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Dossier
par Jacques Duplessy

« Dans l'Est, la situation est toujours critique »

Mais les hôpitaux pensent avoir atteint le pic de l'épidémie

Les hôpitaux de Strasbourg et de Mulhouse restent sous tension même si le nombre de nouveaux cas de Covid-19 diminue. Les tensions en matériel et en médicaments aggravent le stress des soignants. Une nouvelle inquiétude pointe : les transfert de malades en réanimation vers d'autres zones plus épargnées sont de plus en plus difficiles.

Le CHU de Strasbourg - D.R.

« Si on n’arrive à s’en sortir, c’est grâce aux transferts de malades graves vers d’autres régions ou dans les pays voisins, témoigne le Pr Jean-Philippe Mazzucotelli du CHU de Strasbourg. La situation est toujours critique. Ces transports sont indispensables pour qu’on puisse accueillir les nouveaux malades en réa ». Actuellement 350 malades de la région Est sont en réanimation, dont 200 au CHU. « Nous avons doublé les lits de réanimation en créant une dizaine d’unités de réa. Environ 120 lits sont équipés de respirateurs lourds, les autres sont des petits ventilateurs qui permettent des soins plus simples… Mais c’est mieux que rien », soupire le médecin. Le pic de l’épidémie à Strasbourg est espéré pour ce week-end. « On peut difficilement le prévoir, dit le professeur. Les Italiens ont attendu longtemps... »

A Mulhouse, le docteur Marc Noizet, chef des urgences et du Samu du groupe hospitalier de la région de Mulhouse et du Sud Alsace, commence à voir le bout du tunnel. « La situation était vraiment engorgée jusqu’en début de semaine. On tenait parce que depuis 15 jours, on transférait 15 patients par jour en moyenne vers d’autres zones. Mais depuis le 30 mars, on a une inversion de tendance : diminution d’appel vers le 15 pour Covid, diminution des passages aux urgences, diminution des nouveaux patients intubés. Avant c’était 20 par jour, aujourd'hui on en a intubé six. »

Marc Noizet - D.R.
Marc Noizet - D.R.

Le personnel est une autre source d’inquiétude. Tous les anesthésistes de blocs opératoires font de la réanimation. Les unités de réanimation ont mis en place des binômes ou trinômes avec un personnel expérimenté et deux qui le sont moins. Le professeur Mazzucotelli estime que près de 500 soignants du CHU sont contaminés par le virus. « Ca va finir par poser des problèmes. La plupart sont en quarantaine chez eux. On ne nous dit pas s’il y a des cas graves, c’est mieux pour le moral des troupes. » A Mulhouse, qui subit le choc de l’épidémie depuis début mars, le docteur Noizet s’étonne presque que le personnel soignant tienne le coup : « Je m’attendais à un effondrement au bout de quatre ou cinq semaines. Et bien non, on tient le coup. C’est l’effet de groupe. Tout le monde est très fatigué, on est en suractivité. Tout est intense pour les patients : l’obligation du port du masque en permanence, le relationnel avec les patients pour qui ils sont les seules visites, la mortalité des patients âgés qui est très importante. On a travaillé l’impact psychologique avec la mise en place d’une cellule de soutien avec des psychologues et des psychiatres. Des ostéopathes viennent aussi faire des massages pour aider à la relaxation. Mais on sait qu’il y aura des dégâts collatéraux chez les soignants. »

Les médicaments sont pour le moment accessibles. « On est un peu en tension, mais ça va, assure le Pr Mazzucotelli. Le vrai problème est que nous n’avons aucune visibilité. Ce que je vous dis maintenant peut être faux dans les heures ou les jours qui viennent. » A Mulhouse, le curare a manqué et le Midazolam est utilisé avec parcimonie. Pour le matériel de protection, si les choses s’arrangent à Strasbourg, à Mulhouse, la situation est plus difficile. « Chaque semaine, il manque quelque chose : ça a été les masques, on en a eu besoin jusqu’à 13.000 par jour, ensuite c’était les tuyaux pour les respirateurs, maintenant ce sont les surblouses ! »

Jean-Philippe Mazzucotelli
Jean-Philippe Mazzucotelli

Après un retard à l’allumage, la coopération avec les cliniques privées fonctionne à plein. « On s’échange des patients : ils nous donnent les plus graves, on leur envoie ceux qui vont mieux. Ils n’ont pas le matériel pour des soins lourds, ni les compétences, ce n’est pas leur vocation », explique le Pr Mazzucotelli. Mais trouver une place de réanimation reste une occupation quotidienne très chronophage des médecins. Le professeur s’inquiète pour les futurs transfert de malades nécessitant des soins lourds mais stabilisés. « C’est toujours absolument nécessaire, sinon on explose. Avant on les envoyait dans l’Ouest, mais maintenant, c’est la région parisienne qui déverse ses cas là-bas. On sait qu’il reste quelques places en Allemagne et en Suisse. Mais on ne sait pas combien de personnes les pays voisins sont prêts à accepter. C’est assez opaque ».

Les transferts entre les régions et à l’étranger sont gérés directement par la cellule de crise de la Direction générale de la santé (DGS). « On transmet nos demandes et la DGS nous dit tel malade va à tel endroit », explique le docteur Marc Noizet.

Le Pr Mazzucotelli espère pouvoir transférer des malades dans l’hôpital militaire de campagne à Mulhouse où le pic de l’épidémie semble avoir été atteint. « Ca ne va pas être possible, explique Marc Noizet. Notre service de réa est plein car nous aussi on a de plus en plus de mal à transférer des patients. Vendredi, on en a envoyé seulement six vers l’Allemange et la Suisse. L’hôpital militaire est aussi plein. Il devait accueillir 30 patients, mais dans les faits il ne peut en accueillir que 24, car les respirateurs prennent plus de place qu’estimé. » Et la réa de « Il faut savoir que depuis le début de l’épidémie, on a extubé seulement deux patients, explique Marc Noizet. La durée moyenne de séjour en réa est de 15 jours. Mais ça peut aller jusqu’à 3 semaines. Pour nous à Mulhouse, ça devrait passer. Mais c’est clair qu’on va avoir un vrai sujet de nombre de lits de réanimation disponible sur toute la France. »

Du côté des essais thérapeutiques, Strasbourg comme Mulhouse ont fait le choix de participer à l’essai européen Discovery. Et la chloroquine ? « On n’en sait rien, l’étude du professeur Raoult ne démontre rien, s'agace le Jean-Philippe Mazzucotelli. Il faut l’essayer de manière scientifique, contre placébo ou contre le meilleur traitement disponible. Là où je suis d’accord avec Raoult, c’est qu’il faut aussi la tester sur des formes mineures. Quand on est en réa, c’est tard. Il faut arriver à démontrer si cette molécule évite l’aggravation. Je ne comprends pas que le Pr Raoult se soit laissé aller à une telle croyance... »

Le débat public sur la méthode de déconfinement fait bondir le professeur Mazzucotelli. « On en parle alors qu’on est en plein dans la vague. C’est ridicule ! La fin du confinement n’est pas à l’ordre du jour, c’est certain. Que les décideurs y pensent, c’est normal. Qu’on mette ça maintenant dans le débat public, c’est déraisonnable. La communication du gouvernement est ridicule. Sauf si on veut rassurer et endormir la population. Pendant que les gens discutent de ça, ils ne s’intéressent pas à ce qui se passe dans les hôpitaux, aux manques de matériel, aux manques de moyens. »

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