Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Confierait-on la supervision d'une thèse de médecine à un boulanger ?

Dans le numérique, tout est possible

Mais où vont-ils chercher tout ça ? La rafale d'inepties débitées dans la foulée du zizigate laisse rêveur. C'est donc à ces ignares en technologies que l'on confie la préparation de l'avenir technologique du pays ou de l'Europe. Il y a de quoi avoir peur.

Le monde est une start-up

Consolons-nous, ce n'est pas nouveau. Les politiques sont rarement des spécialistes du sujet concernant le poste auquel ils sont élus. Et en matière de numérique, la liste des plantages des politiques au fil des ans est quasiment infinie. La BPI qui finance Amesys et Qosmos, le Minitel que France Telecom voulait protéger en empêchant Internet de se déployer en France, le Bibop lancé en même temps que les GSM...L'inventivité de nos politiques et de nos grands patrons dans le secteur du numérique est sidérantes. Mais on comprend mieux ces erreurs stratégiques lorsqu'on ausculte leur analyse d'un problème touchant de près ou de très loin à Internet. Le zizigate en est une illustration frappante.

Le point le plus atterrant est sans doute l'attaque en règle et en meute contre "l'anonymat" qui permettrait toutes les horreurs.

Il faut « réguler les torrents de boue qui se déversent sur les réseaux sociaux », a expliqué pépère le président LR du Sénat, Gérard Larcher. Pour le député LREM du Rhône Bruno Bonnell, il faut lutter contre les « déviances que l’anonymat cautionne, comme la calomnie ou la diffamation ». « On doit aller vers une levée progressive de toute forme d’anonymat », avait pour sa part expliqué Emmanuel Macron en 2019.

Passons sur le mélange des genres entre anonymat et pseudonymat... Si l'on reprend l'histoire du piratage informatique depuis l'arrivée du Net, on se rend vite compte, sans même avoir de notions techniques que même ceux qui semblent maîtriser la technologie ne restent pas anonymes bien longtemps lorsqu'une enquête un peu touffue est déclenchée.

C'est un peu le même principe que la surveillance de masse qui plaît tant aux politiques. Pourtant pas compliqué à comprendre, donc. S'ils appréhendent très vite le concept de traces informatiques multiples, pour toute action informatique, d'un clic à un mail envoyé en passant par un tweet liké, il devraient comprendre que toute publication sur ce réseau, quelle que soit la forme qu'elle prend, laisse une infinité de traces. C'est un peu comme le Petit Poucet, il est dès lors assez simple pour des enquêteurs de remontrer les petits cailloux. L'anonymat n'existe que dans des cas très particuliers qui ne sont pas à la porté des internautes de base. Pirater une dizaine de machines, quelques VPN, effacer ses traces (toutes) derrière soi, utiliser des machines qui n'ont jamais eu de "vie" avant l'action envisagée, ne plus jamais l'utiliser après et même la détruire... Tout cela est un peu au delà des possibilités de l'internaute lambda.

Dans le cas du zizigate, évidemment, rien de tout cela. On sait qui a filmé, on sait qui a envoyé le film à qui. On sait qui a donné le film à celui qui l'a diffusé. On sait sur quel site et donc auprès de quel hébergeur aller chercher des traces, chez quel registrar aller à la pêche. Tout est public et aucun pseudonyme n'est utilisé.

Pour ce qui est du pseudonymat, on se demande tout de même quelle mouche peut piquer les politiques. Ne savent-ils pas que le pseudonymat est une pratique répandue dans le cinéma, la musique, le journalisme, la littérature... et même dans le milieu politique, depuis des siècles...? Si, bien sûr, ils le savent mais font mine de ne pas savoir.

Dans le même temps, nous confions, un peu forcés il faut bien le dire, l'avenir technologique du pays, du monde, à ces ignares informatiques. A des gens qui imaginent une finalité à Internet totalement illusoire et destructrice.

Thierry Breton qui s'y connaît en valorisation de la donnée personnelle, voit par exemple un avenir radieux :

Monétisons, monétisons... - Copie d'écran Twitter
Monétisons, monétisons... - Copie d'écran Twitter

En lisant entre les lignes, on aperçoit cette volonté, classique chez nos dirigeants, de monétiser les données. Cela laisse songeur à propos de l'avenir du RGPD.

A défaut de pouvoir continuer à siphonner les données des particuliers, sans doute à cause du fameux RGPD qui prendra du temps à démanteler bouts par bouts, l'Europe, comme Atos, dont Thierry Breton était encore le patron il y a peu, lorgne sur les données "industrielles".

Miam-miam, la donnée industrielle... - Copie d'écran Twitter
Miam-miam, la donnée industrielle... - Copie d'écran Twitter

"Nous entrons dans une nouvelle phase, celle de l’avènement massif des données industrielles. La guerre des données industrielles commence maintenant et le principale champ de bataille sera en Europe", a déclaré Thierry Breton à Reuters.

Résumer Internet à un champ de bataille où il faut s'approprier des données, c'est une forme particulière de "vista".

Il n'est bien sûr pas seul dans cette forme d'approche. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen prône explicitement l’exploitation des données "qui ne sont pas concernées par la protection [personnelle]", qu’elle considère comme "une mine d’or encore inexploitée dans l’économie agile des données du futur", rappelle Usbek & Rica dans un long papier sur les projets européens dans le domaine de l'IA et de la donnée.

Et puis il y a aussi les déclarations martiales. Nous sommes les meilleurs et nous n'avons pas besoin du méchant chinois Huawei pour faire de la 5G, on évitera le piratage. Pas besoin du méchant Cisco non plus qui espionne pour le compte de la NSA. Non, on va faire nous-mêmes.

Là encore, c'est soit une méconnaissance crasse de l'état des réseaux de télécommunications européens, soit de la communication à 2 cents d'euros pour se faire mousser. A ce propos, on recommande à Thierry Breton de lire avec attention cet article : "5G: The outsourced elephant in the room".

L'esprit start-up a tué les Internets à base de déclarations marketing creuses...

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