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par Jacques Duplessy

« C’est un choix mortifère pour la démocratie de nier l’importance des syndicats »

Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT se confie avant la rentrée sociale

Alors que la rentrée sociale s’annonce tendue avec la réforme des retraites, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT s’est confié avant la rencontre avec le Premier ministre à la fin de cette semaine.

Laurent Berger - Info-Com CFDT

Comment voyez-vous l’évolution des relations avec le président Macron et son entourage ? On a parlé de lune de miel au départ ?

Il n’y a jamais eu ni lune de miel, ni divorce d’ailleurs. Il y a des divergences. Ce n’est pas tant sur la relation interpersonnelle car il n’y a pas d’affect dans tout ça. C’est plutôt dans la logique des dossiers en cours. Nous avons senti une volonté de nier la place des corps intermédiaires, en tout cas de passer outre. Il y a dans l’entourage de Macron une forme de théorisation, il y a un point aveugle dans le macronisme sur le rôle de la société civile. Il voudrait cantonner le syndicalisme à l’entreprise, ce qui pour la CFDT est un problème. Nous avons toujours pensé que nous avions le droit d’intervenir sur d’autres sujets que ceux du travail, par exemple comme dans la tribune sur le Pacte du pouvoir vivre de mars dernier ou celle sur les migrants. Notre point d’accroche prioritaire c’est le travail, bien sûr. On concentre beaucoup de forces à être avec les travailleurs, et on doit toujours le faire davantage. C’est dans l’entreprise qu’on crée notre légitimité, mais cette légitimité nous renforce pour dire aussi des choses plus globalement. Les salariés ne sont pas que des salariés, ce sont aussi des citoyens. Ils sont intéressés par les questions démocratiques, sociétales.Le gouvernement doit nous écouter aussi sur d’autres sujets.

La CFDT est devenu le premier syndicat de France et pourtant on a l’impression que votre parole importe peu...

Oui, nous sommes devenus le premier syndicat public-privé confondu. Pendant la crise des Gilets Jaunes, il y a eu la volonté du gouvernement de ne pas répondre à notre main-tendue. Mais nous ne sommes pas en recherche de reconnaissance, on pense juste que la démocratie est à ce point traversée d’intérêts divergents et à ce point tendue qu’on ferait mieux de nous écouter quand on sonne des alertes plutôt que de considérer qu’on n’a pas à s’en mêler. Je ne suis ni anti ni pro Macron, je suis un responsable syndical. Sur l’assurance chômage il y a eu un mépris, une mise en situation difficiles des organisations syndicales et patronales. On l’a dit.

Je pense que ça serait très dangereux d’affaiblir durablement les corps intermédiaires et plus généralement la société civile, parce que notre société ne va pas très bien. On a besoin d’interlocuteurs, les uns, les autres, on a besoin de forces qui sont capables de porter des revendications, mais aussi de s’engager lorsque les choses vont dans le bon sens. Quand une organisation est prête à s’engager, à faire des compromis, à se faire critiquer pour ça d’ailleurs, on ferait mieux de l’écouter. Sur beaucoup de sujet, on ne travaille pas pour nous. Quand on fait des propositions sur la pauvreté ou l’assurance chômage, ce n’est pas pour ça que les salariés votent pour nous dans les entreprises. Je ne renonce jamais à dire qu’il faut partir de la réalité concrète et considérer les plus fragiles dans notre société si on veut comprendre ce qui se passe.

Et pourtant, on a l’impression d’un rouleau compresseur gouvernemental. On concerte, mais c’est pour la forme…

Le pouvoir a le dernier mot sur beaucoup de choses, c’est comme ça que fonctionne la démocratie. Mais vouloir se passer des acteurs sociaux, vouloir les négliger, voire les mépriser, c’est une folie dans la société telle qu’elle est aujourd’hui, faite de ressentiments, de rancœurs, minée par les inégalités et inquiète sur son avenir tant pour notre pays que pour l’Europe. Je pense qu’on n’est plus intelligent à plusieurs que tout seul.

Le discours du du Président et gouvernement s’est un peu infléchi avec la crise des Gilets Jaunes. Mais dans les faits, le premier acte c’est l’assurance chômage, un vrai raté en terme de considération des acteurs sociaux. J’espère qu’il y a un changement. On le verra au fil de l’eau, ça ne se décrète pas.

Avec notre Pacte sur le pouvoir de vivre, avec notre première place, s’ils ne comprennent pas qu’on représente quelque chose dans ce pays, ils sont dingues !

C’est un choix mortifère pour l’avenir, pour le fonctionnement de la démocratie à terme, que de nier l’importance des syndicats en se disant de toute façon on aura le dernier mot. Quand le gouvernement se dit : « Les syndicats, combien ils pèsent ? » ils ont tort, car peser c’est souvent vu comme étant la capacité de nuisance. Peser, c’est aussi autre chose, comment on infuse dans la société. Avec notre Pacte sur le pouvoir de vivre, avec notre première place, s’ils ne comprennent pas qu’on représente quelque chose dans ce pays, ils sont dingues ! Ca veut pas dire qu’on à la capacité de mettre 10 millions de personnes dans la rue. Mais ce n’est pas ça le sujet. Ca ne peut pas être le pouvoir est tranquille et peut faire ce qu’il veut au mépris de toute concertation, discussion, négociation tant qu’il n’y a pas le bordel dans la rue. C’est une conception de la démocratie qui est assez limitée…

Il y a eu un « grand débat » dont on a l’impression qu’il est déjà enterré...

La CFDT a participé au grand débat, mais il y a eu une faible exploitation du gouvernement finalement. Et c’est dommage. Si j’étais à leur place, je continuerai à exploiter ce qui s’est dit dans ce grand débat pour en faire des sujets de concertation citoyenne. Aujourd’hui je suis incapable de dire s’il est prévu quelque chose là-dessus. Si on ne veut pas avoir d’épisode de surchauffe de la société comme on en a connu, il faut qu’on discute. La société est « épaisse », les gens ont des problématiques multiples, ont des réalités différentes, il faut de l’intelligence collective, de la créativité, et ça ce n’est pas un gouvernement seul qui a le nez dans le guidon qui peut l’avoir. Il faut le faire avec les acteurs sociaux. On continuera d’être là, parce que c’est notre rôle.

La réforme des retraites est le gros chantier de la rentrée. Comment vous allez continuer d’aborder ce dossier ?

Il est des points de désaccord et des réformes qui peuvent être intéressantes. L’idée est de rendre le système plus juste, sans toucher aux fondamentaux de ce qui fait notre système de retraites. Je pense que le système peut être encore plus redistributif et favorable aux plus fragiles. C’est en prenant en compte les personnes les plus en difficulté qu’une société progresse et se grandit. Considérer que le système actuel de retraite est merveilleux quand nombre de femmes sont obligées de travailler jusqu’à 67 ans pour avoir une retraite pleine et entière, ce n’est pas sérieux ! Le système actuel pénalise aussi ceux qui ont eu des carrières pénibles, hachées , ou avec des très faibles progressions. Il faut dire les choses. Pour que les gens puissent faire des choix, il faut un discours franc et honnête. Sur la question des retraites s’il est question de construire plus de justice, j’en suis. Si c’est pour augmenter les minimums des retraites les plus faibles, si on reconnaît la pénibilité, les carrières longues, les discriminations dont sont victimes les femmes, d’accord. Mais si c’est pour instaurer un âge pivot à 64 ans, non, car c’est injuste pour ceux qui ont commencé à travailler tôt. C’est injuste que ce soit le même âge pour tout le monde. On espère avoir été entendu sur ce point. Mais les discussions démarrent avec le Premier ministre cette semaine. Pour le moment, le discours est flottant, on attend pour y voir clair.

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