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Dossier
par Marjolaine Koch

De plus en plus de membres issus du privé

Les parcours sont de plus en plus « hybrides » (IV)

Depuis un peu plus d’une décennie, on dénombre de plus en plus de membres des cabinets ministériels issus du monde du privé. Cette évolution raconte la mue d’un État plus ouvert aux profils variés, mais aussi peut-être moins fin connaisseur de ses propres rouages.

Ministères - images Wikipedia

Les membres des cabinets ministériels sont issus de trois types de parcours professionnels : soit ils ont travaillé dans le privé, soit auprès de politiques, en tant que collaborateurs ou bien au sein de partis, soit ils ont rejoint une administration. Parfois, ils ont navigué d’un secteur à l’autre, voire touché aux trois. Pour cet exercice, il a été décidé de les séparer en deux catégories : ceux qui ont travaillé dans le privé versus ceux qui ont choisi de se tourner uniquement vers la chose publique. Et dans cette « chose publique » se trouvent à la fois les parcours administratifs et les parcours politiques.

Lecture des graphiques :

Le Gouvernement est constitué de ministères de plein exercice, sous lesquels se trouvent des ministères délégués et des secrétariats d’État. Retrouvez la liste des ministères à ce lien. Dans chaque graphique présenté vous repérerez les catégories suivantes : • Ministères de plein exercice en gras (blanc et bleu) • Ministères régaliens en bleu • MD = Ministère délégué • SE = Secrétariat d’État

Proportion des membres uniquement tournés vers la "chose publique" - Création Nostromo Production pour Reflets
Proportion des membres uniquement tournés vers la "chose publique" - Création Nostromo Production pour Reflets

Proportion des membres uniquement tournés vers la "chose publique" - Création Nostromo Production pour Reflets
Proportion des membres uniquement tournés vers la "chose publique" - Création Nostromo Production pour Reflets

Proportion des membres uniquement tournés vers la "chose publique" - Création Nostromo Production pour Reflets
Proportion des membres uniquement tournés vers la "chose publique" - Création Nostromo Production pour Reflets

Les ministères qui comptent plus de 50 % de membres issus du privé, sur la dernière page du graphique, sont tous, soit des ministères délégués, soit des secrétariats d’État : aucun ministère de plein exercice n’est présent

Proportion des membres uniquement tournés vers la "chose publique" - Création Nostromo Production pour Reflets
Proportion des membres uniquement tournés vers la "chose publique" - Création Nostromo Production pour Reflets

Plus de profils privés, sauf dans les ministères régaliens

Une fois ce partage fait, il apparaît que 37,8 % des membres ont eu une carrière tournée vers le privé avant d’intégrer un cabinet ministériel. En se penchant sur les graphiques, on note que les ministères régaliens se trouvent dans le « haut du panier », avec peu de profils issus du privé. Autrement dit, ces ministères recherchent des profils de juristes purs, fins connaisseurs des rouages de la fabrique de la loi. À l’inverse, les ministères qui comptent plus de 50 % de membres issus du privé, sur la dernière page du graphique, sont tous soit des ministères délégués, soit des secrétariats d’État : aucun ministère de plein exercice n’est présent. On voit clairement une distinction se dessiner, qui raconte en creux l’importance d’une carrière « bien faite » pour les fonctionnaires notamment, en passant par des ministères « qui comptent » et permettront de booster leur trajectoire.

"Les parcours sont devenus très hybrides. Cela crée un autre rapport à la bureaucratie"

Plus de mixité dans les rangs, pour le meilleur... et pour le pire ?

Selon la chercheuse Delphine Dulong, « en 1980, seulement 7% des membres étaient passés par le privé. Ce taux est resté bas jusqu’aux années 2000, autour de 8%, puis il y a eu un bond en 2012-2014, où presque un tiers des membres avaient occupé un poste dans le privé avant d’intégrer un cabinet ministériel. »

Les cabinets ont donc longtemps été occupés par des juristes purs, souvent fonctionnaires, ayant une très faible connaissance du monde privé. « Et puis les choses ont changé », complète Delphine Dulong. « Une partie des hauts-fonctionnaires s’est mise à faire de petits détours par le privé après 15 ou 16 ans de service. Mais à ce jour, ce n’est plus tellement ce type de profil que l’on remarque : les parcours sont devenus très hybrides. Cela crée un autre rapport à la bureaucratie. »

Pour le politologue Jean-Michel Eymeri-Douzans, « les départs vers le privé ont toujours été relativement limités, en réalité : de l’ordre de 15 à 20 % des énarques se tournent vers le privé. » Pour lui, la question de « l’aura » conférée par un poste au sein d’un ministère compte pour beaucoup dans le choix d’y rester. « L’excitation de la vie professionnelle, l’adrénaline que procurent de tels postes, le brassage avec du beau monde, les cocktails… certains ne peuvent pas quitter cela pour des bureaux ordinaires. » En revanche, ajoute-t-il, il est tout à fait possible de trouver un compromis… en rejoignant un cabinet de conseil. Bénéficier des salaires du privé et de l’adrénaline que procure le fait d’être au cœur des rouages du pouvoir, le meilleur des deux mondes !

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