque. « Nous nous réjouissons, car c'est une nouvelle étape importante qui commence, mais nous allons aussi évidemment rester très vigilants sur la manière dont les choses vont être menées, explique l’association. Nous sommes en contact avec les dirigeants de la société Mat'ild, et leur avons rappelé ce qu’on attendait de ce nettoyage. Ils sont pleinement conscient de la nécessité de trier, et valoriser chaque type de déchet présent sur le terrain. Nous avons même pu visiter leurs installations à Gardanne, afin de constater tout cela par nous-même. » Car une fois ces avancées obtenues, les citoyens restent mobilisés pour suivre l’avancée des travaux. Retardés par la pandémie, ils ont réellement débuté en octobre 2020, avant d’être interrompus de nouveau, et de reprendre en avril. Le nettoyage complet durera de nombreux mois. « Nous resterons mobilisés jusqu’à ce que la nature reprennent ses droits », assurent les membres de l’association.

Malheureusement, le combat des militants de l’environnement connaît rarement des succès aussi rapides.

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