Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Eric Bouliere

Cluster à l'hôpital : et si le rempart tombait?

À la Rochelle : de la peur, de la colère, de l'indignation, du syndicalisme, et des soignants…

Quelques chiffres: 350 cas en cinq mois, 159 durant le mois de janvier et 13 sur les trois premiers jours de février. Vous êtes en Nouvelle-Aquitaine, à l'hôpital Saint-Louis de La Rochelle. Il ne s'agit pas du décompte des patients, mais du nombre de soignants déclarés positifs au covid.

Quand l'inquiétude gagne les rangs des hospitaliers... - © Reflets

Sur une allocution de près d'une heure trente, dix huit minutes auront suffi pour que l'hommage leur soit à nouveau rendu. Le premier ministre Jean Castex a donc jugé utile de nous rappeler leur rôle, d'en souligner l'importance: « et bien sûr nos soignants, auxquels nous devons une attention particulière, parce qu'ils sont plus que les autres exposés au risque, et que nous avons plus que jamais besoin d'eux pour assurer la prise en charge des malades»

Bien sûr nos soignants, c'est d'eux dont il s'agit depuis près d'un an. Ceux que nous avons applaudi quand la mode était aux balcons, ceux que l'on félicite encore face caméra, ceux qui nous tiennent la main quand vraiment ça craint, mais ceux qui dérangent aussi, comme aujourd'hui dans la cour de l'hôpital rochelais. Ceux-là n'avaient ni le vaccin salutaire, ni le discours policé ; ils avaient le verbe anxiogène, la rage à la blouse et la colère en banderole.

L'honnête homme pouvait se laisser surprendre car en principe c'est gentil et bien élevé un infirmier en temps de crise. Pourquoi ces soignants-là, ouvertement syndiqués, voire trop syndiqués selon les avis, en viennent-ils aujourd'hui à vociférer de la sorte? Cette manifestation de mauvaise humeur pouvait s'écouter d'une oreille inattentive, car après tout, elle n'était qu'une parmi d'autres. Car oui, l'irritabilité du personnel médical ne date pas d'hier. Déjà en juillet 2019, Mme Buzyn, alors ministre de la Santé, s'était elle-même fait chahuter dans les couloirs de ce même hôpital. Déjà bien avant la crise du Covid, les hospitaliers de Saint-Louis manifestaient violemment leur malaise. Mais malgré cela, et tout comme vous M. Castex, j'ai préféré leur prêter une attention particulière parce que nous avons plus que jamais besoin d'eux.

Alors j'ai rencontré les uns ici, militants encartés Sud Santé 17, et les autres là-bas, adhérents CGT Hospitaliers La Rochelle-Ré-Aunis, eux occupés à battre le pavé dans les ruelles de la ville.

Des soignants CGTistes en marge de la manifestation nationale...
Des soignants CGTistes en marge de la manifestation nationale...

En tout et pour tout, j'ai ainsi recueilli la parole de dix témoins, tous travaillant et exerçant dans différents services du groupe hospitalier. Pas de quoi en faire un sondage national mais tout de même, ces dix-là étaient porteurs d'un élan commun. Et afin d'obtenir un panoramique plus large sur la situation du jour, j'ai demandé s'il était possible d'avoir une entrevue avec la direction. L'entretien fut cordialement accordé dans l'heure par Pierre Thépot, le directeur général du groupe Littoral Atlantique. Une entité médicale du Sud-ouest qui regroupe les principales filières de la santé et compte environ 6.000 personnes dans ses murs. Un rempart anti-covid dans cet avenir incertain.

Du personnel sous tension, un hôpital sous contrainte et un directeur sous pression : il suffisait d'une étincelle pour mettre le feu aux poudres. Patatraboum!

Cette affichette placardée dans les couloirs de l'hôpital est singulièrement venue allumer la mèche: « durant les pauses, le risque de transmission de la Covid-19 est plus important, le virus ne fait pas de pause, respectez les gestes barrières à tout moment ». Si tant est que l'époque soit aux consignes sanitaires, ce message à valeur pédagogique ne s'est embarrassé d'aucune hauteur diplomatique. La suite était écrite, elle ne sera que colère, invectives et indignation.

Le secret du virus: la pause clope!
Le secret du virus: la pause clope!

Vu de l'extérieur, cette guerre des boutons des blouses blanches pouvait sembler futile, quitte à devenir agaçante et apparaître comme irrespectueuse aux yeux de certains visiteurs rendant visite à leurs proches. L'un deux m'exprimera son refus de voir ou d'écouter « ce genre de b….l de militantisme de gauche, dans la situation dans laquelle on se trouve c'est tragi-comique… ». De leur coté, ces mêmes soignants de gauche (qui, allez savoir, se sont peut-être occupés du proche en question de la main droite) m'indiqueront que la situation n'était ni tragique, ni comique, mais que leur quotidien devenait seulement inadmissible et insupportable. Une insolente diatribe militante qui se conclura pourtant des mêmes mots: « c'est intolérable dans la situation dans laquelle on se trouve... ».

La colère vient souvent au front des soignants lors des réunions de cellule de crise: « 19 patients Covid+ en unité de médecine sur une capacité de 24 lits, 25 patients Covid+ en MP3 sur une capacité de 30 lits, 18 patients Covid+ en MOG sur 21 patients ». Ils s'impatientent d'autant plus lorsqu'il s'agit de mener une « Réflexion sur la mise en place d’un circuit Covid et d’un autre circuit non Covid aux Urgences ».

Face à cette réalité de terrain, la pilule passe donc très mal alors que le joyeux slogan -le tabac t'abat- fera l'effet d'un cataplasme de feu sur une jambe de bois. Le remède aura mis à genoux des infirmiers très fatigués, très positifs, très symptomatiques, trop fumeurs et trop bruyants. Une question pourtant: et si ces malencontreuses inclinaisons et autres suspectes dépendances venaient réellement à masquer des vecteurs de contamination moins visibles et plus complexes…

Une chose semble évidente, soignants versus direction, personne ne sortira vainqueur d'un combat arbitré par le covid. Mais une fois posé ce confortable truisme, rien n'empêche de se rapprocher du ring pour juger de la rudesse des coups portés. Voici donc nos questions émaillées des réponses de Pierre Thépot et accompagnées du ressentiment de ces soignants-manifestants. La consigne fut la même pour tous : les conversations seront enregistrées et ce qui est prononcé un jour le sera pour toujours. Face à la brutalité des images, on peut espérer que la parole puisse en apaiser le sens, même si parfois elle emprunte de drôles de sens. Retranscrire stricto sensu une bande audio à ceci d'utile et d'étonnant de parfois mettre à nu la portée d'un discours. Et quelle que soit la profondeur du frigo, il est toujours préférable de laisser refroidir une info trop chaude pour éviter le choc thermique.

Pierre Thépot, un directeur sous la pleine lumière d'un sombre Covid
Pierre Thépot, un directeur sous la pleine lumière d'un sombre Covid

Reflets : Avez-vous entendu la colère de certains soignants à propos de la pause cigarette et de la transmission du virus?

P. Thépot: « Bien sûr mais j'ai aussi entendu des agents dans les équipes qui m'ont dit: vous avez raison! Moi je ne généralise pas, je parle de ce que j'ai vu, on parle beaucoup des pauses clopes, mais interrogeons déjà ceux qui ne fument pas, ce qu'ils en pensent, dans la vraie vie, d'accord, pendant que la personne va fumer qui c'est qui se tape le boulot? Et quand on voit, moi j'ai vu de la façon dont cela se passait, excusez-moi, mais ils étaient quinze là, devant les urgences, etc… le masque… Voilà, moi je ne généralise pas, je dis ça, c'est ce que j'ai vu, ce n'est pas la peine de transformer ce que j'ai dit. Oui, on avait un vrai sujet dans les salles de pause où c'était d'ailleurs pas… c'était un peu en fonction de ce qu'on voulait, il y avait des services où c'était super bien organisé, je pense qu'il y a eu une prise de conscience, après c'est multifactoriel, mais moi je pense, interrogez dans les services, tout le monde pense qu'il y a pu y avoir par moment quelques habitudes, parce qu'on se croyait peut être un peu protégé, on n'y faisait plus attention. Moi je n'ai jamais employé le terme de faute, jamais, j'étais instit, je n'ai jamais parlé de fautes d'orthographes, je parlais d'erreur, d'ailleurs ici on parle de la chambre des erreurs, c'est la vie ça ».

L'avis des syndicats à propos des multiples sources de contamination

On peut bien sûr se contaminer à l'extérieur, mais s'il y a un cluster à hôpital, ça prouve bien que c'est ici qu'on se contamine, et on se contamine parce que l'on va au lit des gens, et lorsqu'ils dorment ils n'ont pas leur masque, et dans certains services il est impossible de leur faire porter le masque. C'est pour ça qu'on prône le principe de précaution, chose que refuse l'hôpital, on sait qu'il va y avoir des contaminations à hôpital parce que c'est inhérent à notre métier. Avant de vacciner les personne âgées, il aurait déjà fallu commencer par vacciner les soignants qui le souhaitaient…

Il faudrait arrêter d'engueuler les collègues parce qu'ils propagent le virus. Clairement, c'est là qu'on a la nausée, nous. C'est d'une violence et d'une perversion que de dire ça, on est en sous-effectif, on n'a pas de matériel, on n'est pas protégés, on n'est pas testés, on n'a pas de vaccins, mais on ose dire que c'est quand on prend nos pauses ? Alors que déjà il faudrait en avoir des pauses… et on est tous des soignants, on n'a pas envie de contaminer notre famille, donc on fait gaffe, mais là franchement, je vous promets que c'est d'une violence pour les hospitaliers. On peut avoir une idéologie de droite, de gauche, être pour la privation, mais à un moment donné quand même…

• _Les préconisations nationales sont des mesures globales qui ne peuvent pas toujours s'appliquer dans des services où les patients peuvent déambuler librement. Certains ne sont pas en capacité de garder un masque ou de respecter les distances. Ce qui peut fonctionner en médecine généraliste ne fonctionne pas toujours en psychiatrie. C'est un véritable problème. _

Nous sommes à La Rochelle, c'est une zone qui n'est pratiquement pas infectée par le covid, le cluster il est à l'hôpital. Et pas parce que les gens boivent le café entre eux, le cluster il est à l'hôpital parce que nous ne sommes pas assez nombreux, parce qu'on nous fait passer dans tous les services, parce que pas assez de tenues pour se changer, parce que des masques pas étanches...

Toutes les conditions sont-elles réunies pour éviter que le personnel ne se contamine en interne ?

P. Thépot: « Dans l'ensemble des hôpitaux lorsque vous voyez le taux d'infection nosocomiales, ça veut dire qu'à chaque fois c'est un sujet d'amélioration, on ne peut pas dire qu'on est super bon, il y a des aspects de locaux, des aspects de moyens, et il y a surtout la crise, qui dure, qui dure, qui dure, qui dure. Donc le fait de pouvoir dire un moment, il faut qu'on continue à s'améliorer, moi je pense que c'est… aujourd'hui le sentiment que j'ai, notre richesse c'est l'engament des agents, très engagés, ils sont très fatigués, moi le pari que j'ai fait là, c'est de dire on maintient les congés, franchement j'ai eu beaucoup de pression pour les supprimer, de toute façon si on ne les maintient pas, les gens vont craquer, donc il faut maintenir les congés, il faut que les gens arrivent à se reposer. Que faire de plus? Moi ce que je voudrais surtout, c'est qu'on ait une clarté scientifique, ce qui nous manque aujourd'hui, par moment, c'est que pour travailler dans le bons sens, il faut garder le sens, et je pense quand même que depuis un an, il y a des moments où on a perdu un peu le sens, sincèrement je vous le dis, donc après on peut me dire c'est la voix de son maître, etc., moi j'ai l'habitude de gérer les injonctions paradoxales et je me suis parfois écarté des consignes nationales parce qu'elles me semblaient pas lisibles et pas compréhensibles, donc il faut à chaque fois rendre les choses lisibles et compréhensibles. Ce qui est difficile, c'est que derrière, il faut beaucoup, beaucoup, beaucoup communiquer, beaucoup expliquer et du coup aller sur le terrain pour comprendre, parce qu'en fait dans la vraie vie, c'est pour ça que j'aime bien aller dans les services, dans la vraie vie il y a les soignants, et puis parce que j'ai des copains qui sont aides-soignants, infirmiers, je vois à l'extérieur etc., ils me disent, non mais regarde là ce qu'on nous dit de faire etc., c'est ça, et par moment il ne faut pas être dans sa tour d'ivoire, il faut comprendre que c'est complexe, tout est vraiment complexe, et surtout il faut être vachement bon sur, voyez par exemple, l'autre jour à Saint-Martin il n'y avait plus assez de blouses, ils avaient une dotation, la dotation habituelle, sauf que quand vous avez 15 patients qui sont Covid et bien la dotation habituelle… Donc il faut tout de suite, heureusement c'est pour ça que moi je suis en direct, tu me téléphones, tu me dis, voilà ça va être géré tout de suite, mais j'ai du pousser des coups de gueule… »

Ce qui est possible dehors ne l'est pas toujours dedans. A droite, un vestiaire pour deux
Ce qui est possible dehors ne l'est pas toujours dedans. A droite, un vestiaire pour deux

L'avis des syndicats à propos des risques de contamination

Nous on se change dans un vestiaire où le nombre de personnes est surévalué par rapport à la capacité normale. C'est-à-dire 40 personnes par vestiaire, nous on est 80. Normalement dans les casiers hospitaliers il y a un coté propre et un coté sale, tu mets ta blouse dans un coté et tu prends tes fringues propres de l'autre. Nous on n'a pas ça, tu arrives avec ta blouse sale et tu la mets avec tes fringues propres. Dans les vestiaires, on n'a pas de boîtes de masques, on n'a pas de gel hydroalcoolique, pour éviter le vol nous dit-on, on en est là. On est obligé de les descendre des services et de traverser tout l'hôpital avec le matériel.

Concernant les blouses, l'hôpital ne souffre t-il pas d'un manque matériel?

P. Thépot : « Attendez sur les blouses il y a une vraie pénurie nationale, il y a eu, une vraie pénurie, alors je ne sais plus lesquelles, mais les sur-blouses une vraie-vraie pénurie… Là on a une direction des achats qui est très vigilante, là je pense qu'au niveau stock, on a, et puis c'est un hôpital qui a quand même des moyens, mais quand vous avez, il y a des hôpitaux qui sont en cessation de paiement en France, moi j'ai été Outre-mer, quand vous avez les fournisseurs qui vous disent, je ne fournis pas, vous me payez d'abord, çà c'était le cas ou j'étais avant, on a pas ce problème là quand même, une bonne signature donc, mais, non je pense qu'il y a, ce qui nous…vraiment ce qu'il nous faut je pense c'est... moi vous savez j'aime bien la bande dessinée Belge, la ligne claire vous voyez, et si les choses sont claires, après on peut comprendre, les gens qui sont intelligents peuvent comprendre qu'à un moment donné on a un problème de stock, on adapte, on s'adapte, là moi j'ai un problème de personnel, je peux pas… il faut qu'on trouve des solutions à chaque fois, et qu'on gère sur nos lits... »

L'avis des syndicats à propos des blouses

Dans le protocole il y a un nombre de blouses que l'on devrait changer tous les jours, mais matériellement les moyens n'y sont pas. On n'a pas le nombre suffisant et après on mélange le propre et le sale dans des vestiaires trop étroits

Qu'en est-il de votre position sur les masques de protection FFP2 de type KN 95 ?

P. Thépot : « Ah c'est ce fameux masque… j'en pense rien, franchement j'en pense rien, oui nous avons, ils sont homologués, on me dit qu'ils sont moins, qu'ils collent moins, alors vous savez sur les masques, il faut se méfier des fausse bonnes idées, je prend l'exemple du fameux masque FFP2, il colle bien, mais du coup c'est compliqué, du coup vous pouvez le retirer, les gens le retirent, il peut y avoir des erreurs, il faut se méfier, alors le fameux masque en question il est autorisé alors je pense qu'on le diffuse, [NDLR: ont-ils la norme CE ?] Je n'en sais strictement rien et le marquage CE n'a jamais été un gage de qualité, ce qui compte c'est que nous on puisse certifier notre circuit d'approvisionnement, qui nous les a produit, d'où ils ont été produits et est-ce qu'ils sont homologués ? Tout ce que je peux dire sur cette affaire de masque, tout le monde y compris les scientifiques, ont dit tout et son contraire, donc c'est pour ça que moi, j'aime bien les choses simples, c'est à dire qu'effectivement la distanciation sociale, le lavage des mains, les mesures barrières, et vous voyez sur les masques, moi j'ai compris que les masques FFP2 était quand même plus protecteurs, ça je l'ai compris, par contre, j'ai bien vu qu'ici dans les unités dites Covid, c'est le masque que l'on utilise et qui parfois est changé moult fois, ce que j'ai quand même voulu, et indiqué et écrit, parce que je veux que les choses soient bien claires, j'ai quand même, dès il y a 15 jours, j'entends notre cellule de crise indiqué que l'on doit mettre des masques dans les unités Covid, donc qu'est-ce qu'on fait lorsque l'on a des unités où on a des patients Covid et des patients non Covid ? Comment est ce qu'on organise les choses ? Faut-il que moi je prévois plus d'approvisionnement de masques FFP2 pour qu'on ne soit pas en rupture de stock ? Parce que c'est ce qu'on a fait, j'ai pas attendu qu'on me dise oui, non, il faut, parce qu'on commence à entendre parler de problématique de stock, avec une troisième vague, ça va partir dans tous les sens, donc voilà, moi je respecte les règles qui nous sont données mais on essaie d'y appliquer du bon sens par rapport à nos organisations, voyez les contraintes ne sont pas les mêmes, par exemple, les règles ne sont pas les mêmes si on a des chambres doubles ou des chambres simples. Le gros problème qu'on a aujourd'hui à La Rochelle, c'est les chambres doubles. Pourquoi? Vous avez un patient qui arrive, je tousse, j'ai de la fièvre, on vous fait un test, vous attendez les résultats, 4/5/6 heures, dans le meilleur des cas, pendant ce temps-là qu'est-ce que vous faites ? Soit, et c'est d'ailleurs le motif du DGI qui a été déclenché par FO, soit on vous met dans une unité un peu tampon en attendant d'avoir le résultat, sauf que quand vous êtes 6/7/8 il y a un moment où il y a un problème, et du coup on va vous faire monter dans les étages, soit vous êtes suffisamment symptomatique pour qu'on vous mette… dans le doute on vous met dans une chambre seul quand il y en a, et pas dans une chambre où il y a quelqu'un qui a le Covid, parce qu'à la limite il peut vous contaminer, et on peut pas vous mettre non plus dans une chambre ou il y a quelqu'un qui n'a pas le Covid parce que vous pouvez le contaminer… »

Des masques KN95 à la sulfureuse réputation dans le milieu médical
Des masques KN95 à la sulfureuse réputation dans le milieu médical

L'avis des syndicats à propos des masques

On en a parlé trois fois lors des réunions de CHSCT, la direction a certifié que selon l'Inrs ils sont homologués par équivalence, par contre nous avons des collègues de Brest qui ont eu plusieurs cluster avec ces masques--là, ils sont en train de faire remonter ça avec le national pour une enquête interne. Mais nous on en a dans tous les services.

Les masques on a les nôtres. Nous sommes allés à la pharmacie comme des bons citoyens acheter nos masques pour pouvoir être protégés. Étant donné que les masque FFP2 qui sont censés protéger et la personne en face et la personne qui le porte, et bien nous, nous ne les avons pas. Nous avons des modèles chinois sur lesquels il y a une polémique qui est en train d'évoluer dans le monde, et qui doivent être utilisés comme des masques chirurgicaux, c'est écrit sur la boite, mais ils sont utilisés comme des FFP2.

Il y a eu une note de service pour dire aux gens de les essayer, et de voir s'ils sont étanches. Si quelqu'un est contaminé ce sera de sa faute parce qu'il n'aura pas testé le masque…? Il y avait même eu une note service qui disait qu'ils ne seraient pas distribués; et c'est pour ça qu'ils nous disent maintenant qu'il y a deux sortes de masques et qu'on nous demande de choisir entre les deux. La direction cherche à se prémunir contre une attaque juridique, et l'ARS pareil, donc elle applique les préconisations de l'ARS et c'est tout.

Alors on a levé le doute en CHSCT, parce qu'effectivement sur les boîtes, les masques –dits- chirurgicaux chinois ne permettaient pas la sécurité hospitalière. Or il y avait une erreur de langage dans la traduction du chinois au français, ce qui fait que ces masques on été analysés en laboratoire, et en fait ils sont aussi efficaces que les autres. Mais je ne saurais pas vous dire quel laboratoire…

Selon vous l'hôpital et la santé en général manquent-ils de moyens face à cette pandémie mondiale?

P. Thépot : « L'hôpital ne peut être le réceptacle de toutes les difficultés de la santé dans ce pays, et d'ailleurs qu'est ce qui fait qu'on arrive à peu près à tenir actuellement, à peu près, c'est parce que l'on a une activité relativement modeste aux urgences par rapport à la saison, normalement on devrait avoir à La Rochelle 150 personnes par jour, là on en a 80. Mais sur ces 80 on en a 40 qui nécessitent d'être hospitalisés, c'est à dire que la proportion, les gens viennent aux urgences parce qu'ils ont besoin de venir aux urgences, et parfois il y a des personnes qui sont hospitalisées et qui ne le devaient pas. Alors la question du manque de moyens, effectivement, on a beaucoup de contraintes sur les hôpitaux, beaucoup de contraintes administratives, beaucoup de truc qui sont, les soignants, les directeurs, tout le monde, l'objectif de simplifier, voilà c'est devenu très contraignant, on a beaucoup de contraintes, on a pas vraiment simplifié, on a aussi l'innovation qui coûte cher, on a aussi un système en France qui, où cohabite le public et le privé, ce n'est pas une critique mais ça reste un système hybride qui coûte cher, on a peut être aussi sur l'ensemble du territoire, ou peut être qu'on a pas fait des choix de prioriser certains plateaux techniques par rapport à d'autres, c'est pas le cas ici, mais sur d'autres territoires tout cela coûte cher... »

L'avis des syndicats sur le sujet des moyens

C'est parce que cela fait des années que nous sommes en flux tendu à l'Hôpital, le problème était là bien avant, on le subit pendant la crise.

Il y a des grands hôpitaux en France où ils ne travaillent pas en flux tendu, où ils ont 10, 20% de personnel supplémentaire, ils sont mis en ASA (autorisation spéciale d'absence) à partir du moment où ils sont testés, c'est à dire qu'on n'attend pas le résultat du test pour qu'ils soient isolés, ce qui n'est pas le cas dans les plus petites structures parce qu'on n'a pas assez de personnel derrière. Mais on continue de fermer des lits, l'important c'est de pouvoir embaucher, de créer des postes pérennes de titulaires et non des postes de contractuels.

2019: pas encore de cluster, mais déjà la maladie du personnel
2019: pas encore de cluster, mais déjà la maladie du personnel

Avec une centaine de soignants positifs, êtes-vous à la recherche de personnel ?

P Thépot : « Oui, on manque d'aides-soignantes et d'infirmières, Quand on vous dit à la Rochelle, mais ce matin j'étais à Rochefort, je peux vous dire que les maquettes de service à Rochefort sont beaucoup plus difficiles, et parce que ce qui se passe aussi c'est quand vous avez un patient Covid qui est en détresse respiratoire, et pas en réanimation, ça demande beaucoup de temps, ce sont des conditions de travail qui sont dures, après vous êtes un peu comme un cosmonaute tout ça c'est compliqué, en plus on a le volet vaccination. On ne trouve personne, on en arrive à solliciter nos étudiants de 3e années d'ici, pour les embaucher, interrompre leur stage pour qu'ils puissent venir comme aides-soignants, on a une infirmière retraitée qui vient, il faut comprendre que c'est rarissime d'avoir un phénomène comme cela. A La Rochelle on est pas mal doté en personnel, sur le papier. Si on regarde ce qu'on appelle les maquettes de service par rapport à d'autres établissements on est pas mal doté, par contre à La Rochelle avec ces moyens là on a pris l'habitude de donner des soins de qualité… »

L'avis des syndicats à propos du manque de personnel

On doit venir bosser. La pression est mise de manière morale, nous ne sommes déjà pas assez nombreux en temps normal, mais aujourd'hui compte tenu de l'absentéisme dû au Covid, on met la pression sur les hospitaliers, les cadres disent mais non, finis ta journée… ou reviens demain il n'y a personne… et puis il y a la médecine du travail qui fait barrage et nous on culpabilise. Cette pression, elle est pernicieuse, perverse. On ne t'oblige pas, on ne t'envoie pas un courrier chez toi, c'est bien plus sournois.

On a déclenché un CHSCT extraordinaire en fin de semaine parce que dans le service de gériatrie de nuit, il y avait une infirmière et aide-soignante pour 15 patients Covid plus le reste du service, donc cela faisait 2 soignants pour 23 patients.

L'appel est lancé, toute les bonnes volontés seront les bienvenues
L'appel est lancé, toute les bonnes volontés seront les bienvenues

Avez-vous mis en place un protocole spécifique pour tester les soignants au quotidien ?

P. Thépot : « Complètement, c'est super organisé, en plus c'est croisé avec l'ARS, donc J.0, J.7, dès qu'il y a un cluster, tout le service, tout le personnel et les patients. D’où l'intérêt d'avoir les résultats très vite »

L'avis des syndicats sur le protocole de test mis en place

Il n'y a pas de protocole de tests massifs à l'hôpital, il n y a pas de politique de test en fait, on est moins testé que la population. On est testé que, lorsqu'on a un doute. Et on ne peut pas être testé le weekend, ou la médecine du travail nous dit que ce n'est pas le protocole qu'on applique ici. Dans le milieu des soignants les gens connaissent bien les protocoles sanitaires, on voit bien qu'on est sacrifiés, notre action ce n'est pas juste une opposition politique ou d'opposition, c'est une réalité, là on voit bien que nous ne sommes pas testés comme des gens exposés au Covid.

Peut-il s'écouler plusieurs jours avant qu'un soignant malade ne soit testé dans son service ?

P. Thépot : « Si vous êtes dans un service qui n'a pas de cluster, oui, tout à fait. Aujourd'hui l'enjeu c'est d'avoir un test rapide, nous sur la Rochelle et Rochefort on a, c'est la guerre pour avoir les résultats rapides, c'est 30 tests par jour, c'est la guerre, les autres c'est techniqué chez nous ou c'est techniqué au laboratoire, le nombre de tests qu'on fait par jour est passé, la semaine dernière on était à 700 tests par jours, les PCR parce que les autres ça vaut pas un pet de lapin, donc ça c'est un vrai… en plus je ne sais pas combien ça coute mais ça doit coûter un bras mais ce n'est pas le sujet, les tests ça permet quand même, on a vu, on a eu des clusters en diabeto, on a nettoyé le service et c'est reparti. Le service on l'isole, on arrête les admissions, c'est super protocolé. C'est comme ça qu'on arrive à en sortir… »

L'avis des syndicats à propos de l'efficacité de la méthode

On teste seulement si trois patients ou trois soignants sont infectés. Si je suis seul, on ne va pas tester tout le service. Ce qui est complètement aberrant. Et plus on fait attendre, plus on fait courir le risque de propagation du virus, et plus on risque d'avoir un cluster. Cela s'est produit à hôpital, à partir du moment où on s'est aperçu qu'il y avait 3 cas, c'était trop tard, après ça a flambé. Peut-être faudrait-il tester tout le monde dès le 1er cas. Si on avait les moyens derrière et si on n'avait pas eu une politique d'austérité comme on a eu depuis des années, on n'en serait pas là.

Vous devez donc d'attendre que plusieurs personnes soient déclarées positives pour élargir le testing ?

P. Thépot : « Oui, On a d'ailleurs demandé, on a posé la question de savoir s'il fallait organiser un test généralisé, sous réserve… les infectiologues nous ont dit que ce n'était pas la bonne idée, notamment l'infectiologue du CPIAS. Une instance nationale à qui on a dit voila nous on a ce problème là, on a fait une réunion téléphonique avec eux, on leur a posé tous les trucs, tous les chiffres, les machins, la localisation, ils nous ont dit, écoutez vous avez fait ce qu'il fallait; malheureusement interrogez tous les hôpitaux c'est comme ça, par contre ce qu'il faut, c'est isoler bien les services... [NDLR: mais pour bien isoler le service, vous êtes obligé d'attendre les résultats des tests] Non, non, dès qu'on a un cluster on sait qu'on arrête les admissions dans le service, par contre on teste tout le personnel, mais vous ne pouvez pas les obliger ».

L'avis des syndicats à propos de la mise en isolement

• _ Lorsque je dois travailler un patient je ne peux pas être à 2 mètres de lui, et quand le patient nécessite 2 ou 3 personnes, on est tous à son chevet. La politique c'est on teste, on isole, à l'hôpital c'est : on teste. On isole qu'en fonction du résultat, on ne prend pas les mesures avant, je suis testé mais je ne suis pas forcément isolé._

Un personnel apparemment de moins en moins disponible...
Un personnel apparemment de moins en moins disponible...

Un soignant qui ne se sent pas bien doit-il attendre le résultat de son test avant de pouvoir quitter son poste?

P. Thépot : « Sauf, si vous êtes symptomatique. Symptomatique, par exemple, il y a eu un sujet avant-hier, sur, la nuit, à Rochefort, une infirmière qui dit j'ai un petit peu de fièvre, je me sens pas bien, qui était en poste , la directrice des soins lui dit qu'est-ce que tu…d'abord prélèvement pas de soucis, on attend le résultat, bien je peux rester on va faire attention, etc., etc., etc. Elle a eu son résultat le test était négatif, elle a eu un petit peu de fièvre, voilà, ça c'est négocié, enfin on l'a pas obligée, mais le truc c'est que si vous êtes symptomatique, d'abord vous êtes fiévreux, après ça peut dépendre d'où vous travaillez, c'est-à-dire si vous travaillez, par exemple si vous travaillez dans un secteur Covid, vous risquez peu d'infecter par définition. Mais on l'a redit, on l'a réécrit, le service santé travaille et on l'a expliqué au CHSCT, dans la vraie vie il n'est pas impossible qu'il y ait, parfois, dans tel service, qu'on puisse dire, qu'un cadre dise, écoute je ne sais pas, je ne connais pas trop, voila, etc… pris dans ses propres trucs, ne mesurant pas forcement l'impact, mais en tout cas la règle c'est celle-là. »

L'avis des syndicats à propos à propos des malades asymptomatiques

A la différence des vagues précédentes, où on était faiblement impacté, l'hôpital de La Rochelle est aujourd'hui lourdement impacté. Avant la crise sanitaire les hôpitaux étaient en flux tendu au niveau du personnel, c'est devenu très critique à l'heure actuelle. Jusqu'à présent quand vous étiez cas positif asymptomatique vous deviez venir travailler, ça a changé très récemment, c'est à dire que maintenant, depuis 1 semaine, si vous êtes positif asymptomatique vous restez chez vous. Mais les cas contacts tant qu'ils ne sont pas déclarés positifs, iront toujours travailler...

Pouvez-vous gérer rapidement les cas contacts en cas d'infection lourde ?

P. Thépot « Oui mais les cas contacts, puisqu'on parle de cas contacts, rappelez-vous, ce sont ceux qui se sont vus en situation de contamination, avec le masque, sinon on en finit pas, oui la question du Tracing et tout ça c'est compliqué, et c'est aussi compliqué quand vous êtes un personnel et que vous avez travaillé cette semaine en médecine Diabeto et la semaine suivante vous êtes en chirurgie, parce que… si vous avez été contaminé d'un coté vous allez… bon ça c'est vraiment… [NDLR :Donc cela peut aller très vite, le virus peut changer de service ?] On a eu un cas la semaine dernière, un patient qui est sorti de Rochefort pour aller en soins de suite à Saint-Pierre-d'Oleron, il est sorti testé PCR négatif, il était hospitalisé pour je ne sais pas quoi, une prothèse de hanche, peu importe, quand vous êtes opéré ici on vous fait un test avant, négatif, vous êtes opéré négatif, il sort négatif, il arrive à Saint-Pierre-d'Oleron, 24 heures après, positif, il a contaminé 7 patients, par les soins de suite. Par définition, ce sont des secteurs où les gens mangent en salle a manger, etc., etc., etc. et donc c'est la vraie difficulté, la fiabilité des tests, la fiabilité des tests, à un moment donné vous êtes positif, vous êtes négatif mais vous êtes contagieux, vous êtes positif mais vous êtes contagieux mais après vous pouvez être positif mais plus contagieux, c'est incroyable! »

L'avis des syndicats à propos des délais

A l'Hôpital on est dans le test, mais on a toujours le temps de latence entre le cas contact et les directives de l’État qui nous dit qu'il y a un délai avant de se manifester; après le test il y a le délai de la réponse et après la réponse on est mis en arrêt si on est positif, ce qui n'était pas forcement le cas avant. Mais la demande actuellement est que le délai du résultat soit le plus court possible parce qu'en tant que soignant on est arrêté qu'à partir du moment du résultat du test, donc si le test revient au bout de 24/48 heures, pendant 24/48 heure je suis dans mon service et je peux contaminer les autres...

Cellule de crise à l'hôpital: quand l'urgence est là...
Cellule de crise à l'hôpital: quand l'urgence est là...

Aujourd'hui l'hôpital est le plus grand cluster de la ville, pour quelles raisons ?

P. Thépot : « Il y a le feu à l'Hôpital plus que dehors parce qu'on met le projecteur dessus, si vous voulez on va n'importe où, au commissariat, à la communauté d'agglomération, au journal Sud-Ouest, on teste tout le monde, et on va voir. Je suis prêt a prendre le pari que là on verra que… »

L'avis des syndicats à propos du cluster dans l'hôpital

Lors du second confinement les visites étaient interdites sur le site de Saint-Louis, mais les visites et les permissions étaient encore autorisées au niveau de l'hôpital de psychiatrie de Marius Lacroix. Il y a seulement quinze jours que nous avons fermé les portes. Nous avons ce point de vue de bienveillance envers nos patients et aussi de protections des soignants et de nos familles, mais il ne faut pas oublier qu'il y a une différence d'approche entre les soins généraux et la psychiatrie.

Depuis l'apparition du cluster la direction suit la vague au lieu d'anticiper. Depuis le mois de mars 2020 on demande que le principe de précaution soit appliqué, eux ne veulent pas appliquer ce principe, ils se disent... bon, si on va commer ça et que ça passe, tant mieux, on serre les fesses et on aura économisé des sous. Mais il y aussi des syndicats et des médecins qui pensent que les hospitaliers ne sont pas en danger en venant travailler à hôpital alors que nous sommes dans un cluster, qu'il y a des cellules de crise deux fois par jour, que tout le monde est aux abois…

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