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par Antoine Champagne - kitetoa, Jacques Duplessy

Attaque de Rambouillet : Jamel Gorchane était en contact avec un imam salafiste

Ce prédicateur, Béchir Ben Hassen, a un profil particulièrement inquiétant.

Le terroriste auteur de l'attaque de Rambouillet n'était peut-être pas totalement un « loup solitaire ». Selon une source en Tunisie, Jamel Gorchane échangeait de puis plusieurs mois avec Béchir Ben Hassen, un imam déjà apparu dans les radars des services de renseignement français. Révélations.

Photo de profil Facebook de Jamel Gorchene, le terroriste de Rambouillet

Le 23 avril, Jamel Gorchane, un Tunisien de 36 ans, chauffeur-livreur, sans antécédent judiciaire, assassine à coup de couteau une adjointe administrative du commissariat de Rambouillet dans les Yvelines. Stéphanie Monfermé était mère de deux adolescentes. Jamel Gorchane s'apparente aux profils des auteurs d'attentats survenus en France depuis 2020 : peu liés à l'Etat Islamique, utilisant des couteaux, des armes facilement accessibles, parfois mentalement instables, peu ou pas connus des services de renseignement.

Sur son profil Facebook, Jamel Gorchane reposte de nombreux messages démontrant son intérêt pour l'islam politique et au fil du temps, revendique le fait qu’il est interdit de s'en prendre au prophète. Mais on est loin des profils de radicalisés à l'époque où l’État Islamique triomphait.

Toutefois, sur sa page Facebook, le terroriste de Rambouillet, un de ses « amis » attire l’attention : il s’agit du cheikh Béchir Ben Hassen, un imam salafiste tunisien au parcours assez inquiétant. Et selon une source interrogée en Tunisie, Gorchane et Ben Hassen échangeaient depuis plusieurs mois.

Les amis de Jamel Gorchene sur Facebook
Les amis de Jamel Gorchene sur Facebook

Béchir Ben Hassen est l’une des principales figures du salafisme dit « scientifique » (salafia îlmia). Né en 1973 à M'saken, il a étudié à l’Institut d’Oum Al Qura à la Mecque, ainsi qu’à l’Université américaine internationale de théologie islamique et a suivi des cycles de formation au Centre islamique et culturel de Bruxelles. Sous la dictature de Ben Ali, il s’installera en France et obtiendra la nationalité française.

Entre 2007 et 2011, Béchir Ben Hassen est l’imam de la mosquée El Islah de Villiers-sur-Marne. C’est à ce moment là que l’on trouve une étrange coïncidence. Dans un procès-verbal daté du 8 juin 2009, les policiers de direction départementale de la sécurité publique du Val-de-Marne racontent avoir contrôlé Fabien Clain, sa femme Mylène Foucre et Laurent Lelièvre qui se rendaient à la mosquée de Villiers-sur-Marne le 4 juin 2009 à la période où l’imam est Béchir Ben Hassen pour, selon eux, « effectuer la prière des voyageurs ». « La mosquée El Islah est notoirement connue pour être fréquentée par des fondamentalistes musulmans », notent les policiers dans leur rapport. Fabien Clain est le terroriste qui revendiquera les attentat du 13 novembre dans un communiqué audio de l’Etat islamique, Laurent Lelièvre est un autre futur djihadiste parti en Syrie. Mylène Foucre a pour sa part tenté de s'évader l'an dernier du camp d'al-Hol en Syrie où elle était détenue par les Kurdes.

D’ailleurs dans l’arrêté de fermeture administrative du 13 juillet 2017 de la mosquée, on peut lire : « Considérant que la mosquée El-Islah de Villiers-sur-Marne constituait un lieu de référence influent de la mouvance salafiste, représentant, par son fonctionnement et sa fréquentation, une menace pour la sécurité et l’ordre publics; qu’en effet ses imams successif, M. Béchir Ben Hassen jusqu’en 2011, puis M. Issam Elachgar, y tenaient ouvertement des prêches radicaux, axés sur l’animosité à l’égard des autres cultes et la valorisation du salafisme ;... » Les autorités françaises étaient donc parfaitement informées de l’islam prêché par Béchir Ben Hassen. La mosquée de Villiers-Sur-Marnes avait rouvert en juillet 2018.

En 2011, au lendemain de la révolution qui chasse le président Ben Ali, Béchir Ben Hassen repart en Tunisie en emmenant ses enfants sans l’autorisation de leur mère française, ce qui a entraîné une poursuite judiciaire pour soustraction de ses enfants.

Ce proche de Moncef Marzouki, président de la République entre 2011 et 2014, devient imam de la mosquée de M'saken, à partir de novembre 2012. Il s’implique dans la vie politique tunisienne. Pour tenter d'isoler la branche salafiste djihadiste en Tunisie, le parti islamiste Ennahda, alors au pouvoir, envisage de permettre aux salafistes de créer un parti afin de les intégrer dans la vie démocratique, à l'image des salafistes égyptiens après la révolution. Des contacts sont alors pris, notamment avec Béchir Ben Hassen, un des piliers de cette mouvance. Mais il déclinera, préférant un engagement individualiste. Lors des discussions en vue de l’élaboration de la nouvelle Constitution tunisienne, il militera en vain, comme les autres salafistes, pour l'inscription de la Charia, la loi islamique, dans le texte.

Mis à l'écart en Tunisie

Mais toujours recherché pour l'enlèvement de ses enfants, il est arrêté lors d'un séjour au Maroc en mai 2013. Un décret du ministère des Affaires religieuses tunisien le prive alors de son poste d’imam. Extradé vers la France, il purge une peine de prison et repart en Tunisie en février 2014 où il reprend son poste à la mosquée de M'saken. Mais le ministère des Affaires religieuses le limoge jugeant qu’un de ses prêches est un appel à la haine et la violence et l’interdit définitivement de prêcher le 1er juillet 2015.

Béchir Ben Hassen a toujours été très actif sur les réseaux sociaux. Une vidéo apparaît le 10 janvier 2015, trois jours après l’attentat de Charlie Hebdo. Il y dit dans un prêche enflammé : « Ceux qui critiquent le prophète doivent être tués, c’est ce que dit le Coran, la Suna et tous les docteurs de l’islam. Ceux qui s’attaquent au Prophète, leur sort est la mort, leur sort est l’exécution, leur sort est dans le sang. » S'il est impossible de savoir de quand date ce discours, cette vidéo atteste de ses positions radicales. Que ce soit avant l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo ou après, c’est un appel au meurtre.

Plusieurs de ses prêches sont par ailleurs violemment antisémites.

Prêche antisémite et anti-chrétien - Vidéo sur Youtube
Prêche antisémite et anti-chrétien - Vidéo sur Youtube

Pour autant, Béchir Ben Hassen semble cultiver une image à deux facettes. La première, celle d'un prédicateur aux mots violents, allant jusqu'à l'appel au meurtre, de l'autre celui d'un homme de foi tout à fait normal, condamnant les attentats. Le 7 janvier, il postait sur Facebook un message expliquant que les attentats sont interdits par l'Islam (haram).

Condamnation des attentats - Post Facebook
Condamnation des attentats - Post Facebook

Cette image double se concrétise également physiquement. Il passe volontiers de la barbe taillée façon salafiste au costume occidental.

Version prédicateur - Vidéo Youtube
Version prédicateur - Vidéo Youtube

Version costume-cravate
Version costume-cravate

En 2016, Béchir Ben Hassen essaie en vain de redevenir imam de M'saken et il navigue entre la Tunisie et la France.

Le 14 juillet 2016, un autre terroriste originaire lui aussi de M’saken, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, précipite son camion sur la foule à Nice. Selon une source des services de renseignement tunisien, il aurait également échangé avec Béchir Ben Hassen. Mais son nom n’apparaît pas dans le dossier d’instruction français sur l’attentat de Nice que Reflets a pu consulter.

Son activisme lui vaut de nouveaux ennui en Tunisie. Ben Hassen est condamné à six mois de prison ferme à Sousse le 17 avril 2018 pour diffamation et offense sur les réseaux sociaux. Il s’en était pris nouveau représentant de l’Agence technique des télécommunications, – l’ancienne entité chargée de la censure sous Ben Ali – accusant l’organisme et son directeur de continuer la censure. A sa sortie de prison, il revient en France.

Actuellement Béchir Ben Hassen assure des « leçons » à la mosquée Niya de Romainville, selon le site de la mosquée.

Site de la mosquée de Romainville
Site de la mosquée de Romainville

Il a d’ailleurs une société sous forme d'entrepreneur individuel ayant pour objet l’enseignement.

Il est aussi le président fondateur d’une association, Humanité et citoyenneté, située à à Noisy-le-Grand dont l’objet social est « l'apprentissage de la langue arabe, garantir l'accès à la culture, agir en faveur du vivre ensemble ». Elle semble toujours active et comporte une page d’appel aux dons.

Nous avons essayé de joindre M. Ben Hassen sur le téléphone de l'association. Une personne nous a indiqué qu'elle lui transmettrait notre demande d'interview, demande restée sans réponse au moment où nous mettons cet article en ligne.

Le fait que le terroriste de Rambouillet ait choisi comme « ami » sur Facebook l’imam salafiste franco-tunisien interroge, surtout au vu du parcours du prédicateur. Mais surtout, on peut se demander s'il n'y a pas eu un raté dans la surveillance de Béchir Ben Hassen. Un membre des services de l’antiterrorisme tunisien s’étonne : « Comment cet homme interdit de prêche en Tunisie pour radicalisme peut-il prêcher librement en France ? »

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