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par Stéphanie Fontaine

Covid – Où sont les doses de vaccin ?

Les hôpitaux parisiens ont frôlé la rupture

Le gouvernement a répété qu'on disposait déjà de 1,15 million de doses, sur lesquelles seules quelque 300 000 ont été utilisées. Pourtant, il arrive que certains hôpitaux, comme à Paris, soient déjà en tension en termes d'approvisionnements. En outre, de 10 millions de doses de vaccin, on n'en espèrerait plus que 4 millions à la fin février. Décryptage.

Conférence de presse

En manque déjà le week-end dernier, l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), le groupe hospitalier dit pivot en charge de fournir les doses de vaccin contre la Covid aux hostos et certains Ehpads des départements 75 (Paris) et 92 (Hauts-de-Seine), a bien cru se retrouver de nouveau en rupture, avec cette fois une vraie menace sur « les rendez-vous déjà pris », fulmine un pharmacien du groupe. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la direction a pris la décision, relayée par France Inter le jeudi 14 janvier, de réduire la vaccination des soignants pour sécuriser les doses pour les plus de 75 ans... Avant de rétropédaler.

Grâce à l’arrivée de « 5 000 doses supplémentaires d’ici le week-end », il n’y aura pas de « freinage sur la vaccination de celles et ceux qui sont dans les catégories autorisées à se faire vacciner », a rassuré Martin Hirsch, le directeur général de l'Assistance publique, quelques heures plus tard. Mais en coulisses, c'est toujours l'angoisse : « On est au courant de rien, on n'a aucune visibilité sur les livraisons, c’est le bordel partout, tout le temps, et c'est parti pour durer ! », nous explique le pharmacien. « Et là, sur ordre, parait-il, du Premier ministre, on nous a demandé de réserver les quelques doses restantes pour l’ouverture des centres vaccinaux et faire plaisir aux maires qui s’en occupent ! Mais bien sûr ça nous tombe dessus au dernier moment, et c’est la panique pour nos plannings. Je n’ose même pas penser à l’approche des secondes injections dont les premières devraient tomber autour du 22-24 janvier pour nous ».

En effet, comme tous les vaccins attendus sauf un (le Janssen qui ne devrait pas arriver avant le printemps), le Pfizer/BioNTech, le premier vaccin autorisé sur le marché, s'administre en deux fois. D'abord de 21 jours, le délai entre les deux piqures vient d'être rallongé à 42 jours, soit six semaines… alors que ce devait être six semaines « au plus tard », aux dires du Professeur Alain Fischer, le Monsieur Vaccin du gouvernement, interrogé sur BFM il y a moins de 8 jours ! Pourvu donc qu'il n 'y ait pas de retard...

Ce premier vaccin est d'autant plus complexe à manipuler qu'il doit être conservé à des températures très basses (entre -70 et -80°C), en plus de devoir être reconstitué avant utilisation. Livré en flacons, chaque fiole contient selon les recommandations cinq doses de vaccin. Mais ça aussi les autorités l'ont fait évoluer : c'est passé à six. Et une fois ouvert, le flacon doit être utilisé en six heures. Bref, non seulement les conditions de conservation et d'utilisation sont compliquées, mais elles changent aussi tout le temps.

C’est d’ailleurs ce qui se passe avec ces centres vaccinaux qui poussent un peu partout en France, à la faveur des actions des élus locaux. Fin décembre, le ministre de la Santé ne voulait même pas en entendre parler. Mais pour booster les cadences tant décriées, Olivier Véran a bien dû se résoudre à accepter ces vaccinodromes. Destinés dans un premier temps aux plus de 75 ans hors Ehpads, ils seront aussi ouverts à des personnes plus jeunes « très vulnérables », vient-on d'apprendre ce jeudi 14 janvier, lors de la conférence de presse gouvernementale qui généralise le couvre-feu à 18h sur tout le territoire. Au lieu des cinq millions précédemment annoncées, cela doit finalement représenter 6,4 millions de personnes à vacciner prioritairement.

Certains de ces centres fonctionnent déjà comme à Nancy, ouvert plus tôt par erreur de Doctolib, l'un des prestataires en charge des prises de rendez-vous. Mais la plupart seront vraiment opérationnels à partir de ce lundi 18 janvier (pour cela, le gouvernement a lancé un site Internet officiel et un numéro vert - le 0800 009 1110).

Chiffres officiels de la vaccination du 4 au 13 janvier
Chiffres officiels de la vaccination du 4 au 13 janvier

De fait, la campagne s’est quand même accélérée depuis que les hôpitaux sont entrés dans la danse, en début de semaine dernière, pour vacciner les soignants/pompiers/aides à domicile « de plus de 50 ans ou présentant des comorbidités ». Jeudi 14 janvier au soir, le compteur officiel en était ainsi à 300 000 personnes vaccinées. Et parmi elles, combien de résidents en Ehpads ?

Ils ont beau représenter officiellement le public prioritaire n°1 du gouvernement, ils n’étaient que « 30 000 _» sur un million environ à avoir reçu leur première injection, de l’aveu de la ministre déléguée chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, invitée sur Public Sénat. Et pour cause : à en croire l’ordre des pharmaciens, les livraisons les concernant n’auraient vraiment démarré que cette semaine ! Uniquement en « _Normandie, Grand-Est, PACA, Occitanie ». Pour le reste des régions, elles commenceront seulement « à être desservies à compter du 18 janvier ».

La France déjà en pénurie de vaccins ?

Comment expliquer une telle lenteur ? Des retards seraient-ils dus aux six prestataires recrutés par Santé Publique France (SPF), qui doivent s'occuper des livraisons de 75% des Ehpads du territoire ? Le contrat passé en décembre, dont Reflets a retrouvé l’avis d’attribution, s'élève à plus de 5,6 millions d’euros TTC. Selon nos informations, ils n'y seraient toutefois pour rien du tout, pour la simple et bonne raison qu'ils n'avaient jusqu'à récemment rien à livrer ! « Ces logisticiens ne peuvent pas distribuer des commandes qu’ils n’ont pas eux-mêmes réceptionnées », nous susurre un spécialiste du dossier. Pour comprendre d'ailleurs comment ces premières livraisons de vaccins s'organisent, entre ces logisticiens et les 100 groupes hospitaliers pivots sur le territoire, l'analyse publiée par TheConversation permet d'y voir bien plus clair.

Mais si ce ne sont pas ces six prestataires qui les ont, où sont passées alors ces doses que la France dit avoir déjà en stock ? Officiellement, elle en a 1,15 million - 1,1 M de Pfizer + 0,05 M de Moderna - avec seulement quelque 300 000 utilisées. Devant l’Assemblée nationale, le mardi 12 janvier, Olivier Véran a même assuré que « nous sommes ravitaillés à raison de 500 000 doses par semaine, puis ce sera un million de doses par semaine », rien que pour le vaccin Pfizer. On devrait donc en être aujourd'hui à au moins 1,6 million réceptionnées. Même en comptabilisant la deuxième injection, il reste encore de la marge ! Comment l'Assistance Publique à Paris, comme d'autres hôpitaux peuvent-ils alors déjà se retrouver en tension ?

Le gouvernement a beau revendiquer toute « la transparence » sur le sujet, ni le ministère de la Santé, ni la Direction générale de la Santé (DGS), ni Santé Publique France (SPF) n'ont répondu à nos questions, malgré nos relances. Nous n'avons pas réussi à savoir combien de doses exactement, sur le nombre officiellement livrées, avaient ainsi déjà été distribuées, région par région.

La conférence de presse de ce jeudi 14 janvier ne nous a guère rassurés. Le calendrier des doses attendues a lui aussi grandement évolué par rapport à celui donné à la précédente conférence de presse, il y a une semaine. A la fin du mois de février, « nous aurons les doses pour vacciner 2,5 millions de Français », et si certains vaccins dont la validation est attendue sont bien autorisés, « nous pourrions disposer au total de quatre millions de doses de vaccins », a indiqué Olivier Véran. Or le 7 janvier (voir notre capture d'écran ci-dessous), c'était 10 millions de doses qu'on pouvait espérer à la même période ! Et comme il faut compter deux doses par personne, à ce rythme, on n'est vraiment pas rendus.

Calendrier des livraisons de vaccins, donné le 7 janvier
Calendrier des livraisons de vaccins, donné le 7 janvier

Sûr, c'est notamment chez Pfizer que ça ralentit. Le laboratoire américain l'a annoncé ce vendredi 15 janvier, il va réduire ses livraisons en Europe « de fin janvier à début février », pour permettre « une augmentation significative des doses disponibles pour les patients à la fin février et en mars », a-t-il expliqué à France Info. Et selon nos informations, l'impact devrait se faire sentir dès la semaine prochaine, puisqu'il ne peut pas garantir les quantités initialement programmées.

Il n’y a pas que les vaccins en plus qui peuvent manquer. « Nous avons en stock 3,3 millions d’aiguilles, nous allons en recevoir deux millions supplémentaires dans les prochains jours ». De même, « 4,6 millions de seringues » sont en stock. « Nous allons aussi en recevoir dans les prochains jours », a martelé le ministre Véran devant le Parlement cette semaine, pour tordre le cou aux rumeurs de pénurie là aussi. Sauf que nous avons eu les mêmes retours que ceux déjà rapportés par certains de nos confrères.

Non seulement le nombre d'aiguilles et de seringue ne correspond pas toujours au nombre de doses livrées, mais en plus le matériel n'est pas toujours celui attendu par rapport à ce qu'il y a à faire ! Les mêmes échos ont été entendus à Besançon, Lyon, Mâcon, Paris… De deux choses l’une, nous dit l’un des observateurs interrogés, « soit le ministre ment, soit c’est à lui qu’on ment ! »

Précision : la DGS a fini par nous répondre

Alors que notre article était déjà dans les tuyaux pour publication, nous avons reçu un mail de la Direction générale de la Santé (DGS), en réponse à nos questions. « La France dispose d’environ 1,46 million doses de Pfizer », nous précise-t-elle, et de 51.600 de Moderna, que l’on peut calculer avec la répartition régionale qu'elle nous adresse également. Elle nous renvoie sinon sur Data.gouv.fr pour le reste de nos demandes... Sauf que la répartition régionale des livraisons qu'on lui réclamait n'est absolument pas renseignée sur cette plateforme ouverte des données publiques françaises ! Seul le nombre de personnes vaccinées par région l'est. Selon nos dernières infos, les hôpitaux parisiens n'auront plus de stock lundi (le 18/01), quelque 45.000 doses étant réservées aux centres vaccinaux, sans aucune visibilité sur la prochaine livraison. Il se dit aussi que Pfizer va réduire de 40% la voilure en Europe, au Royaume-Uni et en Israël sur trois à quatre semaines. Le laboratoire assure de son côté que les problèmes se limiteront à une semaine.

Voici le mail reçu de la DGS dans son intégralité :

Bonjour,

Voici des éléments pour répondre à votre demande. La France dispose d’environ 1,46 million doses de Pfizer, et chaque semaine, nous recevrons un peu plus de 500 000 doses supplémentaires jusqu’à fin février. En mars, le rythme augmentera (entre 600 et 700 000 doses par semaine) grâce à l’ouverture de nouvelles lignes de production. Concernant Moderna, le ministère de la Santé a souhaité que les doses Moderna puissent bénéficier en priorité aux régions dans lesquelles l’épidémie est la plus active - Grand Est (22.800 doses) - Bourgogne-Franche-Comté (14.400 doses) - Auvergne-Rhône-Alpes (4.800 doses) - Provence-Alpes-Côte d’Azur. (9 600 doses)

Les villes suivantes seront approvisionnées dans la semaine, et à travers eux les centres de vaccination désormais ouverts dans leurs départements et/ou région : Mulhouse, Colmar, Strasbourg, Reims, Nancy, Metz, Lons-le-Saunier, Besançon, Dijon, Moulins, Nice, Toulon. Pour l’instant, chaque soir les chiffres nationaux et territorialisés de la vaccination font l’objet d’un communiqué de presse du ministère de la santé. Les données sont mises en ligne sur data.gouv.fr et figurent déjà sur TousAntiCovid (détaillés au niveau régional).

Bien cordialement, Le Service Presse de la DGS


Rupture dans un centre de vaccination

Une personne devant se faire vacciner nous a adressé copie du SMS envoyé la veille de sa date de vaccination :

Madame, Monsieur,

Vous avez pris rendez-vous pour vous faire vacciner dans le centre de vaccination Europe de Rueil-Malmaison. Une rupture de livraison de vaccins par les autorités sanitaires nous oblige à fermer le centre ce mardi 19 janvier 2021 à 9h30. Vous serez informé par mail d'un nouveau rendez-vous qui vous sera donné, en priorité, dans les meilleurs délais. Cordialement,

Centre de vaccination anti-COVID de RUEIL-MALMAISON

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