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Dossier
par Jacques Duplessy

Dans le Donbass, les Russes avancent à pas comptés

Les combats sont très violents et les deux armées subissent des pertes importantes.

L'armée russe avance dans le Donbass mais ne parvient pas à une rupture décisive de la résistance acharnée ukrainienne. Après plus de 100 jours de guerre, la situation semble bloquée, aucun des deux camps ne parvenant à prendre l'ascendant sur l'autre. Il est loin d'être certain que les nouvelles livraisons d'armes sophistiquées à l'Ukraine changent réellement la donne. La guerre semble partie pour durer.

Une position ukrainienne abandonnée dans Sievierodonetsk - mil-inr.info

Les troupes Russes marquent des points dans le Donbass. Le président Zelensky a reconnu que « l’armée ukrainienne avait 50 à 100 tués par jour » dans l’est du pays (auquel il faut statistiquement ajouter 150 à 400 blessés) et que « la situation est très très difficile ». Un chiffre énorme difficilement soutenable dans la durée. Une brigade ukrainienne rassemble 300 à 400 hommes, comme le rappelle Michel Goya sur son blog La voix de l’épée dans un article titré L’infanterie, les chars et la guerre en Ukraine (en accès libre).

L’oblast de Luhansk pourrait tomber aux mains des occupants dans les prochaines semaines. Les soldats russes, qui avaient conquis 80 % de la ville Sievierodonetsk, n’en contrôlent plus que la moitié après une contre-attaque ukrainienne. La ville détruite à 80 % ne présente pourtant pas un intérêt militaire ou économique majeur. Mais cela aurait été concéder une petite victoire à la Russie, ce qui est politiquement difficile. Pourtant, avec une ville adossée à la rivière Donetsk qui constitue une ligne de défense naturelle, il aurait été plus aisé à l’armée ukrainienne de se replier au-delà de la rivière, ce qu’ils ont d’ailleurs fait non loin de là, près de la ville de Sloviansk. Mais pour le moment, les ukrainiens s’accrochent à Sievierodonetsk et se sont engagés dans un combat urbain très meurtrier. L’état-major a même fait le choix d’envoyer des renforts dans la ville alors qu’un encerclement n’est pas à exclure. Le pari pourrait s’avérer très risqué.

Un peu plus au sud, la ville de Lyman est tombée, menaçant celle de Sloviansk à une quinzaine de kilomètre de là. La bataille du Donbass pourrait devenir une bataille décisive.

Situation militaire dans le Donbass le 6 juin 2022 - DR
Situation militaire dans le Donbass le 6 juin 2022 - DR

Mais les Ukrainiens lâchent jusqu’à présent peu de terrain. Depuis le départ, le commandement fait le choix de tenir les positions jusqu’à ce qu’elles deviennent indéfendables pour mener une guerre d’attrition contre l’armée russe. L’objectif est que chaque mètre carré de terre coûte très cher à l’armée russe. Et cette stratégie porte des fruits : selon le site Oryx, qui documente les pertes des deux camps à partir des images disponibles sur Internet (donc sous-estimées par rapport à la réalité), l’armée russe a perdu depuis le 24 février plus de 760 chars 827 véhicules de combat d’infanterie et près de 1200 camions (liste complète ici). Par ailleurs, les estimations des pertes russes, selon les services de renseignement occidentaux, sont de plus de 15.000 tués et d’environ 40.000 soldats hors de combat. Les pertes ukrainiennes pourraient être équivalente, selon les experts.

Dans les faits, les gains russes sont faibles compte-tenu de la masse de troupes concentrée dans le Donbass et de la supériorité en nombre de tubes d’artillerie.

Pour montrer l’échec stratégique russe, il est intéressant de rappeler le ratio entre les deux armée : 900.000 soldats d’active côté russe (4,6 fois plus que l’armée ukrainienne), 2.900 tanks (3,4 fois plus) 6.000 transports de troupes blindés (9,7 fois plus), 5.180 véhicules de combats d’infanterie (4,3 fois plus), 4.980 tubes d’artillerie (2,7 fois plus). D’après le ratio de forces admis pour une attaque contre des positions préparées, de 3 attaquants pour 1 défenseur, l’armée russe avait largement le volume de force nécessaire pour mener son attaque.

Et pourtant, malgré des succès locaux, elle semble piétiner, même dans le Donbass. Après avoir pensé encercler l’armée ukrainienne dans l’ensemble du Donbass, elle a pensé diviser en deux la poche que constitue cette région. Finalement, l’armée russe a dû revoir ses ambitions à la baisse en revenant à une stratégie de grignotage du territoire.

Comme l’écrit l’historien militaire Cédric Mas qui analyse quotidiennement le conflit, « les deux camps se neutralisent faute de bénéficier d’un moyen permettant de renverser la supériorité tactique de la défensive, et faute d’un ascendant de commandement. »

Des lance-roquettes M141 HIMARS vont être envoyés à l'armée ukrainienne - Gouvernement des Etats-Unis, domaine public
Des lance-roquettes M141 HIMARS vont être envoyés à l'armée ukrainienne - Gouvernement des Etats-Unis, domaine public

Et si l’armée russe progresse dans le Donbass, encore faudra-t-il qu’elle puisse le tenir. Les Etats-Unis ont voté un package d’aide militaire d'un montant astronomique de 20 milliards de dollars qui permettra de fournir à l’Ukraine des armes toujours plus sophistiquées. Les Américains ont annoncé envoyer quatre lance-roquettes multiples HIMARS capables de frapper les positions russes dans la profondeur avec des missiles guidés portant jusqu’à 80 km. Boris Johnson, le Premier ministre anglais, a décidé de faire de même. Couplés avec de bons renseignements (et l’armée ukrainienne est bien informée des positions russes par sa population dans les zones occupées mais aussi par les États-Unis qui lui transmettent beaucoup de renseignements de ses satellites et de ses avions qui volent quotidiennement près de l’Ukraine), ces roquettes permettront de viser les dépôts logistiques, les convois d’approvisionnement et les centres de commandement.

Drone US volant le 6 juin aux alentours de l'Ukraine - Adsbexchange(.com)
Drone US volant le 6 juin aux alentours de l'Ukraine - Adsbexchange(.com)

Mais les Américains se refusent à envoyer des missiles portant à 300 km qui peuvent être tirés avec le HIMARS, car cela permettrait aux Ukrainiens de toucher des cibles en Russie.

Le président ukrainien Zelensky en visite surprise dans le Donbass le 5 juin 2022 - DR
Le président ukrainien Zelensky en visite surprise dans le Donbass le 5 juin 2022 - DR

Si l’armée russe remporte des succès tactiques dans l’Est du pays, cette offensive ne marque pas, pour le moment, une rupture stratégique capable d’emporter la décision et de provoquer l’ouverture de négociations de « paix » – aux conditions russes.

Le président Zelensky refuse de céder de nouveaux territoires et affiche comme but de guerre le retour à la situation au 24 février. Malgré quelques vidéos de grogne de soldats ukrainiens apparues sur les réseaux sociaux et se plaignant du manque d’armes, le moral de l’armée, un des facteurs décisifs, semble tenir. Le président Zelensky s’est rendu dans le Donbass le 5 juin à portée de l’artillerie russe pour visiter et décorer des soldats à Soledar (près de Bakhmut) et à Lysychansk. Il est persuadé, sans doute à raison, qu’un cessez-le-feu marquerait une simple pause avant la reprise de la guerre. La bataille du Donbass est, comme cette guerre, loin d’être finie.

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