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par Yovan Menkevick

Crise de la dette : et si on nous prenait pour des c…

Oui, vous l'entendez partout, tous nos malheurs viennent désormais de cette fameuse dette qui oblige nos gouvernements à encore plus de rigueur, c'est à dire à nous demander de nous serrer la ceinture. S'il n'y avait pas autant de dette, tout irait mieux, nous ne serions pas à l'aube d'une apocalypse économique. Ces fameuses dettes des pays industrialisés les plus riches, on vous l'a assez répété, sont en permanente augmentation : nous vivons au dessus de nos moyens. Ah ! Scélérats de citoyens !

Oui, vous l'entendez partout, tous nos malheurs viennent désormais de cette fameuse dette qui oblige nos gouvernements à encore plus de rigueur, c'est à dire à nous demander de nous serrer la ceinture. S'il n'y avait pas autant de dette, tout irait mieux, nous ne serions pas à l'aube d'une apocalypse économique. Ces fameuses dettes des pays industrialisés les plus riches, on vous l'a assez répété, sont en permanente augmentation : nous vivons au dessus de nos moyens. Ah ! Scélérats de citoyens ! Ils dépensent trop ! Il faut donc, par exemple, virer des profs, des infirmières, qui coûtent cher et accentuent cette dette.

Oui, mais il y a des chiffres qui ne trompent pas, et qui peuvent nous intéresser…

Par exemple, saviez-vous qu'entre 1993 et 2010, le taux d'imposition moyen des entreprises, calculé sur 80 pays, était passé de 38% à 25% ?

Ah, oui, ça fait bizarre…parce qu'il faut rappeler que l'impôt sur les sociétés ce n'est pas comme l'impôt sur le revenu,  avec l'impôt sur les sociétés, on ne taxe que les bénéfices. Après réinvestissement. Donc, c'est la part que les actionnaires se mettent dans la poche qui a été augmentée en diminuant cet impôt. Et c'est la part de la recette de l'État (l'État c'est nous) qui a baissé.

Une dette publique, c'est quoi ?

Oh, pas grand chose, juste la différence entre ce que vous rentrez dans la caisse et ce que vous sortez de la caisse. Donc les dépenses comptent, mais les rentrées autant. Et pour l'instant on ne nous parle que des dépenses…

Alors qu'il y a beaucoup, beaucoup de rentrées fiscales (des entreprises, mais pas que) qui n'ont pas été au rendez-vous depuis pas loin de 20 ans dans le monde. Alors je sais, il va être dit que l'impôt sur les société n'a quasiment pas bougé en France depuis 15 ans.

Et c'est là que c'est amusant : la France a choisi de faire autre chose, mais qui revient au même en termes de baisse des recettes : créer des "niches fiscales" pour les entreprises. Pour qu'elles payent moins d'impôt sur les bénéfices, entre autres, mais pas que.

Alors, bien entendu, si ces "niches" permettaient une relance de l'économie, de la création d'emplois on pourrait facilement accepter la baisse de recettes compensée par la création de richesses fournies par ces "niches". Mais ce n'est malheureusement pas le cas. La cour des comptes (pas franchement des communistes) a estimé par exemple que le cadeau fiscal de la baisse de la TVA dans la restauration et l'hôtellerie a coûté 10 milliards d'euros en 2010 avec un "impact limité" (traduisez : ça n'a pas servi l'économie et l'emploi).

Mais le plus fort est à venir : le coût total des niches fiscales "déclassées" des entreprises (entendez cadeaux fiscaux) s'élevait à…plus de 67 Milliards d'euros en 2008. Sachant que la cour des comptes, dans son rapport de 2010 sur "les entreprises et "niches" fiscales et sociales : Des dispositifs dérogatoires nombreux", balance tranquillement que _"Les dispositifs dérogatoires applicables aux entreprises ont été particulièrement concernés par ces déclassements et reclassements dans le périmètre des dépenses fiscales : 76 % des mesures classées et 56 % des mesures déclassées depuis le PLF pour 2006 ont pour bénéficiaires les entreprises. Les mesures déclassées applicables aux entreprises représentent 67,9 € en 2008, soit 87,4 % du coût total des dispositifs déclassés sur la période _.

Les ruses du gouvernement pour cacher les cadeaux fiscaux et les dépenses qu'ils impliquent

Bon, c'est un peu compliqué le système de classement et déclassement des mesures fiscales, mais ce qu'il faut retenir, c'est qu'en gros, le gouvernement actuel s'est débrouillé pour que pas mal de cadeaux fiscaux ne passent pas par la case dépenses de l'État. Extrait du rapport de la Commission des Comptes à ce propos :

A - Le périmètre des dépenses fiscales applicables aux entreprises a connu d’importantes modifications au cours des dernières années

1 - La définition vague des « dépenses fiscales »«…/… les dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en œuvre entraîne pour l’État une perte de recettes et donc, pour les contribuables, un allègement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l’application de la norme, c’est-à-dire des principes généraux du droit fiscal français ».…/…

On y comprend pas grand chose, ce que le rapport souligne plus loin :

"b) Des critères d’appréciation qui ont varié au cours du temps …/…Au regard de cette définition, toute mesure impliquant une perte de recettes pour l’État n’est pas une dépense fiscale. …/…En conséquence, la définition des dépenses fiscales demeure incertaine. Le Gouvernement dispose alors d’une grande liberté pour qualifier ou non une mesure de dépense fiscale. Il s’appuie pour ce faire sur des critères qui ont été progressivement dégagés afin de définir la dépense fiscale.…/…Compte tenu des difficultés de définition des dépenses fiscales, la liste des mesures considérées comme telles fait l’objet de modifications régulières, qui ont été particulièrement importantes au cours des dernières années.

  • entre 1997 et 2003, 45 mesures ont été déclassées et requalifiées « en mesures particulières de calcul de l’impôt » ;
  • 93 mesures ont été déclassées depuis le PLF pour 2006, dont 55 en PLF pour 2006, 37 en PLF pour 2009 et 1 en PLF pour 2010 ;
  • 78 mesures existantes ont été en sens inverse intégrées dans le champ des dépenses fiscales, dont 44 mesures dérogatoires affectant les impôts locaux et dont le coût est supporté par l’État."

Ce vaste bazar nous indique une chose claire résumée dans le rapport de la façon suivante :

"De plus, certaines réformes de la fiscalité des entreprises ont conduit à la suppression de dépenses fiscales. La suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par une contribution économique territoriale, qui ne retient plus dans l’assiette les investissements, fait ainsi disparaître de la liste des dépenses fiscales les différentes exonérations qui s’appliquaient".

En gros, tout a été fait pour maquiller les comptes, créer du flou, offrir des avantages aux entreprises en les passant en dépenses (quand c'était arrangeant) ou au contraire en les sortant des dépenses de l'État…

Un petit graphique sur la dette française pour la route :

Comment nous autres citoyens lambda, nous sommes faits berner par des discours bidons

Soyons bien clair, pour ne pas partir dans un champ de combats politiques vains. Le problème ne réside pas dans le fait d'arrêter "d'aider les entreprises" pour qu'elles "fonctionnent mieux". Le problème est : pourquoi ne pas récupérer les cadeaux fiscaux (inutiles au bien commun) donnés aux entreprises qui n'ont :

  • pas créé d'emplois (ou si peu en comparaison des destructions que c'en est dérisoire)
  • n'ont pas du tout empêché les entreprises de délocaliser, au contraire
  • ont permis à une poignée d'Edge-Fund et autres actionnaires multimillionnaires de s'en mettre encore  plus dans les poches
  • coûtent une fortune, coût que les citoyens doivent compenser (par de nouvelles taxes ou des diminutions sensibles de leurs droits sociaux)
  • empêchent le pays de diminuer sa dette ?

La réponse, très simple, est donnée par certains observateurs économiques et cette réponse est la suivante : tout simplement parce que q uand on veut démanteler un système dans son ensemble pour le vendre à des intérêts privés, il faut un prétexte. Alors, en creusant la dette, on l'a, ce prétexte.

Il suffit de déclarer que la dette (créée par sa propre politique, mais il suffit de le nier et crier qu'il y a la crise, par exemple) oblige à vendre les services publics au privé (en réduisant les services publics, la nécessité de compenser est vite là) pour laisser les entreprises prendre le relais de l'État.

Les gouvernants qui ont le plus creusé la dette de leur État sont ceux qui ont appliqué des recettes hyper libérales, Reagan est celui qui a enclenché ce processus au début des années 80. Le gouvernement actuel est passé à une vitesse supérieure, puisqu'en moins de 5 ans il a fait passer la dette de moins de 60% à 84,5% en mars 2011…

Avec pour mot d'ordre, désormais : privatiser, réduire les services publics à une peau de chagrin. Et comme conséquences, devinez quoi ? L'appel au système privé pour compenser les manques. Dominique de Villepin a cédé les autoroutes françaises pour une misère à des grands groupes en 2005. Sous prétexte de diminuer la dette. Sauf que désormais les dites entreprises d'autoroutes économisent sur le personnel (donc s'en débarrassent), augmentent en permanence les tarifs, et les sommes conséquentes générées par les autoroutes ne rentrent plus dans…les caisses de l'État. C'est à dire dans notre caisse.

La dette, un problème ? Pas du tout : un système bien orchestré pour retirer leurs biens (bien publics, financés par plusieurs générations de Français) aux citoyens. Parce que normalement, l'État c'est nous…

Pour finir : allez voir où sont aujourd'hui les grands dirigeants sociaux démocrates qui ont démantelé les services publics en Europe, comme Schrôder ou Blair. Vous verrez leur nom dans les conseils d'administration des grandes multinationales, avec à la clef, pour ces "grands défenseurs de l'Etat", des rémunérations qu'ils ne pouvaient imaginer avant leur passage au pouvoir. Elle est pas belle la vie ?

 

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