Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine BELLIER

Culturons-nous !

Quelques idées de séries, livres, film, spectacle en toute subjectivité…

Les vacances de Noël approchent ! Entre le foie gras, la dinde, le fromage et les bonnes blagues de tonton Dédé, voici quelques suggestions culturelles qui vous permettront d'affronter les excès des fêtes en toute bonne conscience.

Affiche du film "Jambon, jambon" de Bigas Luna - D.R.

Une lecture à coup de marteau !

L’inénarrable Fabrice Luchini fait en ce moment salle comble au théâtre de l'atelier à Paris dans un exercice auquel il est désormais habitué : la lecture de textes de grands penseurs. C’est à un géant de la philosophie auquel l'acteur s'affronte : Nietzsche. Dans un décor minimaliste, derrière un simple bureau, notre Fabrice national partage quelques morceaux les plus saillants du philosophe allemand. Il ponctue sa lecture de quelques observations sur le génie nietzschéen en glissant aussi des extraits d'un autre de ses auteurs fétiches, Baudelaire et son célèbre poème sur l'ivresse extrait des « Fleurs du mal » dont il nous fait goûter la beauté : « Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous. » Quelques bémols cependant. Tout d’abord sur la forme. Je ne sais pas s'il en a complètement conscience mais Lulu devient à certains moments la caricature de lui-même quand il déclame exagérément certains aphorismes de Nietzsche : on croirait assister à un sketch d’un humoriste imitant Lucchini ! Sur le fond ensuite. Si on passe globalement un bon moment en l'écoutant lire le philosophe allemand – bien qu'un peu court : à quarante euros la place, la minute est un peu chère ! – , la séquence suivante qui consiste en un dialogue avec un philosophe contemporain – j’ai assisté à une conversation avec Pascal Bruckner – tient plus de la discussion de comptoir qu'une réflexion construite, avec les quelques relents réac' qui vont avec…

Attention pépite en vue !

En voici une série originale que nous propose le site de Canal +, adapté d’un livre de Lindy West : « Shrill ». Vingt-deux épisodes d’un peu moins de trente minutes chacun pendant lesquels on suit une jeune trentenaire, Annie (dont le rôle est interprété par Aidy Bryant, membre de la troupe du Saturday Night Live) qui est en surpoids et elle l'assume. Avec humour et sans misérabilisme, l'héroïne de cette série doit affronter, dans tous les domaines de sa vie, les clichés qui collent à la peau des personnes obèses : le petit copain qui la voit en cachette de peur de la présenter à ses potes, les remarques indélicates de sa mère qui estime avoir tout fait pour prévenir sa prise de poids sans parler des injonctions des médecins ou de certaines connaissances soumises au diktat des corps prétendument parfaits promus par les réseaux sociaux. Annie, qui rêve d’être pleinement reconnue comme journaliste doit aussi se coltiner Gabe, un chef irascible et narcissique, adepte de la course à pied, – campé par un John Cameron Mitchell aussi détestable qu’hilarant. Mais Annie ne se démonte pas et parvient, à se distinguer en écrivant quelques articles aux angles originaux qui font exploser les vues sur les réseaux sociaux. Grâce à la personnalité de l'actrice principale qui ne joue ni la victime, ni la bonne copine gentillette sans aspérités, mais aussi aux seconds rôles très réussis – outre Gabe, je pense à Fran, la meilleure amie et colocataire : black et homosexuelles assumée – , « Shrill » fait partie de ces rares séries qui savent passer des messages avec subtilité sans verser dans le militantisme ennuyeux.

Il est bon le Goncourt ?

On peut être, dans un premier temps, décontenancé par le fil de la narration choisi par Brigitte Giraud dans son dernier roman, « Vivre vite » récompensé par le prestigieux prix Goncourt, mais on se laisse assez rapidement embarquer comme à notre insu par son style à la fois sobre et poignant. À l’occasion d’un déménagement, l'auteure revient sur le drame qui a fait basculer son existence vingt ans auparavant, le décès accidentel de son mari. Comme pour exhumer un passé à peine cicatrisé, Brigitte Giraud choisit de faire un travail d'anamnèse. Chapitre après chapitre, elle évoque les hypothèses qui auraient pu éviter l'accident de moto qui a emporté l’amour de sa vie. Autant de « si » apparemment banals qui n'ont pas tant pour fonction de réécrire l'histoire que de parfaire et sans doute achever son travail de deuil. Au fil de ce récit, l'auteure fait en quelque sorte revivre Claude dont elle avoue, à la fin du livre qu' elle peine de plus à plus à se souvenir de son visage : « Il me faut parfois me concentrer pour reconstituer tes traits. Cela, je ne l'aurais jamais imaginé. Pour accéder à tous les détails. Je dois convoquer une scène très particulière pour capter ton regard. » Cet exercice d'écriture est, on l’aura compris, cathartique et thérapeutique pour Brigitte Giraud, mais il l’est également pour nous, lecteurs, affectés plus ou moins directement par le deuil d’un proche. « _Vivre vite _» est, en cela, un livre essentiel qui ne tombe ni dans le voyeurisme, ni dans le pathos dégoulinant. Il affronte sans faux-semblants cette question si sensible de la mort, sans rien éviter.

Paris sera toujours Paris

Philippe Le Guillou a construit depuis des années une œuvre foisonnante non seulement romanesque mais aussi de récits variés dans lesquels il peint avec beaucoup de finesse les lieux qui l'ont marqué. Parmi ceux-ci, il y a la Bretagne à laquelle il est viscéralement attaché mais aussi Paris où il vit une grande partie du temps. En prolongeant le petit bijou « Paris intérieur _» publié chez son éditeur fétiche Gallimard, il nous offre dans cet ouvrage magnifiquement illustré par Philippe Kerarvran, « _Petit cadastre parisien » (éditions dialogues) , une pérégrination littéraire et poétique des quartiers de la ville-lumière, à commencer par le deuxième arrondissement et plus précisément le quartier du Sentier où il s'est établi depuis les années 90. À partir de ce port d'attache dont il décrit avec bonheur les recoins, les édifices et les cafés pétris d’histoire, il nous fait naviguer dans les entrailles de Paris. De la rive droite à la rive gauche de la Seine, cette balade « modiasneque » nous fait voir d’un œil neuf cette capitale si décriée et pourtant tellement attachante. Paris devient véritablement un personnage à part entière qu’on se surprend à aimer à mesure que l'on apprend, grâce à la plume vive et sensible du plus parisien des écrivains bretons, à mieux le connaître. Loin de la cité fantasmée des cartes postales, Philippe Guillou partage le bonheur simple d’une ville qui se révèle belle et fragile. En refermant ce petit ouvrage, on a qu’une seule envie, marcher au hasard des rues, à la rencontre de cette belle endormie, prête à nous dévoiler ses richesses encore insoupçonnées.

Vous en reprendrez bien une tranche ?

Dans une précédente chronique j’avais fait référence au site d’Arte qui est une mine d’or, notamment en raison son offre de films, vraiment qualitative. En cherchant un peu, je suis tombé sur « Jambon, jambon », film-phare du cinéma espagnol sorti en 1993, servi par des acteurs qui ont depuis fait leurs preuves. Je pense en particulier à Penélope Cruz et Javier Barden. La première joue le rôle d’une miséreuse, fille de prostituée, qui est mise enceinte par le fils d’un couple d'industriels dont la spécialité est, - je vous le donne en mille - la confection de slips ! Mais la patronne ne l'entend pas ainsi. Elle va tout faire pour éloigner cette pauvresse de son fils adoré en demandant au personnage interprété par Barden, livreur de jambon de son état, de la séduire. Dans ce film explosif de Bigas Luna, la tension dramatique affleure à chaque minute tout comme la sensualité des corps exposés – comme des jambons ! – . Corrida, paysages désertiques et poussiéreux, misère, promesses de développements économiques, féminité et virilité exacerbés, ce film est un concentré d’Espagne sans additifs ni recherche d'esthétisme mais dont la beauté se déploie dans la présence brute et sans concessions des personnages incarnés par des acteurs exceptionnels. À voir et revoir !

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