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Dossier
par shaman

De Saclay à Gonesse, le “Grand Paris Express” s'embourbe

État des lieux d'une contestation écologiste et citoyenne contre les futures lignes 17 et 18

Résultat probable de la nouvelle cellule « anti-ZAD », jeudi dernier, le couperet est tombé. La ZAD de Saclay, dans le sud de Paris, est menacée d'expulsion début-juin. Mais contre quoi Darmanin s'oppose-t-il vraiment ? Dans la suite de l'enquête sur le logement, nouveau volet de cette série sur les politiques publiques en région parisienne.

Face au chantier de construction de la ligne 18, une barricade et une revendication claire. - Reflets

Le camp s'est installé dans un champ au bord de la route. Une zone entre deux parcelles a été définie, autour poussent des fèves et du blé. On la rejoint en marchant sur des planches. Tous les chemins entre les diverses constructions sont ainsi balisés. La terre y est riche et fertile. Avec la pluie, la zone doit devenir un vrai bourbier. La ZAD de Saclay est installée sur ce terrain depuis janvier 2021 avec l'accord du propriétaire. Presque en face du camp, une équipe d'ouvriers travaillent à construire des poteaux de bétons. Un peu plus loin, peut-être un kilomètre avant, une machine géante, monstre de métal jaune est en train de poser le tablier du métro contesté. Autour, c'est la rase campagne.

Cette nouvelle ligne, la numéro 18, fait partie intégrante du « Grand Paris Express ». Le tronçon Sud est destiné à relier l'aéroport d'Orly à Versailles. Elle doit desservir trois arrêts dans le campus urbain « Paris Saclay », destiné à devenir un pôle scientifique et technique de niveau mondial. Au-delà de l'arrêt CEA - Nord et juste en face de la ZAD, le chantier s'apprête à s'élancer dans la plaine fertile. Les opposants parlent d'un « métro en plein champ qui roulera pratiquement à vide ».

Prévue pour une capacité de 20.000 passagers par heure en heures de pointes, des modélisations récentes montrent que la fréquentation à l'horizon 2035 ne devrait pas dépasser 6.000 passagers. Après le dernier arrêt du campus urbain, la fréquentation tombe à 2.300 passagers. Les associations dénoncent une opportune réévaluation des avantages socio-économiques des lignes 17 et 18 lors de la révision de l'étude d'impact de 2021. Deux lignes les plus mal notées dans l'étude de 2017, bondissant soudainement au premier plan, devant les lignes « déjà acquises ». Pour la ligne 18, ce sont ainsi 173.000 habitants « introuvables » d'après l'urbaniste Jacqueline Lorthiois.

Le collectif contre la ligne 18 s'inquiète : « Anticiper un dépassement significatif de ces valeurs reviendrait à spéculer sur une urbanisation future effrénée ». La « Zone de protection Naturelle et forestière », ZPNAF mise en avant par l'état pour sanctuariser une partie du plateau ne serait qu'un paravent. Une protection de papier, déjà amputée des zones urbaines existantes et fragile face à la machine spéculative. Un plateau déjà meurtri des 400 hectares déjà bétonnisés par le campus Paris Saclay. Cyril Girardin, scientifique des sols et investi dans la défense du plateau témoigne : « On n'arrive pas à s'opposer parce que aujourd'hui, le barème appliqué pour l'expropriation des terres agricoles sur le plateau de Saclay , c'est 10 mille l'hectare. La vente de parcelle agricole viabilisée, c'est 5 millions d'euros l'hectare ».

Le camp de palettes et de bottes de foin se trouve quelques minutes à pied après l'arrêt CEA Porte Nord, quelques stations de bus après Massy-Palaiseau  - Reflets
Le camp de palettes et de bottes de foin se trouve quelques minutes à pied après l'arrêt CEA Porte Nord, quelques stations de bus après Massy-Palaiseau - Reflets

Quelques mètres avant la même station, un monstre de métal semble tisser la ligne de métro, ici dans sa partie aérienne. - Reflets
Quelques mètres avant la même station, un monstre de métal semble tisser la ligne de métro, ici dans sa partie aérienne. - Reflets

Le 18 mars 2023, un rassemblement se tient devant l'Unesco à Paris. Quelques 200 personnes se sont assemblées à l'appel des associations pour demander le classement des terres de Saclay et de Gonesse au patrimoine mondial de l'Unesco. Benoît Biteau, député européen pour le groupe écologiste s'avance sur l'estrade. Extraits :

« Quelle belle idée symboliquement, de demander de classer ces plateaux au patrimoine de l'humanité quand on a classé pour la baguette française ». « On a aujourd'hui des ministres qui nous parlent de souveraineté alimentaire sans même savoir de quoi ils parlent ». « Nous devons parler de la souveraineté alimentaire, de la vraie, celle qui consiste à produire ici pour nourrir ici, de produire là-bas pour nourrir là-bas. Non pas celle basée sur des échanges internationaux, nous autorisant à imperméabiliser des sols. »

C'est au tour de Cyril Girardin de s'avancer, ironisant sur le déplacement des équipes de recherche en science des sols sur le campus Paris Saclay. Il témoigne :

« Dans les années 70, ils avaient conservé des ceintures vertes, des ceintures agricoles, céréalières. La petite couronne fruitière, maraîchère, elle a déjà été dévoré par Paris au dix-neuvième siècle. C'était Montreuil, Bagnolet, Montrouge. Aujourd'hui les légumes qui nous arrivent, ils font environ 600 km. Les fruits, 800 km. A part le blé, la France importe tous les autres produits qu'elle consomme. Il y a quelques décennies, on se nourrissait de produits qu'on cultivait en France. Aujourd'hui ce n'est plus vrai. Les fameux sols de la région parisienne, ce sont des lœss qui sont arrivées en héritage de l'ère glaciaire. Ces lœss continuent de prouver leurs rendements exceptionnels, 10 tonnes de blés à l'hectare, mais aussi parce qu'en 2022, alors que partout sur les radio et télévisions on vous parlait de la sécheresse. Et bien les lœss du bassin parisien, elles ont permis de faire les mêmes rendements. Des lœss qui sont capables d'avoir des réserves en eaux tout à fait exceptionnelles »

L'opposition se cristallise aussi sur le coût de ces projets. Pour le « Grand Paris Express », la facture s'élève à 42 milliards d'euros, un coût qui a plus que doublé depuis les prévisions originelles. C'est aussi cinq fois ce qu'il faudrait pour rénover tout le réseau francilien d'après une analyse du « Cercle des transports », association de dirigeants du secteur. En 2029, un rapport de la cour des comptes dénonçait la « dérive des coût »s et préconisait de « revoir le périmètre du projet ». Elle s'inquiétait d'un projet pesant sur les dépenses publiques avec un financement basé entre autre sur l'emprunt, 1,13% de point de PIB en dette publique supplémentaire pour 2025, avec de « fortes sensibilités » à « divers paramètres », des remboursements pouvant s'étaler jusqu'à 2100 voir faire « entrer la Société du Grand Paris dans un système de dette perpétuelle ». Les coûts de construction des lignes 17 et 18 totalisent 4,5 milliards, une somme qui pourrait déraper jusqu'à 6,3 milliards et représenterait les dépassements de budgets depuis 2017.

Initialement conçu pour desservir le projet « Europa City », la ligne 17, au nord de Paris semble, elle aussi, devenue bien inutile. Ce « nouveau modèle de centre commercial », prévoyant une piste de ski, projet « d'une autre époque basé sur la consommation de masse d'objets et de loisirs », dixit le gouvernement lui-même, est abandonné en 2019 faces aux critiques et dix ans de luttes. Pourtant, le gouvernement maintient sa ligne dure sur la ligne 17 qui passe dorénavant par cinq gares sans habitants. Ici encore, l'opposition dénonce l'urbanisation des terres à venir et y oppose les investissements nécessaires pour améliorer le réseau existant. Les rénovations nécessaires sur les lignes RER B et D, « lignes du quotidien » ou l'extension du tramway 5 et la création de « liaisons en rocade, de banlieue à banlieue, au cœur des quartiers », des investissements répondant à de vrais besoins.

Rassemblement devant l'UNESCO le 18 mars. L'estrade a été rapidement assemblée, deux grands panneaux représentant les terres de Gonesse et de Saclay. Devant, des légumes, des bocaux de terres et de blé, des schémas explicatifs.... - Reflets
Rassemblement devant l'UNESCO le 18 mars. L'estrade a été rapidement assemblée, deux grands panneaux représentant les terres de Gonesse et de Saclay. Devant, des légumes, des bocaux de terres et de blé, des schémas explicatifs.... - Reflets

Les personnes rassemblées semblent se faire peu d'illusions et savent pourquoi elles luttent. - Reflets
Les personnes rassemblées semblent se faire peu d'illusions et savent pourquoi elles luttent. - Reflets

La baguette, dorénavant patrimoine mondial de l'humanité, symbole de la lutte pour sauver les terres dont elle est issue ? - Reflets
La baguette, dorénavant patrimoine mondial de l'humanité, symbole de la lutte pour sauver les terres dont elle est issue ? - Reflets

Le 18 octobre 2021, plus de 300 chercheurs et des personnalités politiques écrivent une lettre ouverte au gouvernement demandant l'abandon de la ligne 18. Dans une tribune de novembre 2022, des personnalités comme Cédric Villani, Fabienne Merola du CNRS ou Luc Blanchard, coprésident de « France Nature Environnement » dénoncent un « entêtement absurde » et appellent au classement des terres de Saclay et Gonesse au patrimoine mondial de l'UNESCO. Mais le gouvernement ne semble pas pressé de revoir ce projet d'un autre âge. En 2018, Elisabteh Borne alors ministre des Transports, avait confirmé le « Grand Paris Express » dans son intégralité.

En juillet 2022, se réunissait dans les salons du Palais du Luxembourg l'association des acteurs du Grand Paris, avec des personnalités politiques et représentant de d'« opérateurs divers », comme « Tagerim promotion » pour la promotion immobilière, Systra pour les transports, Vinci pour le gros oeuvre, et enfin Crédit agricole, la Caisse d'épargne et la CDC pour les financements. Thomas Hantz, le président de l'Association des acteurs du grand Paris, a promis des investissements à hauteur de 60 milliards pour le volet transport ainsi qu'une aubaine de 80 milliards pour les acteurs privés pour le « développement des futurs quartiers de gare ». « Rien ne serait pire que de revenir à l’Ile-de-France d’avant le Grand Paris, une Ile-de-France statique, recroquevillée sur ses chapelles et ses baronnies. », expliquait-il.

William Martinet, est membre de la commission des affaires économiques de la France Insoumise et est député des Yvelines, le département où aboutit la ligne 18. Très impliqué sur la problématique du logement, il était présent le 1er avril à l'appel du DAL pour le « Housing Action Day » sur la place de la République. Interrogé sur la ligne 18 qui aboutit dans son département, il témoigne :

« C'est symptomatique de comment les politiques publiques fonctionnent à l'envers. On va mettre beaucoup d'argent pour bétonner des champs et construire une gare là où il n'y a pas de besoins, où des promoteurs vont pouvoir se faire beaucoup d'argent en urbanisant plutôt que de partir du besoin des gens. À proximité, tu as le RER C qui est une ligne qui est vraiment vétuste. Là où tu as le plus d'incidents, le plus de retard. C'est une ligne qui est empruntée par beaucoup de travailleurs viennant des Yvelines et qui veulent travailler jusqu'à Paris. La logique voudrait que ce soit là que l'on fasse des investissements, pour que les gens puissent mieux circuler. »

Et ainsi, comme à chaque fois qu'on soulève un pavé écologiste, l'écosystème de la lutte qui s'y déploie comporte souvent les mêmes fondamentaux, la contestation autour des lignes 17 et 18 n'y fait pas exception. Des mobilisations portées par des dynamiques locales pour tenter de sauver les dernières zones de natures encore préservées. Des luttes face à des projets d'un autre âge, pensés dans les termes de « croissance », « consommation ». Un âge où la question écologiste n'était qu'une couleur sur les affiches électorales, l'essentiel des rapports du GIEC et de la prise de conscience du mur climatique restant à venir. Repeignant rapidement leurs objectifs d'un vernis écologique, les structures de pouvoir s'entêtent. Mais derrière le miroir du développement, on devine vite les lourds intérêts financiers et des promesses d'argent qui coule à flot. Une manne pour laquelle le pouvoir n'hésite plus à criminaliser et déchainer la violence étatique, comme à Sainte-Soline.

Dans la lignée des évènements de Sainte Soline et de la dissolution annoncée des Soulèvements de la Terre, le ministère de l'Intérieur a fait fuiter, le 2 avril, une carte contenant 42 lieux de radicalisation surveillés, la ZAD de Saclay en faisant partie. Il annonce : « Plus aucune ZAD ne s'installera dans notre pays ». Quelques jours plus tard, le propriétaire du terrain et plusieurs membres du collectif sont convoqués pour interrogatoires à la gendarmerie. Le 13 avril, la nouvelle tombe. La ZAD de Saclay doit plier bagage avant début juin, avec menaces d'interventions policières et des lourdes amendes pour les propriétaires. Qui se radicalise vraiment ?

Les discours prenant fin, les opposants ont prévu d'accrocher les deux panneaux sur les grilles de l'UNESCO. L'intervenante précise : « seuls les photographes et ceux qui portent les panneaux ». - Reflets
Les discours prenant fin, les opposants ont prévu d'accrocher les deux panneaux sur les grilles de l'UNESCO. L'intervenante précise : « seuls les photographes et ceux qui portent les panneaux ». - Reflets

Le mouvement réveille les policiers qui, un peu perdus, choisissent de s'interposer. Un panneau est jeté à terre, une photo est autorisée avec ceux-ci portés à bout de bras. Puis, ils poussent littéralement les personnes vers la place provoquant résistance et chants. - Reflets
Le mouvement réveille les policiers qui, un peu perdus, choisissent de s'interposer. Un panneau est jeté à terre, une photo est autorisée avec ceux-ci portés à bout de bras. Puis, ils poussent littéralement les personnes vers la place provoquant résistance et chants. - Reflets

L'arme du crime. - Reflets
L'arme du crime. - Reflets

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