Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Cambridge Analytica, Facebook, Trump, que retirer de tout cela ?

Saymal, mais c'est comme ça...

Etrangement, par la magie du phénomène de buzz, l'affaire Cambridge Analytica ressurgit dans la presse, les politiques s'en emparent. Au delà du buzz du moment, qui va s'estomper, que doit-on retenir de cela ?

cot, cot, cot, codet - D.R.

Marc Zuckerberg est convoqué par une commission d'enquête du Parlement britannique. L’Information Commissionner’s Office (ICO), la CNIL d'outre-Manche, s'offusque. Les utilisateurs du réseau social tombent des nues, certains ferment leur compte. Quoi, nos données personnelles sont moulinées par des algorithmes ? Des gens créent des profils sur la base de nos données ? Quoi, des entreprises sans foi ni loi tentent de manipuler notre vote ? Surprise... Bienvenue dans le monde d'hier, mais avec la puissance informatique en plus.

Les psyops ne sont pas une nouveauté. L'armée Française les utilisait en Algérie, les Américains au Vietnam, tous les partis politiques utilisent des bases de données pour faire du marketing ciblé et vendre leur sauce. Disons qu'aujourd'hui les choses sont rendues plus simples en raison des "progrès" technologiques.

Mais revenons à Facebook. L'entreprise de Mark Zuckerberg se contrefout de la confidentialité ou pas des données que les utilisateurs lui confient. Cet état de fait est assez bien résumé dans une conversation que le patron de Facebook aurait eu avec un ami en 2004 :

Zuck: Yeah so if you ever need info about anyone at Harvard
Zuck: Just ask.
Zuck: I have over 4,000 emails, pictures, addresses, SNS
[Redacted Friend's Name]: What? How'd you manage that one?
Zuck: People just submitted it.
Zuck: I don't know why.
Zuck: They "trust me"
Zuck: Dumb fucks.

Si l'on se place dans la tête de Mark Zuckerberg, il est vrai que si les gens sont assez débiles pour se départir de leurs données personnelles, qu'ils ne viennent pas se plaindre après, du fait qu'elles soient utilisées. Quant à Cambridge Analytica, il est encore un peu tôt pour se prononcer sur la méthode utilisée pour récolter les informations de millions d'utilisateurs de Facebook, mais il est assez probable que cela ait été fait tout à fait "légalement". Deux possibilités viennent à l'esprit : ils ont utilisé l'API de Facebook pour siphonner des données publiques. Et/ou, ils ont utilisé des applications tierces pour récolter des informations. Après, c'est du traitement pour dresser des profils, ce que font bien d'autres sociétés, notamment dans le domaine du marketing direct ou du retargeting. Sans compter les brokers de données.

En 1999, Experian France voulait vendre à Philippe de Villiers des études sur la base des données du recensement, donc des données publiques de l'INSEE. La précision allait jusqu'à l'îlot, c'est à dire des quartiers de 1800 à 5000 personnes. A titre d'exemple cela permettait aux hommes politiques de décider s'il était utile d'aller faire du porte-à-porte dans tel ou tel quartier.

Aujourd'hui, ce qui change c'est qu'il n'est plus nécessaire de se déplacer et de procéder à du bourrage de crâne en face-à-face. Il suffit de pousser telle ou telle "plus ou moins" fake news à des personnes choisies, dont on estime qu'elles peuvent basculer dans un camp ou un autre.

Business is business...

Une fois que la technologie est disponible, il est assez compliqué d'expliquer que l'on ne peut pas s'en servir ou de l'interdire. Ce n'est donc pas avec une loi sur les fake news ou en taxant Facebook que l'on arrivera à quelque chose. L'Histoire a démontré que la censure ne fonctionnait pas, l'effet Streisand l'a confirmé. En outre, cela pourrait avoir un effet de bord non attendu : renforcer la conviction des personnes persuadées que la terre est plate que les gouvernements veulent nous cacher des choses.

Les entreprises continueront de tenter de maximiser leurs profits, contourneront les lois locales. La puissance financière et politique de Facebook ou de Google est désormais telle que rien (ou presque) ne pourra faire plier ses dirigeants. Ils sont devenus tout-puissants et se contrefoutent des commissions parlementaires ou même, des dirigeants politiques qu'ils pourraient, sur le papier, faire et défaire à leur guise.

La presse frétille ces jours-ci en expliquant que l'action Facebook s'écroule et que cette chute a fait fondre de près de 60 milliards sa capitalisation. Ça fait peur hein ? Il suffit de regarder le graphique de l'action pour s'en convaincre. Quelle chute !

Cours de bourse Facebook - Yahoo Finance / MSN Money / Reuters - Copie d'écran - CC
Cours de bourse Facebook - Yahoo Finance / MSN Money / Reuters - Copie d'écran - CC

C'est toutefois oublier un peu vite que tout est question de perspective. Etalons donc le cours de l'action Facebook sur 18 mois, pour voir...

Cours de bourse Facebook sur 18 mois - Nasdaq - CC
Cours de bourse Facebook sur 18 mois - Nasdaq - CC

Voilà un graphique qui montre que Marc Zuckerberg n'est sans doute pas trop inquiet par ce soubresaut de l'action...

Tu as ton permis de conduire le Facebook ?

Les utilisateurs, pour leur part, continueront de faire n'importe quoi avec leurs données personnelles et avec les fake-news ou les manipulations politiques organisées par des Cambridge Analytica ou ses successeurs, pour peu que le service que leur apporte les « plateformes » reste gratuit. Barack Obama avait initié la tendance et tous lui ont emboité le pas, y compris Emmanuel Macron. Les utilisateurs ne sont visiblement pas prêts de comprendre que dans "données personnelles", il y a "personnelles". Non, il n'est pas normal de donner gratuitement à une entreprise qui va faire des milliards de dollars avec, ses convictions politiques, philosophiques, sa structure de pensée, ses orientations sexuelles, on en passe. "Dumb fucks", comme dirait Marc Zuckerberg...

Si l'on voulait tenter une comparaison scabreuse, on pourrait dire qu'il faut un permis de conduire pour prendre le volant, mais pas pour devenir un "media" à soi tout seul avec Facebook. On ne peut s'attendre qu'à des accidents.

Et comme personne n'imposera à Facebook un permis de conduire le Facebook, il faudra bien trouver une solution (ou pas ?). Il faut peut-être expliquer dès le plus jeune âge que les données personnelles sont "personnelles" et qu'il ne faut pas les communiquer à Facebook et à ses semblables.

Peut-être également que pour lutter contre les "fake news", il faut publier des "real (true ?) news" ? L'histoire du Nizkor Project est à ce titre assez intéressante. Alors qu'il voyait déferler dans Usenet (les forums sur Internet avant Jésus-Christ Facebook) des tonnes de délires négationnistes mettant en cause la réalité de l'holocauste, Ken McVay avait décidé de publier toutes les informations qu'il pourrait récolter sur l'holocauste.

Par ailleurs, lors des premières connexions à Internet, "tout ça" était compliqué et il fallait comprendre comment cela marchait pour l'utiliser. Aujourd'hui tout est simplifié à l'extrême. C'est toute l'intelligence d'un Facebook, d'un Gmail ou d'un Hotmail. On peut chatter, envoyer des messages, publier, rediffuser d'un seul clic. Plus besoin de configurer des applications complexes. Fini le POP, le SMTP, vive le Webmail et son IMAP, vivent la paresse et les trackers.

Ah... Les trackers... Car derrière tout cela, il y a tout un éco-système. Les mêmes médias qui s'insurgent contre Facebook et son manque d'intérêt pour la protection des données personnelles sont les premiers à placer mille trackers sur leurs sites, à s'associer avec Facebook ou Google, à quémander des aides variées aux GAFAM. Ils transmettent aux GAFAM et à d'autres acteurs des informations sur les préférences de lecture de leurs lecteurs. En étant connecté à Facebook dans une fenêtre d'un navigateur, l'utilisateur qui lit une page d'un média fournit par le biais des boutons de partage les informations sur ses lectures aux plateformes. Étonnant non ?

Trackers sur Liberation.fr - copie d'écran - CC
Trackers sur Liberation.fr - copie d'écran - CC
Trackers sur Lemonde.fr - copie d'écran - CC
Trackers sur Lemonde.fr - copie d'écran - CC
Trackers sur Lefigaro.fr - copie d'écran - CC
Trackers sur Lefigaro.fr - copie d'écran - CC

Les médias ont un rôle à jouer. Ils peuvent expliquer aux utilisateurs ce qui se cache derrière les plateformes si simples et agréables à utiliser. Inciter les gens à migrer vers d'autres outils identiques mais dont le business model ne repose pas sur l'exploitation des données des utilisateurs.

Au delà de cela, la presse doit sans doute faire un travail d'introspection. Doit-on passer deux jours sur la poule offerte à Emmanuel Macron ? Est-on obligés d'écrire court pour être lu sur le Web comme cela est préconisé partout ? En d'autres termes le lecteur sur Internet est-il un imbécile qui ne peut pas lire plus d'une page ? La réponse est bien évidemment non. D'ailleurs, vous êtes arrivé jusqu'ici...

Doit-on continuer à être persuadé dans les rédactions de savoir ce que le lecteur a envie de lire ? Si on lui offre autre chose que les derniers ragots sur Kim Kardashian, peut-être s'y intéressera-t-il moins ? Doit-on courir derrière le visiteur avec des titres "clickbait", pour générer du trafic sans intérêt, le tout pour afficher le plus de pubs possibles ?

2 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée