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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Avisa Partners : une éthique en toc qui sape la vie démocratique

Derrière les faux articles, la boite de com déglingue le vivre ensemble

Avisa Partners, une société qui vend de la cybersécurité et de l'influence médiatique, est responsable de la publication de centaines d'articles de lobbying qu'elle a tenté de faire passer pour de vrais contenus journalistiques. L'affaire mérite que l'on s'y attarde. Au delà de l'intox, il y a des acteurs, des gens qui les cautionnent, eux et leurs actes, qui sont coupables d'une désagrégation de la confiance nécessaire au vivre ensemble et à la démocratie.

Présentation d'Avisa PArtners à un think tank - Copie d'écran

L’article paru dans Fakir, relatant les aventures d’un journaliste dans la com, écrivant plus de 600 articles à la commande sur toutes sortes de sujets, principalement pour faire du lobbying, a retenu l’attention de la presse. Mediapart a produit un long article sur le sujet. Avant cela, Complément d'enquête, en se penchant sur EDF, avait révélé les arrangements d'Avisa Partners avec l'éthique. Mais cette affaire est bien plus complexe qu’il ne semble et met en lumière des activités, des amitiés et des relations qui méritent d’être questionnées.

L’article de Fakir raconte par le menu comment un jeune journaliste s’est laissé happer par une « agence » produisant des contenus à la chaîne. Ces papiers réalisés à la va-vite étaient ensuite diffusés par divers sites afin de noyer d’autres informations dans les revues de presse proposées par les algorithmes, comme Google News. Et à la fin du papier, un petit ajout post publication « On s’est rendu compte, peu après la parution de l’article dans notre édition papier (Fakir n° 103) que iStrat, l’agence de lobbying numérique, a été codirigée de juin 2013 à 2014 par… Olivia Grégoire, l’actuelle porte-parole du gouvernement ! ». Zut et re-zut, il y avait là une belle info qui méritait d’être creusée. Ce que fera rapidement Mediapart. Car avec l’aide de « Julien Fomenta », auteur des articles cités par Fakir, Mediapart va pouvoir faire le ménage dans sa zone de blogs des lecteurs, « le Club de Mediapart ». La société qui se cache derrière ces commandes d’articles a visiblement utilisé plus de 200 avatars pour inonder le « Club de Mediapart » d’articles de lobbying. Quelque 634 faux billets de blogs sont repérés et détruits.

Si Mediapart se concentre sur les sujets abordés par ces papiers d’un genre très particulier, le journal d’investigation pointe au début de son enquête toute la problématique :

« Co-organisatrice avec la gendarmerie nationale du Forum international de la cybersécurité (FIC), le principal événement européen sur les questions de la sécurité et de confiance numérique, Avisa Partners rassemble– ou a rassemblé – en son sein des figures du renseignement, du monde des affaires, de la politique ou de la diplomatie : l’ancien chef des services secrets intérieurs Patrick Calvar, l’ex-numéro 2 du Quai d’Orsay Maurice Gourdault-Montagne, l’actuelle porte-parole du gouvernement Olivia Grégoire ou l’ancienne plume d’Emmanuel Macron à l’Élysée Sylvain Fort. Codirigée par un proche de Sarkozy et de Zemmour, Arnaud Dassier, et le fils d’un ancien directeur d’un service de renseignement militaire, Matthieu Creux, la société Avisa Partners s’est notamment spécialisée dans la vente d’influence médiatique et numérique à ses clients. Parmi eux, on trouve de très riches particuliers, des institutions publiques, de grandes entreprises et des régimes étrangers ».

On retrouve dans cette affaire tous les ingrédients qui contribuent à déglinguer chaque jour un peu plus la démocratie et le vivre ensemble. Est-ce illégal de produire des articles laudateurs pour telle ou telle entreprise, tel ou tel dictateur, telle ou telle technologie, tel ou tel projet économique et industriel d’une entreprise ? Probablement pas.

Est-ce illégal de donner ces articles à des « journaux » en ligne qui vont complaisamment les publier pour faire du « flux » et du « clic » ? Probablement pas.

Est-ce illégal pour un journaliste, un « content producer », de produire ces contenus orientés ? Probablement pas.

Est-ce illégal, quand on est une société d’« intelligence économique », de produire ces articles, organiser leur diffusion, créer des milliers d’avatars sur Internet pour faire ce qui s’apparente à de l’« astroturfing » ? Probablement pas.

Est-ce illégal, en tant que société d’intelligence économique d’aller recruter, soit comme salarié, soit comme cautions morales et économiques des anciens des services, des hauts fonctionnaires, des politiques ? Probablement pas.

L'éthique, c'est un truc très personnel. Chacun la sienne...

La question doit être posée autrement. Est-il éthiquement raisonnable de participer à une telle opération ?

Est-il éthique d’être une pièce, à quelque niveau que ce soit, d’un vaste outil de manipulation des opinions ?

Est-il éthique de prêter son nom, sa notoriété, à une société qui se livre à ce type d’activités ?

Est-il éthique lorsque l’on est le FIC, d’avoir Avisa Partners comme partenaire « Gold » et « co-organisateur » ? Est-il normal d’avoir dans ses partenaires « Hexatrust » qui accueille depuis des lustres en son sein ce que l’on fait de pire en matière de vente d’outils d’interception à des dictatures, d’intégrer dans son « scientific committee » Jean-Louis Gergorin, connu principalement pour son rôle dans la deuxième affaire Clearstream ? La Gendarmerie Nationale se grandit-elle, et tout le secteur de la cybersécurité avec elle, à ne pas faire le ménage dans les rangs ? N’est-il pas temps, en 2022 de tenter de créer des écosystèmes éthiquement responsables ? D'ostraciser ceux dont les méthodes ou les clients sont plus que discutables ?

Si une vaste partie de la population ne s’offusque plus de ces arrangements avec l’éthique, la majorité, elle, s’en offusque toujours, lorsqu’elle en est informée. Et à chaque nouvelle affaire de ce type, c’est un pan entier de la confiance qui s’effondre. C’est le ciment de la démocratie qui s’effrite et tombe en poussière.

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