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par Antoine Champagne - kitetoa

Chers confrères, nous n'avons pas couvert la même manifestation

Gaz lacrymo, tirs tendus de LDB 40, la police a fabriqué des affrontements

En créant des confrontations, en blessant gravement des manifestants souvent pacifiques ou ne présentant aucun danger pour les policiers, les méthodes de maintien de l'ordre posent question. Il est temps de les repenser.

Policier faisant face à des enfants à Saint-Cloud pendant les blocages des lycées - Reflets

Si l'on écoute France-Info et BFMTV (pour ne parler que de ces médias), les gilets jaunes devraient s'abstenir de manifester samedi 15 décembre parce que les forces de l'ordre seraient "épuisées" par les affrontements avec les casseurs. Si personne ne peut nier la présence de casseurs et de personnes venues uniquement pour en découdre avec la police, le déroulé de la manifestation du 8 décembre montre surtout une volonté de répression de la part des forces de l'ordre, qui ne pouvait que créer des affrontements. De fait, la police a passé la journée à nasser des groupes de personnes parfaitement pacifiques, à les disperser ensuite à grand renfort de gaz lacrymogènes et de tirs tendus de LDB 40, (successeur des flashball) à les re-nasser, puis les re-disperser, et ainsi de suite.

Ce n'est pas une vue de l'esprit de la part de Reflets, puisque c'est également ce qu'ont constaté les journalistes du Monde. Tout cela est très éloigné du récit des événements qu'en font les journalistes qui commentent depuis leurs studios.

L'usage massif des lacrymogènes sur des populations pacifiques ou des tirs tendus de LDB 40 posent question.

Policiers avenue Marceau le 8 décembre - © Reflets
Policiers avenue Marceau le 8 décembre - © Reflets

Lors des manifestations étudiantes de 1986 contre le projet de loi Devaquet, Malik Oussekine est tué par deux policiers d'une unité particulière rattachée au préfet de police : celles des voltigeurs. Ils circulent à moto. L'un conduit, l'autre bastonne avec de longs bâtons en bois. Le lendemain, le ministre démissionne. Les voltigeurs sont quant à eux démantelés.

Si des ministres aussi obtus que Charles Pasqua et Robert Pandraud ont pu faire marche arrière sur une technique de maintien de l'ordre comme les voltigeurs, pourquoi le LDB 40 continue-t-il a être utilisé en dépit du nombre incalculable de blessés graves, le plus souvent éborgnés ? A la suite de la mort de Malik Oussekine, qui n'était pas un manifestant, mais un passant dans une rue de Paris, Robert Pandraud lâchait : "Si j'avais un fils sous dialyse, je l'empêcherais de faire le con dans la nuit". C'est dire si le ministre délégué à la Sécurité était ouvert d'esprit et tolérant.

Policiers en civil avenue des Champs-Elysées le 8 décembre - © Reflets
Policiers en civil avenue des Champs-Elysées le 8 décembre - © Reflets

Pour les simples manifestations des gilets jaunes, quatre personnes ont déjà perdu un oeil en raison des tirs de LDB 40. D'autres ont perdu une main en raison des grenades explosives GLI-F4.

La doctrine Castaner, comme l'évoque Mediapart, qui a consisté à faire une usage massif des LDB 40, tant face aux lycéens que face aux gilets jaunes, pose question. Est-ce que la démocratie doit répondre à la violence par la violence ou plutôt déférer les auteurs d'infractions devant la justice ? Les dizaines de policiers qui font face à quelques jeunes de 15 ou 16 ans n'ont-ils pas les moyens de les appréhender lorsqu'ils commettent des dégradations, plutôt que de les prendre pour cible avec des "armes non-létales" ? La mort de Malik Oussekine avait jeté près d'un million de Français dans les rue pour dire non à ces méthodes violentes de maintien de l'ordre.

Aujourd'hui ? Personne.

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