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par bluetouff

Copyright et propriété intellectuelle : ces OGM du Net

Les actions d'Anonymous faisant suite à la fermeture coup de poing par le FBI de Megaupload soulèvent de nombreuses questions, sur des terrains divers. Sur le plan juridique, il faut bien avoir en tête que ces actions (dénis de service et intrusions) sont illégales, l'actualité est malheureusement là pour nous le rappeler à tous.

Les actions d'Anonymous faisant suite à la fermeture coup de poing par le FBI de Megaupload soulèvent de nombreuses questions, sur des terrains divers. Sur le plan juridique, il faut bien avoir en tête que ces actions (dénis de service et intrusions) sont illégales, l'actualité est malheureusement là pour nous le rappeler à tous. A ce sujet on apprend aujourd'hui que trois personnes soupçonnées d'avoir mené, sous la bannière d'Anonymous, des attaques contre EDF à la suite de la catastrophe de Fukushima ont été placées en garde à vue et sont actuellement entendues par la DCRI. Reflets.info témoigne de tout son soutien à Triskel. Nous éviterons de nous attarder, du moins dans ce présent article, sur le cas des intrusions, qui reste un mode d'action extrême et relativement marginal dans le cadre des actions d' Anonymous.

Les dénis de services, appellent à une réflexion. Réflexion dont la complexité technique a certainement rebuté le législateur qui a classé ça dans la catégorie fourretout "atteinte au système de traitement automatisé de données" (le STAD pour les intimes)... quand ce n'est pas carrément dans la catégorie terrorisme numérique.

Rassurez-vous amis juristes, l'idée n'est certainement pas de remettre le couvert avec une énième diatribe légal/pas légal, nous assumerons ici le fait qu'un déni de service est illégal... vous me direz, on a pas trop le choix, puisque c'est comme ça qu'ils sont définis dans le code pénal. Dont acte.

Au travers de l'action d'Anonymous, en dehors du débordement, d'ailleurs vivement condamné par l'immense majorité d'Anonymous, du déni de service sur le site lexpress.fr, il est facile de se reconnaitre dans la lutte contre un ennemi commun, les absolutistes du copyright. La poignée de personnes qui a répondu à ce qu'il faut aujourd'hui qualifier de maladresse de la part de Christophe Barbier sur iTélé, a fait taire, pendant 2 heures un média, s'attaquant ici à une liberté fondamentale, la liberté d'expression, cette liberté même pour laquelle Anonymous se bat. Encore une fois, pour Anonymous, il s'agit là d'un acte isolé, ultra marginal, et tout le monde trouvera son intérêt à ce qu'il le reste.

Mais nous sommes en devoir de prendre un peu de hauteur sur ces attaques par déni de service. Elles ont beau être illégales, et donc potentiellement dangereuses pour les personnes qui les mènent, elles trouvent un parallèle relativement évident avec une autre forme de lutte, celle des défricheurs de champs OGM. C'est certes moins spectaculaire et fédérateur, dans la psychose pré-présidentielles, que le délirium de l'ami Matthieu Creux qui préfère aux défricheurs d'OGM, l'image du chainon manquant entre Bin Laden, Marc Dutroux et les Illuminati pour qualifier Anonymous. Les actions des défricheurs d'OGM sont, elles aussi, illégales. Elles font pourtant sens.

Dans notre comparaison, forcément imparfaite, les OGM tout désignés sont les plus grands maux d'Internet : copyright, la propriété intellectuelle (la nuance entre les deux est certes de plus en plus subtile, mais quand même) et les brevets. Les brevets ne concernent que très peu l'immense majorité des internautes, ils sont plutôt disputés en amont entre industriels qui s'éclatent la tête à coup de millions de dollars de procédures pour faire interdire la vente des produits du concurrent. Nous allons éluder le débat des brevets logiciels, car vous l'avez senti, je commence déjà à m'énerver, et ce dernier point risquerait de me rendre une fois de plus très grossier. Nous sommes à une époque charnière où nous devons décider si la propriété intellectuelle va changer Internet, ou si Internet va changer la propriété intellectuelle. Vous connaissez mes positions là dessus, ce n'est certainement pas à Internet de s'adapter.

L'affaire Megaupload a démontré que les internautes sont attachés à l'accès à la culture. Megaupload était un moyen d'accès plus qu'imparfait, mais un moyen quand même. La méthode de cowboy utilisée par le FBI intervient après les flops à répétition de PIPA/SOPA, et peu avant la ratification d'ACTA. Hasard de calendrier ou nouvelle offensive des ayants-droit à un moment clé ? En ce qui me concerne je veux croire au hasard de calendrier... mais bon. Quand Napster a fermé, Internet ne centralisait pas autant de services qui sont maintenant au coeur de notre quotidien, professionnel ou domestique. Aujourd'hui soit dix ans après, la réponse aux offensives des ayants droit n'est plus la même. La réponse d'Anonymous ? Elle ne fait que commencer à rétablir un certain équilibre dans ce rapport de force. Gageons que d'ici quelques mois, quelques années, le chiffrement des échanges, l'anonymisation des flux sur Internet, et une attention particulière à l'exposition des données personnelles sera moteur d'Internet, celui avec un grand I, celui où les internautes sont Internet, cet espace sur lequel nulle entreprise, nul gouvernement ne pourra faire valoir son droit à la régulation abusive visant à ériger des frontières au nom de la propriété de l'immatériel. Internet indépendant, comme le décrit John Perry Barlow dans sa déclaration d'indépendance du cyberespace.

Internet est un terrain de jeu bien plus versatile qu'un champ de maïs transgénique. C'est une chance comme un handicap. C'est un handicap car le législateur cèdera plus facilement à la facilité quand ça cause d'un truc aussi abstrait pour lui qu'Internet, et c'est une chance car comme Eric Freyssinet le faisait remarquer dans en réponse à l'un de nos commentaires à son article, Les réactions à l’affaire Megaupload – DDoS etc. sur son blog, il existe surement d'autres méthodes, dans le respect de la loi (aussi imparfaite soit-elle) pour se faire entendre... mouais.

L'histoire nous montre que le gouvernement actuel souhaite bien entendre les critiques, encadrées dans un labs, une fois le verre pilé appliqué... oui je parle bien d'HADOPI.

Le problème de la méthode "je tape tout de suite et je cause après", c'est qu'on ne peut pas l'appliquer indéfiniment. On fait ça pendant un mandat, et ensuite on prend sa retraite. Et autant les français n'ont pas de mémoire, autant le Net en dispose en PétaOctets. Pensez vous que Nicolas Sarkozy, au début de son mandat, pensait qu'Internet, 5 ans après les accords du Fouquets, lui recollerait sont échec cuisant et annoncé sur une loi privatrice de libertés qu'il a fait l'erreur de ne croire que "numérique" que "virtuelle".  Les attaques par déni de service ont un autre effet que l'écho médiatique, elles rappellent aux politiques qu'Internet n'est pas que virtuel, que les internautes aussi, quand ils font entendre leur voix, avec les moyens qui sont à leur disposition, peuvent avoir le même impact qu'un syndicat sur le piquet de grève qui paralyse des moyens de production.

DDoS, sit-in numérique, peu importe comment l'on appelle ce type d'action, cela reste en terme de communication quelque chose d'efficace, de simple, auquel tout le monde peut participer sans trop de connaissances techniques. Le DDoS pour défendre Internet, sa neutralité et les libertés fondamentales... malgré tout le paradoxe et la violence d'une telle action, désolé, mais ça a quand même un certain sens. Il ne faut cependant pas perdre de vue 3 points :

  1. ceci ne doit pas empêcher les internautes de chercher d'autres moyens moins légalement risqués de se faire entendre, comme le soulignait justement Eric Freyssinet ;
  2. il me parait important de conserver une certaine éthique, une certaine déontologie dans l'acte (les dénis de services), en évitant d'utiliser des ressources informatiques frauduleusement (comme l'utilisation de botnets), au risque de faire incriminer des tiers ;
  3. les dénis de services sont des actions illégales, ce n'est donc pas du tout exempt de risque ;
  4. OCCUPY L'ASSEMBLEE NATIONALE (pendant les séances) : participez aussi à la vie publique, c'est une bonne manière de se faire entendre).
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