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par Antoine Champagne - kitetoa

Conseil de déontologie journalistique

Pourquoi #LaPresse se tire une balle dans le pied

Mais qu'allaient-ils faire dans cette galère, les journaux indépendants, les pigistes, syndicalistes et autres précaires de ce beau métier qu'est le journalisme ? En participant à la création de ce "machin", ils se sabordent...

Pétition pour un conseil de déontologie de la presse initiée par Jean-Luc Melenchon - Copie d'écran

C'est le 2 décembre que le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) verra le jour. Mis en place par des organisations syndicales, des représentants des médias et des membres du public, cet « organe professionnel d’autorégulation, indépendant de l’Etat » aura, selon ses initiateurs, pour vocation d’être une « instance de médiation et d’arbitrage entre les médias, les rédactions et leurs publics », et constituera en outre un espace « de réflexion et de concertation pour les professionnels et de pédagogie envers les publics », par exemple en matière de lutte contre les fausses informations. Il aura une gouvernance tripartite à travers un conseil d'administration composé de 3 collèges de 10 sièges (public, journalistes, éditeurs).

Le CDJM pourra être saisi par le public ou s’auto-saisir de cas problématiques, mais ne pourra pas prononcer de sanction et se contentera d’émettre des avis. Les saisines pourront être instruites quand elles porteront sur un « acte journalistique », quel que soit le média concerné, qu’il soit membre ou non du CDJM.

Voilà pour le communiqué de presse triomphant et gonflé d'espoirs. Espoirs, car les initiateurs, avec ce truc, espèrent renouer la confiance qui doit présider entre public et secteur de la presse. Rien n'est moins sûr.

Ce Conseil, qui sera une association sans autre autorité que celle que lui confèreront ses membres, ne pourra pas régler ce problème de perte de confiance qui naît de mille problématiques hors de sa portée : le traitement de l'information, le poids des actionnaires (souvent des industriels), la place (énorme) de la publicité dans le business model de la presse, la formation des journalistes (pas toujours heureuse), le milieu social dont ils sont issus (souvent le même), pour n'en citer que quelques uns.

Mais surtout, à qui servira ce machin ? A ceux qui souhaitent le plus la disparition de la presse indépendante. Explications... Ce Conseil de déontologie journalistique pourra distribuer tous les mauvais points qu'il souhaite aux mastodontes de la presse, détenus dans leur immense majorité par quelques milliardaires, cela ne représentera même pas une piqure de moustique sur un éléphant. En revanche, il y a fort à parier que le Conseil sera saisi à la moindre occasion par ceux qui seront au centre des enquêtes de la presse indépendante. Les extrémistes qui ne veulent pas qu'on les désigne comme tels, les corrupteurs, les corrompus, les lobbies, les serviteurs de l'Etat qui finissent par pantoufler dans le privé à grand renfort de conflits d'intérêts... On en passe. Tous s'empresseront de saisir le Conseil lorsqu'ils seront mis en cause. Et la presse indépendante s'épuisera à se défendre de faire correctement son métier. Comme si les procès baillons ne suffisaient pas...

Les organisations représentantes des médias qui ont participé, "pour faire entendre leur voix", ou toute autre fausse bonne raison, aux discussions qui ont présidé à la naissance de ce que le Canard Enchaîné dans un édito du 6 février 2019 qualifiait de bouffonnerie, seront comptables de ce tir de pistolet dans nos pieds.

Comme le faisait remarquer le Canard, la loi de « 1881 assure tant bien que mal le nécessaire équilibre entre la liberté de la presse et la protection des personnes. Sous la responsabilité des juges, chargés d’appliquer la loi. Rien que la loi ». Nul besoin d'un machin en marge de la justice.

Quant à la lutte contre les "infox", il faudrait peut-être commencer par créer un Conseil de déontologie des hommes et femmes politiques afin de limiter les entreprises de déstabilisation, d'astroturfing et de propagande, mises en place en permanence par les politiques ?

Enfin, le seul point qui n'est pas abordé dans le communiqué de presse dont on retrouve des bouts copiés/collés dans tous les articles parlant de ce Conseil, concerne son financement. Qui va financer ce machin et dans quelles proportions ? Un sujet d'enquête pour journalistes déontologiquement propres ?

Update du 27 novembre 2019 : On nous glisse dans l'oreillette que le mode de financement du Conseil est connu et défini dans le projet de statuts de l'association. tel que présenté dans le projet de Statuts : Ressources - Les ressources de l'association comprennent : Le montant des cotisations dont le montant est fixé par l’assemblée générale annuelle. Les subventions de l’Union Européenne, de l'État, des régions, des départements et des communes, à condition que ces institutions s’engagent à respecter l’indépendance du CDJM. Toutes les autres ressources autorisées par les lois et règlements en vigueur (vente de produits et de services), à condition qu'elles respectent les garanties d'indépendance et restent en cohérence avec les valeurs du CDJM. - Les financements publics ne peuvent dépasser la moitié du budget annuel de l'association, excepté au moment de sa création et pour une durée maximale de trois ans.

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