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Dossier
par Rédaction

Casse, pillages, dégradations au cours de la manif parisienne des gilets jaunes

Faute de changer la France par les urnes, ils tentent par les burnes

La question n'est plus de savoir s'il faut condamner les violences. Il est temps de tenter de comprendre, d'expliquer comment on en est arrivés là, n'en déplaise à Manuel Valls.

Gilets jaunes le 1er décembre - Copie d'écran BFMTV

"Les coupables de ces violences veulent le chaos", a tempêté Emmanuel Macron. Ce n'est pas impossible. Mais pourquoi veulent-ils le chaos ? Peut-être ont-ils abandonné l'idée de changer le monde par les urnes ? Peut-être n'y sont-ils pas parvenus et peut-être sont-ils arrivés au point où la violence leur semble le seul moyen de se faire entendre ? Dans le lot des casseurs qui ont à nouveau ravagé quelques quartiers parisiens samedi 1er décembre, il y a sans doute des extrémistes de gauche et de droite, des gamins venus pour en découdre, mais il y a aussi des gens tout à fait normaux, n'en déplaise au président.

Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs font des provisions de grenades lacrymogènes, de grenades de désencerclement. Cela traduit une peur du peuple, que l'on retrouve aussi dans le déploiement de moyens de surveillance massive sur Internet et en matière de téléphonie, ou par l'intégration des mesures de l'état d'urgence dans le droit commun. Or cette peur, si le mouvement se poursuit, avec les mêmes événements violents, va se transformer. Placé dans un coin du ring, le gouvernement va avoir un réflexe classique de celui qui détient le pouvoir et ne veut pas le lâcher : il va réprimer violemment. La violence entraînant la violence, bien malin qui sait où cela finira.

Mais au fond, pourquoi cette paranoïa (surveillance massive), cette trouille (grenades) ? Peut-être parce que que tout le monde sait que la situation est intenable. Plus le temps passe, moins l'économie va bien, plus les gens ont du mal à joindre les deux bouts. Les classes moyennes rejoignent celles qui se trouvent en dessous tandis que les classes les plus aisées, voient leurs ressources augmenter furieusement. Et forcément, ça crée des tensions.

Comme l'a souligné Daniel Schneidermann, Le Monde a mis en lumière la "tour infernale des super riches". Le journal rapporte les chiffres publiés par l’Institut des politiques publiques (IPP), un organisme de recherche indépendant, sur une évaluation approfondie des conséquences des mesures fiscales et sociales contenues dans les deux premiers budgets de l’ère Macron. En résumé, alors que certains perdent environ 1% de pouvoir d'achat, que les ménages "intermédiaires" gagnent 1%, les super riches, soit 1% de la population, voient leur pouvoir d'achat faire un bond de 6%...

Le diable est dans les détails : "les mesures 2018-2019 devraient faire augmenter le revenu d’un salarié au smic de 32 euros par mois en fin d’année prochaine (soit 384 euros par an)". Tandis que "la flat tax et surtout la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) gonfleront le portefeuille des 0,1 % de Français les plus riches de… 86 000 euros par an en moyenne".

Quant aux perspectives, elles ne sont pas bonnes. Tous les indicateurs sont au rouge et laissent entrevoir une nouvelle crise économique et financière plus importante encore que celle de la dernière décennie.

Allez expliquer à un smicard qu'il faut manifester pacifiquement après ça... Ça donne plutôt envie de "traverser la rue" pour aller parler à Manu. Ou même, de montrer ce que c'est vraiment que de "coûter un pognon de dingue"...

L'ordre...

Face aux violences qui ont eu lieu ce samedi 1er décembre, les représentants de l'Etat ont été implacables :

"Aucune cause ne justifie que les forces de l'ordre soient attaquées, que des commerces soient pillés, que des passants ou des journalistes soient menacés, que l'Arc de Triomphe soit souillé", a expliqué le président français, depuis Buenos Aires

"Il y a eu une stratégie gérée par des professionnels du désordre, des professionnels de la casse", a quant à lui déclaré le ministre de l'Intérieur. "Je dis aux 'gilets jaunes', ne vous laissez plus embarquer, protégez-vous, protégez les Français, protégez notre patrimoine. Ne participez plus à ces attaques de factieux", a pesté Christophe Castaner, tout en laissant planer le spectre de la répression : "Laissez nous gérer les casseurs".

Face à un gouvernement qui martèle qu'il est à l'écoute mais qu'il gardera son cap, que peuvent faire les manifestants ? Défiler pacifiquement ? Voter ? Jusqu'ici, cela n'a pas changé grand chose et les 1% les plus riches continuent de s'enrichir au delà du raisonnable, comme le soulignait Oxfam il y a un an :

« En 12 mois, les richesses de ce groupe d'élite ont augmenté de 762 milliards de dollars, soit plus de sept fois le montant qui permettrait de mettre fin à la pauvreté extrême dans le monde. 82% de la croissance des richesses créées dans le monde l'année dernière ont profité aux 1% les plus riches, alors que la situation n'a pas évolué pour les 50% les plus pauvres.»

On peut être pour ou contre la liste à la Prévert de revendications de ce mouvement. Les uns veulent que l'on ferme la porte aux migrants, les autres veulent qu'on la leur ouvre, certains veulent zéro SDF. Les uns veulent continuer à polluer tranquille et pas cher, les autres veulent la fin de l'assistanat ou développer le transport ferroviaire. Difficile de dire qui est de droite, de gauche, d'extrême-gauche ou d'extrême-droite dans ce patchwork. Ce qui, en revanche, devrait interpeller le gouvernement-qui-garde-le-cap, c'est que 80% des personnes interrogées par les instituts de sondage (avec les réserves habituelles sur la méthodologie), ont de la sympathie pour ce mouvement et 50% le soutiennent. Que les revendications soient peu claires, que le mouvement soit infiltré par des extrêmes, que les politiques de tous bords tentent de le récupérer d'une manière ou d'une autre, ce "machin" cristallise une colère de la population et un ras-le-bol des institutions qui interrogent. La question n'est pas de savoir s'il faut condamner "avec la plus grande fermeté" les débordement violents ou pas, la question est de comprendre comment on en est arrivés là.

« J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé [...] Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. », avait déclaré Manuel Valls, deux semaines après les attaques de novembre 2015. Pourtant, tenter de comprendre un phénomène ou un problème sociétal, pouvoir l'expliquer, est le moyen le plus sûr pour éviter qu'il se reproduise ou pour le corriger.

Errare humanum est, perseverare diabolicum...

Ce n'est pas la première fois que le peuple se soulève contre une situation inégalitaire jugée insupportable. Personne ne songe aujourd'hui, au sommet de l'Etat à parler de casseurs à propos des révolutionnaires de 1789. Les parisiens de 1871 étaient-ils des "professionnels du désordre, des professionnels de la casse" ? La question mériterait d'être posée à Christophe Castaner.

Il n'y a pas de désordre sans ordre. Comme il n'y a pas de lumière sans nuit, de chaleur sans le froid. Reste à savoir jusqu'à quel point l'ordre crée le désordre. Et pour la suite, inversement.

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