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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Crise sanitaire et surveillance

Les crises passent, les outils restent

Dans des circonstances exceptionnelles, l'exécutif est souvent prompt à imposer des outils de surveillance qui ne font pas bon ménage avec les libertés individuelles. Tous les prétextes sont bons : lutte contre le terrorisme, crise sanitaire... L'exceptionnel demeure après la crise. L'état d'urgence devient la norme.

Mais qu'est-ce que l'on a de si intéressant ? - D.R.

Surtout ne vous inquiétez pas, nous ne sommes pas une dictature et, les données collectées sont anonymisées. Une fois que ces deux arguments sont lâchés, tout le monde est rassuré. N'importe quel outil de surveillance, aussi attentatoire aux libertés individuelles soit-il, peut être déployé. Les arguments visant à détourner l'attention du citoyen un tantinet méfiant auront fait leur effet. En France, par exemple, l'idée d'une surveillance des personnes via les mouvements de leurs téléphones portables, afin de lutter contre le coronavirus, fait son chemin lentement depuis quelques jours. On est passé de "ce n'est pas dans la culture française" (Christophe Castaner) ou on n'est pas comme la Chine (comprendre une dictature) à : nous avons récolté ces données, mais elles sont anonymes (Stéphane Richard, PDG d'Orange). Pour finir avec cette déclaration de Christophe Castaner : on pourrait peut-être utiliser certaines données des téléphones, pour tracer les contaminations éventuelles au Covid-19 et d'ailleurs les Français seraient surement d'accord... Ne vous inquiétez pas, on ne regardera pas les données GPS, ça reposera sur le bluetooth, tout est fait pour rassurer le chaland. Sauf peut-être cette petite phrase d'Olivier Véran et Cédric O dans Le Monde : « Nous en sommes à une phase exploratoire, mais nous ne voulons fermer aucune porte ». C'est bien le problème en matière de surveillance. Les autorités ne se sont jamais fermées aucune porte. Passant allègrement du légal à l'illégal en appelant cela de l'« alégal »... En la matière, nos combats pour préserver les libertés fondamentales sont toujours en retard d'un train, les gouvernements préparant toujours le pire sans le dire.

Alors les Français qui seraient pour... Mais bien sûr Arthur Christophe... Qui ne serait pas prêt à enterrer un peu plus les libertés individuelles pour un peu plus de sécurité ? Ou pas, d'ailleurs, puisque personne ne sait guérir les effets de ce virus, que les inconnues sont pléthoriques. Personne ne sait s'il y aura ou non une deuxième vague post déconfinement, personne ne sait si les pays en retard sur nous renverront de nouveaux cas, si un vaccin sera trouvé, un médicament ? Bref, rien ne dit que le pilonnage des libertés individuelles permettront de lutter efficacement contre les effets du virus. Ce dont s'émeut d'ailleurs le syndicat de la magistrature depuis le début de la crise.

Communiqué du syndicat de la magistrature - Copie d'écran
Communiqué du syndicat de la magistrature - Copie d'écran

Mais qu'à cela ne tienne. L'exécutif qui s'est déjà tellement bien illustré en matière de maintien de "l'ordre" par un désordre total à base de tirs de LBD (Lire nos articles ici, ou encore ici...) dans les têtes des citoyens, ne reculera devant rien. Surtout pas devant des infractions mal ficelées qui ne survivront pas aux procès à venir, surtout pas devant des maintiens en détention pour une durée de six mois sans intervention d'un juge, surtout pas devant une surveillance massive des données GPS ou des bornes liées à la téléphonie des Français. Et alors ? Amesys le faisait bien sur les Champs-Elysées pour démontrer la puissance de ses outils à Kadhafi sans que personne dans un gouvernement, de gauche comme de droite, ne s'offusque.

Interceptions OKLM sur les Champs-Elysées pour mieux convaincre Kadhafi... - Copie d'écran
Interceptions OKLM sur les Champs-Elysées pour mieux convaincre Kadhafi... - Copie d'écran

Mieux, on a filé la légion d'honneur à son patron et on lui a filé Bull, une petite entreprise d'informatique, en récompense des bons et loyaux services. Cerise sur le gâteau, Thierry Breton l'a accueilli à bras ouverts dans le comité exécutif d'Atos. Alors bon...

D'ailleurs, tiens, c'est marrant, Thierry Breton, devenu commissaire européen, est tout à fait pour que l'Europe surveille de près la téléphonie des Européens pour lutter contre le coronavirus. Personne n'a dû expliquer a tous ces gens qu'ils suffisait de laisser son téléphone portable à la maison et d'aller promener son virus pour passer entre mailles mailles du filet. Ou alors ils le savent et ils ont une autre idée derrière la tête.

Du temporaire permanent à la clef...

Eh oui... Parce que maintenant que l'on a un peu de recul, on sait que les mesures dites "temporaires" qui sont mises en places en période de crise ont une lourde tendance à devenir la règle après que la crise soit passée. Dernier exemple en date, la vague d'attentats de 2015 et l'état d'urgence qui a suivi. Lorsque la France en est sortie, sous un certain Emmanuel Macron, la plupart des horreurs mises à place à cette époque (comme les perquisitions administratives), sont entrée dans le droit commun. Est-on mieux protégé contre le terrorisme ? Non.

La période est à la militarisation de la société. On parle de guerre pour une lutte contre une pandémie. Même les médecins s'étouffent en entendant cela. On voit les marchands de drones se frotter les mains tant les ventes explosent, on perçoit la mobilisation sans pareil du secteur de la high tech appliquée à la police. De Palantir qui frétille à toutes les boites faisant de la reconnaissance faciale, qui ajoutent en catastrophe des outils de mesure de la température du corps...

Sous le régime de l'état d'urgence sanitaire, le gouvernement français égrène sa liste interminable d'interdictions, de paperasse, d'autorisations, de répression qui accompagne la surveillance de l'acceptation de ces nouvelles règles empêchant de circuler, mais peine sur l'essentiel.

En pointant du doigt - mais il n'est pas le seul, la presse le fait très bien aussi -, les citoyens qui ne suivraient pas les consignes, se développe un comportement surréaliste. Les citoyens qui appliquent les règles se mettent à pester contre ceux qui ne les respectent pas au lieu de se concentrer sur l'essentiel : l’État a failli. Pire, les commissariats croulent sous les appels de dénonciations des "bons citoyens" qui veulent dénoncer leur voisin qui serait sorti trop souvent. Ambiance...

La litanie des ordres et contre-ordres, des injonctions contradictoires... Ne restez pas chez vous, mais restez chez vous tout en allant voter... Ne mettez pas de masques, ça ne sert à rien et vous ne saurez pas les utiliser puis mettez des masques, c'est utile voire obligatoire dans certaines villes. On ne teste pas, ça ne sert à rien, mais on va tester beaucoup de monde pour sortir du confinement, sinon, c'est impossible, et ainsi de suite...

L'impréparation... Rapide pour reporter la faute sur tous les gouvernements qui se sont précédés, l'exécutif a failli en ne constituant aucun stock digne de ce nom de masques. Pas faute pourtant d'être prévenus. Comme le raconte le Canard Enchainé de cette semaine, plusieurs services de renseignement avaient alerté leurs gouvernements des risques d'une pandémie de ce type. La CIA parlait d'« une maladie respiratoire, virulente, extrêmement contagieuse, [sans] traitement adéquat ». En France, on évoquait le risque d'« une nouvelle pandémie (...) hautement pathogène, résultant de l'émergence d'un nouveau virus qui aura franchi la barrière des espèces ou qui aura échappé (sic) d'un laboratoire ».

Sounds familiar ?

La réponse inadaptée. Obnubilé par la crise économique qui se profile, l'exécutif voudrait que l'économie ne s'arrête pas. Là où tout devrait être fait pour protéger la population, l'injonction à continuer le travail semble complètement déconnectée de la réalité des citoyens. Au lieu de se concentrer sur l'augmentation des lits de réanimation et du personnel qui va avec, sur la fourniture de masques et de matériel aux soignants, de tests pour évaluer avec un minimum de précision la situation, le gouvernement se mobilise sur la production d'attestations permettant de quitter le domicile. Déjà trois versions si l'on compte l'attestation numérique, initialement interdite, puis autorisée... Il y a presque plus de contrôles de police que de masques distribués aux soignants... La surveillance électronique des téléphones portables, pourquoi pas la réaffectation des boites noires pour traquer les signaux faibles de velléités de sorties du confinement, ne semblent pas une priorité pour les citoyens qui voient à nouveau leur avenir financier compromis tandis qu'entreprises et banquiers seront à nouveau sauvés... Sauvés d'une bulle financière dont ils ont bien profité depuis 2008 et qu'un grand nombre d'observateurs voyaient exploser dans un avenir proche. Le Coronavirus n'a sur ce point été qu'un prétexte.

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