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par shaman

Contre l'escalade sécuritaire, Saint-Denis s'organise

Naissance d'un collectif contre les violences policières face au virage sécuritaire du maire, Mathieu Hanotin

La répression violente du mouvement social contre les retraites a refait surgir le spectre des violences policières. Une fois n'est pas coutume, le sujet a été rapidement repris sur les grandes chaines de télévision. Mais il est bon de se rappeler que ces violences existent au quotidien, moins visibles. Troisième volet de cette série sur les politiques publiques, avec les politiques sécuritaires en ligne de mire.

Le 4 février 2023, première action symbolique du collectif "Stop violences policières Saint-Denis" - © Reflets

La réunion a lieu dans la salle du Pont Commun. Devant la porte, un homme garde un œil sur les alentours, on n'est jamais trop prudent. Les journalistes patientent quelques minutes le temps que les débats touchent à leur fin. Puis la réunion bascule sur l'organisation de l'action d'aujourd'hui. Téléphones portables non conseillés, point éventuels de repli en cas de charge, présentation des observateurs et des médias... la tension monte d'un cran. Dernier café et le groupe se dirige vers le commissariat tout proche. Quelques minutes d'attentes sur le trottoir d'en face puis tout le monde traverse la rue pour se positionner devant les portes du bâtiment. Une prise de parole a lieu, puis tout le monde brandit des affichettes distribuées un peu plus tôt. Sur celles-ci, des photos, chacune faisant référence à un cas de violence policière survenu récemment. Puis le groupe décide que cela suffit et quitte les lieux sans avoir vu l'ombre d'un képi. Une action symbolique, la première du nouveau collectif « Stop violences policières Saint-Denis », en cours de création.

Le problème de violences policières en Seine-Saint-Denis n'est pas nouveau. Déjà, en mai 2019, une affaire défraie la chronique. Sur une vidéo qui émerge, la CSI 93 (« Compagnie de Sécurisation et d'Intervention ») est filmée déposant un sac de cannabis près d'un jeune avant de l'interpeller. Devant ses protestations, les coups pleuvent. Un badaud qui filmait la scène est également violenté puis embarqué, son téléphone détruit. Ils sont sauvés par la caméra d'une épicerie qui a intégralement filmée la scène. Durant le confinement, la Seine-Saint-Denis tient le haut de l'affiche : 10% des amendes distribuées en France le premier jour, assorties de vidéos de violences des forces de l'ordre. Le 29 juin 2020, six membres de la CSI 93 sont finalement interpellés. Suite à l'affaire de 2019, des investigations ont été lancées avec la mise sur écoute des vestiaires et des voitures de l'unité. L'enquête aboutit à la découverte de drogue cachée sur le parking de la compagnie et sur le lancement d'une vingtaine de procédures judiciaires. Le 2 juillet, le préfet Lallement est contraint d'en prononcer la dissolution. Mais trois mois plus tard, Médiapart révèle qu'elle a encore été utilisée pendant le couvre-feu. Quelques jours plus tard, le journal réitère et dévoile l'ampleur des violences commises dans une autre arrestation et les manœuvres pour les dissimuler. Qu'à cela ne tienne, le 21 novembre, Didier Lallement annonce que l'unité va être simplement réformée et repassée sous l'autorité de la CSI de Paris. Son ancien patron est promu à la direction de la fameuse BARV-M. Les procédures, elles, courent encore jusqu'à aujourd'hui.

Hanotin, « meilleur élève de Darmanin »

C'est dans ce contexte qu'en juillet 2020, Mathieu Hanotin, d'étiquette PS, met fin à plus de 40 ans de pouvoir communiste à Saint-Denis. Dès septembre, il tient un conseil municipal extraordinaire pour définir la politique de sécurité, axe majeur de sa campagne. Face à une municipalité précédente qui misait sur la tranquillité publique, le nouveau maire a de fortes ambitions. Est mis en place « l’évolution des équipements de la police municipale en catégorie B ». , l'utilisation d'armes létales avec pistolets semi-automatiques et LBD. La police municipale est dotée d'une nouvelle direction, d'un plan de recrutement ambitieux et d'un futur Hôtel de police rénové dans lequel elle eménagera en 2025.

Ses horaires sont étendus. Une brigade canine est recrutée et la PM se voit attribuer la possibilité de s'attaquer au trafic de stupéfiants « dans le cadre de sa mission de tranquillité », une mission sur laquelle elle « était inopérante » dans « sa précédente configuration ». Hanotin présente également à cette occasion le « vœux municipal » d'adhérer à l'expérimentation proposée par Gérald Darmanin pour étendre les pouvoirs de la police municipale. Une disposition qui s'avèrera faire partie de la loi sécurité globale et qui sera censurée par le conseil constitutionnel. Récusant être « un cow-boy », le nouveau maire préfère qualifier la politique de l'équipe précédente « d'échec complet ». Il affirme : « Le laisser-faire, l’abandon, qui existait jusqu’ici à Saint-Denis, n’ont plus lieu d’être [...] Il est cocasse de me reprocher un quelconque autoritarisme : je remets les choses dans l’ordre. ».

En mai 2021 est inauguré le nouveau CSU, « Centre de Surveillance Urbain ». Prévu comme un centre de commandement pour la police municipale, 14 opérateurs et un chef de salle y surveillent les caméras de la ville de 8h à 2h du matin. Des caméras que la mairie installe à tour de bras : de 94 fin 2019, leur nombre passe à 355 au premier semestre 2023 avec un objectif de 400 à 500 pour fin 2024. Au conseil municipal d'octobre 2022, Mathieu Hanotin se félicite des résultats de sa politique. Le nombre d'interpellations a doublé, dont 25% pour trafic en 2022, les verbalisations pour nuisances explosent. Le maire affirme songer à « optimiser » les caméras grâce à un « support d'intelligence artificielle », traduisez VSA (pour « Video Surveillance Algorithmique »), une technologie déjà testée depuis 2021 dans la commune voisine d'Aulnay-sous-Bois. Car Mathieu Hanotin ne compte pas en rester là, il regarde plus loin, vers 2024 et les jeux olympiques :

« Nous aurons besoin de plus de forces de l’ordre dans les prochains mois, c’est une évidence » « Je pense avoir été entendu par le président de la République quand il m’a reçu la semaine dernière à l’Élysée. [...] pour réussir la sécurité lors des Jeux olympiques et paralympiques, il faut le préparer dès maintenant. [...] Là, ce que nous sommes en train d’obtenir de l’État, c’est une action de traitement de fond en amont pour qu’on n’ait pas cet effet déploiement massif de force pendant les jeux qui repartiraient aussi vite après. C’est cette nouvelle approche que nous sommes en train de discuter. »

Mais si la politique de Mathieu Hanotin semble avoir les faveurs du gouvernement, l'opposition locale, elle, ne mâche pas ses mots. Face aux chiffres élogieux affichés en conseil municipal, Brahim Chikhi, passé dans l'opposition en 2021 dénonce une « opération de communication ». Il pointe la dégradation de la plupart des indicateurs de la sécurité de la commune sur le site du ministère de l'Intérieur. Sophie Rigard, élue et membre du groupe « Saint Denis à gauche», dénonce, quant à elle, le tout sécuritaire et l'absence de contrôle démocratique ; un budget opaque de 7,8 millions investis par les dionysiens, une information apprise dans la presse, « une spirale de dépense de substitution à l'état » ; un bilan flou sur les dérives : « En ne faisant pas ce bilan responsable et transparent qui exposerait clairement ces sanctions qui ont été méritées et que vous assumez, manifestement, vous ratez une chance de contribuer à restaurer la confiance entre la police et la population. Cette confiance ne se décrète pas. Elle se gagne. » Un combat qui semble bien mal engagé au vu de la situation sur le terrain.

Sophie Rigard, élue d'opposition et membre du groupe « Saint Denis à gauche », témoigne : « Il y a un énorme concurrence entre villes pour recruter des agents de police municipale car il y a une demande sans cesse croissante et pas beaucoup de candidats. Alors les candidats sont "rois" et l'armement devient un incontournable pour recruter. La ville de Saint-Denis l'a bien compris : dans la délibération pour l'armement qui était passée au conseil municipal il était carrément écrit "Depuis les attentats de 2015, il y a un engouement de la police municipale pour les armes" » - pmsd_93
Sophie Rigard, élue d'opposition et membre du groupe « Saint Denis à gauche », témoigne : « Il y a un énorme concurrence entre villes pour recruter des agents de police municipale car il y a une demande sans cesse croissante et pas beaucoup de candidats. Alors les candidats sont "rois" et l'armement devient un incontournable pour recruter. La ville de Saint-Denis l'a bien compris : dans la délibération pour l'armement qui était passée au conseil municipal il était carrément écrit "Depuis les attentats de 2015, il y a un engouement de la police municipale pour les armes" » - pmsd_93

 Sophie Rigard de continuer « Un autre effet des tensions de recrutement c'est que les villes comme Saint-Denis qui cherchent beaucoup d'agents recrutent par "grappe" c'est-à-dire un groupe d'agents déjà collègues dans une autre ville, avec toutes les potentielles connivences entre eux que cela peut impliquer. » - pmsd_93
Sophie Rigard de continuer « Un autre effet des tensions de recrutement c'est que les villes comme Saint-Denis qui cherchent beaucoup d'agents recrutent par "grappe" c'est-à-dire un groupe d'agents déjà collègues dans une autre ville, avec toutes les potentielles connivences entre eux que cela peut impliquer. » - pmsd_93

« On doit s’organiser parce que, eux, ils s’organisent. »

Alors qu'en mai 2021, Mathieu Hanotin reçoit la médaille du mérite sur le contingent du ministère de l'Intérieur, accompagné d'un tweet élogieux de Gérald Darmanin, une affaire de violences policières agite la ville. Le 14 avril, soir de Ramadan, Yanis discute avec des amis devant le Subway quand une voiture de la BAC les disperse puis les prend en chasse. Yanis s'engage sur une bretelle et rejoint l'A1. Quelques instants plus tard survient un accident. Les circonstances de celui-ci ne sont toujours pas claires aujourd'hui, la police refusant de livrer les vidéos aux familles. Après quelques semaines dans le coma, le jeune homme décède le 3 juin. Le 4, alors que la soirée funéraire organisée par la famille et ses soutiens prend fin, une voiture de police fait irruption devant le local. Sourds aux tentatives de discussions des mères de familles, les policiers provoquent puis jettent une grenade lacrymogène en direction des gens qui s'apprêtent à rentrer chez eux. La situation dérape, les LBD sont utilisés. Les vidéos témoigneront de la violence de l'évènement, une femme enceinte finira à l'hôpital. Une plainte collective est déposée. Quelques mois plus tard, en février 2022, c'est une autre affaire et d'autres vidéos qui dévoilent la brutalité policière. Cette fois, ce sont les supporters du Sénégal célébrant la victoire de leur équipe qui en font les frais. Charges sans sommations, grenade lacrymogène précédé d'un « Messieurs, cadeau ! », utilisation des chiens policiers. Une petite fille de 8 ans finit à l'hôpital avec une mauvaise fracture qui lui laissera des séquelles. Des évènements qui percent pour une fois le plafond de verre médiatique et qui laissent imaginer l'atmosphère sécuritaire au quotidien.

En septembre 2020, à l'appel des associations et des partis d'opposition, un rassemblement a lieu sur le parvis de l'Hôtel de ville, à Saint-Denis, pour dénoncer le tournant sécuritaire de Mathieu Hanotin. L'idée de s'assembler en collectif est lancée, mais les choses en restent là. Une première marche blanche pour Yanis a lieu en novembre 2021. En janvier 2022, le frère de Yanis et un autre jeune, interpellés lors de la soirée funéraire pour incitation à l’émeute, outrage et rébellion, violences contre personnes dépositaires de l’autorité publique, sont finalement relaxés fautes de preuves. La deuxième marche blanche de novembre 2022 est l'occasion d'annoncer la création d'un collectif contre les violences policières en Seine-Saint-Denis. Mame Doume, membre de celui-ci déclarera à l'occasion : « On doit s’organiser pour qu’ils comprennent qu’ils sont sous surveillance et que leurs pratiques ne seront pas sans conséquences. On doit s’organiser pour faire en sorte que leurs violences ne soient pas impunies. On doit s’organiser parce que, eux, ils s’organisent. On doit s’organiser parce que nous ne pouvons compter que sur nous même quand eux ont les institutions pour les protéger. »

Sont présents au rassemblement des étudiants de l'EHSS qui ont subis l'expulsion violente de l'occupation du Campus Condorcet le 23 janvier.   - Reflets
Sont présents au rassemblement des étudiants de l'EHSS qui ont subis l'expulsion violente de l'occupation du Campus Condorcet le 23 janvier. - Reflets

En mai 2022, des agents de la police municipale sont observés prenant part au fiasco du maintien de l'ordre au stade de France en marge de la finale de la Champions League.
En mai 2022, des agents de la police municipale sont observés prenant part au fiasco du maintien de l'ordre au stade de France en marge de la finale de la Champions League.

Sophie Rigard : "Moi j'ai déjà eu des échos comme quoi la police nationale s'interroge  sur les manières de procéder, d'intervention de la police municipale". Le 6 juin 2022, deux agents de la police municipale, intervenant dans le cadre de leur nouvelle mission contre la drogue sont agressés à un point de deal de la cité Péri.  - Reflets
Sophie Rigard : "Moi j'ai déjà eu des échos comme quoi la police nationale s'interroge sur les manières de procéder, d'intervention de la police municipale". Le 6 juin 2022, deux agents de la police municipale, intervenant dans le cadre de leur nouvelle mission contre la drogue sont agressés à un point de deal de la cité Péri. - Reflets

Alors que le collectif vient à peine d'acter sa naissance par cette première action symbolique devant le commissariat du 93 en janvier, puis par la participation à la marche des solidarités en mars, l'actualité liée aux violences policières vient de nous rappeler cruellement sa nécessité. Le 13 avril 2023, une voiture de police prenait à nouveau en chasse un scooter sur lequel se trouvait trois enfants de 13, 14 et 17 ans. Les témoins racontent avoir vu la police « faire une embardée » pour « faire tomber le scooter ». Arié Alimi, avocat des familles, affirme qu'un « cap a été franchi dans le degré et l'intensité de la violence ». Il annonce aussi un dépôt de plaintes pour « menaces » sur témoins et intimidation visant à empêcher l'enquête de se faire. L'histoire se répète et certains sont décidés à l'en empêcher.

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